Moins polluer = consommer mieux ? Certes on peut troquer son T-shirt à prix cassé mais grand émetteur de gaz à effet de serre (GES) contre un petit haut plus green, produit par une marque locale. On peut aussi abandonner l’exotique quinoa, qui pousse au bout du monde, et repasser au régime blé et maïs, plus européen. Facile ? Peut-être un peu trop.
C’est en tout cas ce qu’assurent des chercheurs du Stockholm Environment Institute qui se sont penchés sur les impacts du changement de nos modes de consommation sur les pays à faibles revenus. Des pays qui, aujourd’hui, fournissent nombre de nos biens, services et notre énergie. Leurs conclusions nous rappellent qu’en matière d’économie, rien n’est jamais simple. « Les mesures qui réduisent le commerce, sous la bannière d’une consommation à faible GES ou “durable”, comme les achats locaux, peuvent nuire aux pays qui dépendent de façon critique de ces revenus », expliquent les auteurs de ces travaux.
Une baisse de 0,7% du PIB dans les pays les plus pauvres
Car les pays à faibles revenus ont vu, année après année, leur dépendance vis-à-vis des pays occidentaux augmenter. D’après la Banque mondiale, en 1992, le commerce comptait pour 12% de leur PIB, pour 20% en 2010, et jusqu’à 22% juste avant la récente récession. Alors si les pays à forte consommation viennent à diminuer ce commerce en vertu de la consommation verte, quels seront les effets sur les pays peu vernis ?
Le scénario dit Wrap (Travaillons ensemble pour un monde sans gaspillage), mis au point au Royaume-Uni en 2009, a fait les comptes. Si les Britanniques et les Irlandais du Nord se mettaient soudain à consommer des produits plus écolos, que ce soit en matière d’alimentation, de biens ou de services, les émissions de GES reculeraient de 10%. Mais quid des répercussions économiques ? Le Royaume-Uni n’aurait pas à s’en plaindre : en partie relocalisée, la production boosterait le PIB de 4,6%. Mais les pays partenaires, eux, paieraient les pots cassés. Ceux dits à hauts revenus verraient leur PIB baisser de 0,2%, ceux à faibles revenus, de 0,3%, et les pays dits « les moins développés » afficheraient une baisse de 0,7%.
La preuve par l’Autolib
Prenons l’exemple des services de voitures en libre-service, comme Autolib, à Paris. En mutualisant ce bien, c’est sûr, on verdit l’air de nos villes ! Et les sociétés gérant ces services engrangent la monnaie. Quid des pays où ont été fabriqués ces quatre-roues urbains ? Ils font la moue. Ils ont en effet mené des recherches, développé des technologies, mais alors qu’ils vendaient auparavant 200 000 voitures à des propriétaires aimant conduire leur propre titine (200 000 est le nombre attendu d’abonnés Autolib en 2015-2016), ils n’en écoulent désormais plus que 30 00 (le nombre de voitures en service prévu fin 2012), que se partagent les utilisateurs.Cette baisse de 0,7% n’est-elle qu’un grain de sable dans l’économie de ces pays défavorisés ? Pas vraiment. Imaginons que les comportements de consommation vertueuse de nos amis britanniques se répandent à l’échelle des pays à revenus élevés. Le PIB de leurs partenaires commerciaux les moins riches ne chûtera plus alors d’un petit 0,7%, mais de 5% !
Or - et c’est là aussi que le bât blesse - qui dit économie en berne, dit mauvais point pour l’environnement. Depuis la conférence de Rio, en 1992, on n’a en effet cessé de le répéter : pour que notre planète se porte mieux, il faut lutter contre la pauvreté et batailler pour le développement. Attention ! Pas n’importe quel développement : sus à la croissance incontrôlée, oui au développement durable. Ou comment trouver l’équilibre entre l’amélioration des conditions de vie plus que souhaitable des populations de ce pays, aujourd’hui, sans pour autant menacer les générations futures.
Consommer vert tout en développant une économie durable, c’est possible
C’est sans compter sur les lumières de Peter Erickson, Anne Owen et Ellie Dawkins, les auteurs de cette étude, soucieux de résoudre ce vilain casse-tête : (« Suis-je vraiment obligée d’abandonner mes confortables sweats en coton indien pour des pulls en laine de mouton anglais qui grattent, et qui, de plus, chahutent l’économie de l’Inde ? ») En essayant de démêler les fils compliqués qui relient notre consommation à l’économie mondiale, ils ont identifié quelles ficelles permettent de ménager la planète, sans pour autant pénaliser nos partenaires économiques. L’idée sous-jacente : comment continuer de façon plus responsable la relation entre pays consommateurs et producteurs, en attendant que ceux-ci puissent gagner leur indépendance économique vis-à-vis des premiers, notamment en réduisant leurs liens à l’exportation et en augmentant la part de leur économie locale. Voilà leur recette en trois points :
L’empreinte écologique, tu regarderas
Tous les pays à faibles revenus ne sont pas des cancres écologiques : certains sont capables de fabriquer des produits avec une empreinte écologique bien plus faible que d’autres. C’est donc chez ceux-là qu’il faut faire ses emplettes ! Prenons l’exemple de l’habillement. Un kilo de vêtements, en moyenne, c’est 20 kg d’équivalent C02 envoyé dans l’atmosphère. Qui dit mieux ? La Chine, à laquelle on attribue le record de 40 kg d’équivalent CO2 par kilo de vêtements. A l’inverse, le Pakistan et la Roumanie affichent des scores plus qu’honorables de 10 kg d’équivalent CO2 par kilo de vêtements. Autrement dit : on boude le Made in China, et on porte sans remords le Made in Romania et le Made in Pakistan.
A la durée de vie de tes achats, tu veilleras
La recette pour que des produits, biens ou services présentent à la fois des bénéfices en terme d’émissions et de développement économique ? Qu’ils durent longtemps. Autrement dit : qu’ils soient de bonne qualité. Or, cette qualité a un prix ! Celui-ci, quand il bénéficie au pays producteur, agit vertueusement sur l’économie : il permet d’investir dans l’innovation et de développer une production à forte valeur ajoutée, en terme de qualité et d’écologie. Autrement dit : « Je ne craque pas pour ce lot de trois pantalons qui seront déjà passés (de mode et de couleur) au mois d’août mais je casse un peu ma tirelire pour sauter dans un pantalon qui résiste au temps et aux goûts. »
Pour le financement des technologies alternatives, tu militeras
Il n’y a pas qu’en « greenifiant » sa consommation qu’on fait baisser les émissions de GES. On peut aussi le faire en aidant les pays exportateurs à passer à des modes de production plus verts. Véhicules et appareils électroménagers sont bourrés d’acier produit souvent dans les pires conditions environnementales et sociales. Donnons donc plutôt un coup de pouce aux aciéries pour qu’elles baissent leur facture énergétique, en générant par exemple leur électricité à partir des gaz issus de leur propre fonctionnement.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions