Dans un pavillon, quelque part en Ile-de-France, un couple de quinquagénaires finit de déjeuner. Puis file au garage automobile qu’il a ouvert il y a quinze ans. Tous les deux sont habitants de Montreuil, français et roms. Après avoir fui le régime communiste de la Yougoslavie dans les années 1980, ils ont dû faire la peau aux préjugés qui collent à leur communauté – en vrac, ceux du Gitan voleur, menteur, sale, etc. – pour monter leur commerce et en vivre. Quelque 400 000 Roms vivent aujourd’hui en France, estime le Conseil de l’Europe. « La très grande majorité sont installés dans le pays depuis très longtemps et bien intégrés », précise Saimir Mile, de l’association La Voix des Rroms. Traduction : ces Roms cotisent à la Sécu, paient leurs impôts, font leurs courses comme tout le monde. Certains perçoivent des revenus confortables, d’autres plus modestes, mais tous cultivent la discrétion.
Friperies sur les marchés
Combien de Roms ont un emploi ? Impossible d’obtenir des chiffres exacts, car les statistiques ethniques sont prohibées en France. Selon Yannick Lucas, thésard à l’université d’Angers sur les réussites économiques en Europe occidentale des Roms venant de Roumanie, « beaucoup percent dans le négoce et l’artisanat : ils ont un talent incommensurable pour le commerce. » Ainsi, dans certaines villes comme Troyes (Aube), « beaucoup de Roms du Kosovo ont monté des friperies sur les marchés », détaille Olivier Legros, maître de conférences en géographie, spécialiste des migrations à l’université de Tours et membre du réseau Urba-Rom. « Ils ont pu se faire régulariser en développant un capital, explique Yannick Lucas. A force de vendre, ils se sont fait connaître des clients, des autres stands, des associations locales qui les ont aidés à devenir auto-entrepreneurs, par exemple. » Quant aux autres Roms intégrés, ils sont avocats, professeurs, sportifs professionnels, ou encore chefs d’entreprise… mais totalement invisibles. Ce sont des populations non problématiques, donc non médiatiques.
C’est loin d’être le cas des Roms dits « migrants ». Arrivés sur le sol français depuis les années 2000 – avec l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne –, ils ont fait les choux gras de la presse durant l’été 2010. Estimés à 20 000 par la police, c’est souvent dans la rue qu’ils tentent leur chance. L’accès au marché de l’emploi leur est en effet quasi interdit. La faute aux récentes politiques migratoires nationales qui les obligent à demander un permis de travail à la préfecture et à faire leur choix dans une liste de 150 métiers. Pas de job au bout de trois mois en France ? C’est l’expulsion. Or ledit permis n’est délivré que sur une promesse d’embauche déposée à la préfecture par un employeur qui doit lâcher au passage une taxe de 893 euros ! Pas très encourageant. Et même si cette première étape est passée avec succès, le candidat devra ensuite entamer de nouvelles négociations, longues et coûteuses, avec la préfecture, avant d’obtenir des papiers.
Reste heureusement la solution village d’insertion. Portés par les collectivités, l’Etat et les associations locales depuis 2007, ces villages sont conçus pour accueillir une trentaine de familles chacun. Elles y bénéficient d’un accompagnement social et elles préparent avec les associatifs un dossier de candidature au permis à l’emploi. Mais entrer dans ces villages n’est pas simple. Seules quelques familles sont choisies sur des critères discutables. « Il y a la scolarisation des enfants en France, mais aussi d’autres critères plus opaques », explique Yannick Lucas, selon qui en Seine-Saint-Denis, il y aurait « environ 500 Roms dans les villages, et 1 500 sur des terrains sauvages ».
Montagne de déchets
Faute de choix, les Roms migrants sont donc nombreux à travailler au noir, souvent dans le secteur du recyclage. Beaucoup récupèrent et vendent les déchets ménagers, à la sauvette ou à des associations caritatives. « Vêtements, chaussures, ferraille, électronique sont extirpés des poubelles et recyclés sur les marchés sauvages », raconte Yannick Lucas. Les bons jours, un vendeur de rue peut gagner 50 euros. « Ça vaut plus le coup qu’en Roumanie, car ici il peut s’acheter à manger grâce à nos montagnes de déchets », assure le chercheur. Encore faut-il savoir jouer au chat et à la souris, et s’envoler dès que les forces de l’ordre pointent le bout de leur nez. En cas d’échec, l’aide au retour, mise en place par la France s’élève à 300 euros par adulte et 150 euros par enfant. Elle aurait concerné 3 500 personnes ces dernières années. Mais « le nombre estimé de Roms migrants vivant en France – 15 000 – est demeuré constant depuis 2007 », dixit Michaël Guet, du Conseil de l’Europe. La politique nationale se révélerait-elle dispendieuse et totalement inefficace ? —
Nantes lève les freins à l’embauche
Une autorisation de travail en 48 heures ? Pour des contrats de moins de trois mois, ce n’est plus impossible pour les Roms à Nantes. Via la politique d’intégration de la ville, l’association « Une famille, un toit » peut, par ailleurs, aider 55 Roms à déterminer leurs atouts et leurs objectifs. Tout est possible, « améliorer leur français ou leur attitude devant un patron », détaille Denis Passelande, chargé de l’insertion professionnelle de l’association. Après des cours avec une prof de français ou des simulations d’entretien, les Roms sont mis en contact avec des employeurs, souvent des maraîchers (muguet, tomates, concombres), des viticulteurs ou des entreprises de nettoyage. Même si « 95 % des contrats obtenus durent moins de trois mois », ils ouvrent une porte vers le droit commun, à savoir l’accompagnement par Pôle emploi et les missions locales. « Cinq Roms ont décroché un long CDD ou un CDI. », se félicite Denis Passelande. —
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