A la mairie de Zhengzhou, en plein cœur de la Chine, on n’est pas peu fiers d’être devenu la capitale mondiale de l’Iphone. En attendant plus. C’est en effet dans cette ville sans charme de 9 millions d’habitants, dans la province du Henan, que s’installe Foxconn Technology Group. Le plus important employeur privé de Chine et sous-traitant des plus grands : Apple, Sony ou encore Motorola. Foxconn fabrique notamment les fameux Iphone et les Ipad de dernière génération. Et pour cela, Zhengzhou lui déroule le tapis rouge : pas de taxe les premières années et une zone industrielle high-tech lui sera dédiée, à une encablure de l’aéroport. Sans compter des bretelles d’autoroutes et des voies de chemin de fer à grande vitesse. Les usines de Foxconn ne sont plus qu’à 5 heures de train de Pékin et guère plus loin des ports de Shanghai et du delta de la rivière des perles.
« Plus grand, plus facile et moins cher »
L’homme de ce transfert exceptionnel s’appelle Xue Yunwei. Costume trop large et verbe haut, le maire adjoint se voit déjà faire de sa province enclavée, une nouvelle Hong Kong. « Les trente dernières années ont été celles du miracle économique chinois, explique-t-il. Nous avons attiré les plus grandes sociétés de la planète dans les provinces côtières. Les prochaines décennies seront celles de la Chine de l’intérieur. » Visionnaire, Xue est surtout à la tête d’un formidable bassin de population. Avec ses 94 millions d’habitants, le Henan est plus peuplé que les Philippines et quasiment autant que le Mexique. C’est surtout l’un des foyers traditionnels des bataillons d’ouvriers migrants qui travaillent dans les usines de l’Est. « Alors pourquoi ne pas venir s’installer chez nous ?, demande-t-il goguenard. Ici, tout est plus grand, plus facile et moins cher. »
Ce VRP de la mondialisation s’amuse d’être aujourd’hui courtisé par les plus grands. Foxconn, mais aussi les constructeurs automobiles Ford et Nissan. Tous font la queue devant son bureau du centre-ville. « Il y a encore trois ans, personne ne voulait me recevoir. Mais, aujourd’hui, on ne trouve plus d’ouvrier acceptant de travailler pour 1 500 yuans par mois (environ 180 euros) à Shanghai. Ici c’est possible. Et ce n’est pas la main-d’œuvre qui manque. » Le salaire moyen dans cette province est en effet de 30% à 50% inférieur à celui pratiqué sur les côtes orientales. Pendant trente ans, la croissance chinoise s’est en effet concentrée autour de Shenzhen, Canton et Shanghai. Des provinces côtières où sont installés des kilomètres d’usines et d’ateliers dans lesquels travaillent près d’un demi-milliard d’ouvriers migrants, venus du Gansu, du Sichuan ou du Henan. Laissant parents et enfants à la campagne pour tenter leur chance dans ses ateliers de la sueur. « Mais depuis 2008, la situation a changé, explique Geoffrey Crothall, de l’ONG China Labour. Ces ouvriers veulent gagner davantage. Ils sont plus conscients de leurs droits et n’hésitent pas, on le voit régulièrement, à faire grève pour se faire entendre. »
Résultats, des augmentations de salaire de 20% à 30% dans le Guangdong et une main-d’œuvre de moins en moins servile. Le coût du travail augmente, le carnet de commande se vide avec la crise et les entreprises cherchent par tous les moyens à faire baisser les coûts et accroître la flexibilité. A Zhengzhou, le plus gros employeur était jusque-là Petrochina, le pétrolier d’Etat chinois. Aujourd’hui, la ville est au cœur du capitalisme mondial et s’apprête à aider au recrutement de 100 000 ouvriers pour Foxconn et quelques dizaines de milliers d’autres encore pour ses nouveaux clients. « Nous allons organiser des foires à l’emploi et aider ces entreprises à recruter rapidement la main d’œuvre dont ils ont besoin. Nous avons déjà commencé et plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers du Henan sont déjà au travail ici », sourit Xue.
100 000 ouvriers chez Foxconn
Au travail. Mais à quel prix ? Nous avons rencontré certains de ces nouveaux employés de Foxconn. Séduite par un salaire équivalent à 200 euros par mois, cette jeune fille de 23 ans et qui préfère rester anonyme, a d’abord été enchantée de pouvoir rester dans sa province. « Avant, pour travailler, il fallait laisser toute sa famille et s’installer dans le Sud, explique-t-elle Là-bas, la vie est dure et chère et on ne peut rentrer chez soi qu’une fois par an au moment du Nouvel an chinois. Là, j’étais toute contente au début parce que ce n’est qu’à deux heures de bus de chez mes parents et il y a une assurance et une cantine où l’on mange bien. Mais j’ai signé surtout pour le salaire. C’est deux fois plus que ce que je gagnais avant. »Mais la réalité est bien différente. Pour gagner ses 200 euros, elle doit accepter des cadences de travail infernales. Le modèle Foxconn qui veut que les pauses toilettes se limitent à dix minutes toutes les deux heures et que les heures supplémentaires soient imposées sans toujours être payées. Et puis il y a ces contremaîtres parfois violents qui ont poussé, on s’en souvient, aux suicides de plusieurs ouvriers de Foxconn. La cantine et les assurances ? Déduites de son salaire. Au final, c’est donc Foxconn qui tire son épingle du jeu. L’entreprise aura refusé de répondre à nos questions laissant ses ateliers à l’abri des curieux derrière de hauts murs et des gardes de sécurité omniprésents. Les 100 000 ouvriers de Foxconn seront au travail dans quelques semaines maintenant à Zhengzhou. Et Xue se félicite déjà de voir la croissance économique de sa province caracoler à 13% par an, contre 8,5% annoncés pour le reste de la Chine. Les investissements directs étrangers à Zhengzhou ont ainsi grimpé de 43% en 2011. Faisant de cette ville poussiéreuse le long du fleuve jaune, le nouveau phare de la mondialisation.
Cet article de Stéphane Pambrun, envoyé spécial à Zhengzhou, a été publié initialement le 9 janvier 2012 sur le site de Novethic, le média expert du développement durable.
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