Pénurie pour tout le monde !

Créer l’événement. C’est ce que veut faire Nike, qui mène en simili-catimini une campagne marketing à coup de séries limitées. L’enjeu ? Une paire de baskets dont le cuir est, dit-on, « sculpté au laser ». Le produit sera commercialisé en août en petite quantité, une vingtaine de paires dans 300 magasins. D’ici là, il s’agit de créer le manque, d’exciter la demande. Pour que ses souliers s’arrachent, la firme américaine s’est lancée dans une course de fond.

La chaussure en carton

Une première paire a été aperçue en octobre 2003 chez Colette, une enseigne parisienne "top tendance". En janvier, une autre a été vendue dans trois magasins différents, à Paris et Aix-en-Provence. En mars, une troisième version a été lâchée. Comme les précédentes, elle a disparu en quelques jours. "On fait monter le phénomène en puissance et en août, ce sera un carton", pronostique Barbara Guinet, responsable de la division "mode" chez Nike. La firme américaine espère même se passer de campagne de publicité. "Pas besoin, assure Barbara Guinet. Tout est censé se faire par le bouche à oreille."

Edition limitée

Il y a quelques années encore, la rupture de stock était la terreur des entreprises. Aujourd’hui, elles l’organisent. La discipline se pratique chez Nike depuis six ans. "Les envies des consommateurs sont plus ponctuelles et les entreprises doivent s’adapter", explique Bénédicte Vermerie, directrice du bureau de style chaussure-maroquinerie-cuir. Vêtements de sport, automobile, alimentaire : tous s’y sont mis, pour des raisons souvent différentes.

Quand Peugeot sort une nouvelle voiture, Renault "riposte" quelques semaines avant, avec son "vieux" modèle concurrent, doté de quelques équipements supplémentaires, en édition limitée. Cette technique peut également permettre de prolonger la durée de vie d’un véhicule. La Twingo existe depuis onze ans mais elle est toujours en tête des ventes sur son segment, assure Renault. Pour entretenir le filon, plusieurs séries limitées sortent chaque année. Toutes ont rigoureusement les mêmes quatre roues et volant. Mais jamais le même emballage. En février 2004, c’était l’emballage "Kiscool".

4100 euros le litre

La pénurie organisée n’est devenue une mode que récemment. Mais elle se pratique depuis des années dans le luxe, qui fait payer au prix fort les consommateurs épris de rareté. Il s’agit d’éviter l’effet de masse, qui pourrait conduire à une banalisation et donc à une dépréciation du produit. Ainsi, lorsque Hermès met en vente, en 2003, une édition limitée du parfum Calèche, il n’y en a qu’un millier d’exemplaires... à 210 euros le flacon de 50 ml.

Effet boomerang

Mais gare à l’effet boomerang, car les ratés coûtent cher. Lors du lancement de sa console Playstation 2, Sony avait bien généré un engouement frisant l’hystérie. Mais en commercialisant trop peu de jeux, la firme japonaise s’était aussi attirée les foudres de la presse spécialisée, et avait encaissé un mauvais coup financier. Plus récemment, la chaîne alimentaire Picard a lancé, pour fêter ses 30 ans, une boîte de 30 macarons à prix cassés. En deux semaines, les magasins sont tombés en rupture de stock et ont dû faire face à des clients furieux.

A contrario, une bouteille Evian en forme de goutte n’était promise qu’à une existence éphémère. Un million d’exemplaires en furent commercialisés, à l’occasion du passage à l’an 2000. "L’objectif était de créer de l’image", explique Patrick Buffard, directeur marketing de Danone Eaux France. Le succès fut tel que la petite bouteille réapparaît chaque année, à la même époque.