« La durée effective du travail en France est l’une des plus faibles d’Europe. » La nouvelle étude du cabinet Coe-Rexecode jette un pavé dans la mare. Elle classe la France à l’avant-dernier rang de son classement du temps de travail en Europe. La France comptabilise, selon ces « données inédites », une moyenne de 1 679 heures par an, soit 224 heures de moins que l’Allemagne, 134 heures de moins que l’Italie et 177 heures de moins que le Royaume-Uni. Pire, la situation se serait même dégradée. En dix ans, selon l’institut privé, la durée de travail des salariés à temps plein aurait diminué de près de 14%, contre moins 6,1% en Allemagne. L’institut conclut que la France travaille trop peu, notamment à cause des 35 heures. Mais avant de hurler qu’il faut remettre la France au travail, sur un air de Pink Martini, arrêtons-nous un instant sur ces données.
D’où viennent ces données inédites ?
La question se pose, puisque toutes les études précédentes classaient la France dans la moyenne européenne au palmarès du temps de travail. L’institut a en fait demandé à Eurostat, l’institut européen de la statistique, de changer sa méthodologie sur le sujet. En résumé (l’explication méthodologique est à lire par ici) COE-Rexecode intègre désormais les semaines non travaillées par les salariés (vacances, congés maladie, RTT...) et surtout le cabinet s’intéresse aux salariés à temps plein, excluant les salariés à temps partiel. Deux modifications qui changent tout.
Cette nouvelle méthode est-elle juste ?
Pas vraiment, puisque choisir de ne retenir que les salariés à temps plein désavantage beaucoup la France. Tout d’abord parce que les Français à temps partiel travaillent eux 978 heures par an, soit beaucoup plus que les Allemands, et se situent dans la moyenne européenne. Quant aux travailleurs français indépendants, ils font parti des plus gros travailleurs de l’Union européenne de même catégorie, avec pas moins de 2 453 heures par an. La preuve par ici, dans la suite de l’étude du même cabinet.
A COE-Rexecode, on explique avoir « intentionnellement séparé travail à temps plein et travail à temps partiel pour dissocier la question du temps de travail de celle du marché du travail ». En clair ? « Il y a beaucoup plus de travail à temps partiel en Allemagne qu’en France, donc intégrer ces données tireraient la moyenne allemande vers le bas », assure COE-Rexecode. Celui-ci concède que la différence entre l’Allemagne et la France n’est plus que de 87 heures par an si l’on considère l’ensemble des salariés du pays. Précisons que ce dernier point ne figure pas dans l’étude publiée. Précisons également que l’Insee parvient lui au résultat inverse : la durée annuelle moyenne s’élèverait pour la France à 1 559 heures en 2009, contre 1 432 pour l’Allemagne.
Autre injustice : l’étude est très clémente avec l’Allemagne. Les calculs de Marianne ont montré que le nombre de jours non travaillés en Allemagne figurant dans l’étude sont inférieurs au nombre de jours officiellement chômés. « Non seulement le travailleur allemand redonnerait des jours à son employeur, mais il n’est jamais absent, jamais en formation, ni en congé maternité », ironise Marianne.
Dernier biais de l’étude, la comparaison dans le temps n’est pas juste s’alarme Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales dans Les Echos. Selon lui, la forte baisse de la durée du travail s’explique plus par ce changement méthodologique qu’à la mise en place des 35 heures.
Mais surtout : travaille-t-on trop peu ?
Malgré ces biais statistiques, la conclusion de l’étude est sans appel :« En France, la réduction de la durée légale du travail a entraîné une forte baisse de la durée effective du travail des salariés. Mais elle a manqué son objectif de créations d’emploi et de partage du travail. » Elle va même jusqu’à estimer que la réduction du temps de travail « a bridé le pouvoir d’achat par habitant », sans jamais le prouver. Une conclusion hâtive pour l’institut proche du Medef, qui est coutumier du fait. L’an dernier, il avait publié un rapport dénonçant le haut coût du travail en France par rapport à l’Allemagne... avant d’admettre une erreur statistique.
A croire que l’ensemble de l’étude a été coordonné pour prouver la supériorité du marché du travail allemand par rapport au nôtre. Une vérité que beaucoup de spécialistes contestent. D’abord parce que les salariés l’ont subi. L’Allemagne a parié sur le travail partiel quand la France pariait sur les 35 heures, comme le rappelle l’économiste de l’OFCE Mathieu Plane dans Les Echos. Plus de 21,7% des salariés allemands travaillent à temps partiel, contre 13,6% en France.
Ensuite, parce que cette stratégie n’a pas forcément été plus efficace. Mathieu Plane indique que la France a créé 7% d’emplois de plus que l’Allemagne entre 1999 et 2010 et que le volume total des heures travaillées y a moins baissé qu’outre-Rhin. Au-delà des chiffres, ce sont bien deux modèles de société qui s’opposent. Une divergence qui pourrait même l’une des causes de la crise de la zone euro, comme nous le rappelions par ici.
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