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4-12-2008

Gibraltar : station-service de la Méditerranée

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Le détroit de Gibraltar est une autoroute : 100 000 bateaux, 66 millions de tonnes de marchandises, dont 20 d’hydrocarbures, y transitent chaque année. Dans la baie d’Algésiras, l’eau est polluée quotidiennement par le trafic, les ravitaillements en mer et les pillages de brut. Les pêcheurs raccrochent les filets.
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Un dimanche après-midi sur la plage d’El Rinconcillo, à Algésiras, nid de touristes anglo-saxons. En contrebas de l’imposant viaduc de béton qui serpente au-dessus de la mer, de fines couches de mazout collent aux rochers et colorent le sable blanc. « Ce sont des résidus du naufrage du New Flame  », lâche, dépité, Manuel, un pêcheur d’anguilles. Le New Flame, un cargo panaméen contenant 750 tonnes de pétrole et 42 000 tonnes de ferraille d’origine inconnue, a heurté un pétrolier danois en août 2007, à un mile nautique de Gibraltar. Après un an et demi de bataille diplomatique entre l’Espagne et le rocher de Gibraltar, le mât du New Flame émerge toujours à la surface de l’eau.

Et l’histoire, ici, bégaye. Début octobre 2008, deux autres bateaux, libériens cette fois, se sont échoués au même endroit, le Fedra et le Tawe. « Bienvenue dans la baie d’Algésiras ! », lâche le pêcheur. Le premier port espagnol et septième d’Europe pour le trafic de marchandises est une autoroute flottante où transite 10 % du trafic mondial : 66 millions de tonnes, dont 20 millions de pétrole, se chargent et se déchargent ici à l’année. Qu’il pleuve ou qu’il vente, quelque part dans la baie, on assiste à la même scène, digne d’une station-service. Un pétrolier pouvant contenir jusqu’à 100 000 litres de gazole se poste à quelques centimètres d’un cargo, venu se ravitailler en pleine mer.

Son objectif : économiser les taxes portuaires, qui peuvent s’élever à plusieurs milliers d’euros, et gagner du temps sur le trajet. « Le temps est la clé du trésor », note un observateur avisé. Au milieu du détroit de Gibraltar, le transfert de pétrole s’opère donc à tout-va. Jusqu’à 3 000 m3 à l’heure. Ce jour-là, à un mile nautique des côtes de Getares, l’Asia Graeca et le Spabunker Veintidos font affaire sous une légère brise, mais dans une mer d’huile.

10 % du trafic mondial

Quand tout se passe bien, les opérations durent entre quelques minutes et une heure. Mais il n’est pas rare que, dans la précipitation ou par inexpérience, des litres de pétrole s’échappent des pompes. En 2007, on estime que 5 millions de tonnes d’hydrocarbures ont été ainsi échangées dans la mer, lors de 50 000 à 75 000 transactions à haut risque. Le « bunkering », ou vol de pétrole brut, est chose courante dans le détroit de Gibraltar, un no man’s land pas tout à fait britannique, ni tout à fait espagnol, ni même marocain, qui échappe souvent à la vigilance des autorités maritimes.

« Cette pratique, souvent effectuée sur de vieux bateaux monocoques, est à l’origine de nombreuses petites pollutions qui sont moins spectaculaires que les grandes marées noires, mais aux effets tout aussi désastreux », s’inquiète Antonio Muños, porte-parole de l’association écologiste Verdemar. En 2007, l’université de Cadix (Espagne) a mené une étude sur la qualité des sédiments de la baie d’Algésiras. Ses conclusions sont alarmantes : les « petites » pollutions quotidiennes liées aux rejets accidentels ont davantage altéré les sédiments andalous que les 63 000 tonnes répandues sur les côtes de Galice lors de la catastrophe du Prestige en 2002.

Même la très puissante Autorité portuaire de la baie d’Algésiras reconnaît que les activités portuaires, « si elles ne se développent pas de manière adéquate, pourraient avoir des conséquences environnementales sur la faune et la flore ». Mais les pollutions accidentelles – en théorie punies par une amende de 600 000 euros – continuent d’être monnaie courante Le détroit de Gibraltar est victime de son succès. Ferries, cargos, pétroliers et même sous-marins nucléaires… Près de 100 000 navires s’engouffrent, chaque année, dans le détroit de Gibraltar, soit 10% du trafic mondial.

« Notre Dieu »

A El Rinconcillo, l’odeur du fioul couvre celle de l’air iodé. A deux pas des jeux pour enfants, Manuel, le pêcheur d’anguilles, est d’humeur fataliste. « Tu te trouves ici sur la déchetterie maritime de l’Europe. Que peut-on faire de notre côté ? Les industries sont partout et constituent une importante source d’emplois. S’y opposer, cela revient à mener le combat du pot de terre contre le pot de fer. » L’activité portuaire pèse en effet lourd. En mer ou sur terre, elle représente un emploi sur deux dans la région et 7 % du PIB de l’Andalousie. Les anciens lui ont d’ailleurs donné un surnom, « Notre Dieu » !

Un magot que les Andalous doivent en partie à Franco, le dictateur espagnol. En 1969, pensant torpiller l’économie britannique, il décide de fermer la frontière entre l’Espagne et Gibraltar. Les 6 000 travailleurs espagnols ayant un poste sur le rocher de Gibraltar se retrouvent le bec dans l’eau. Pour acheter la paix sociale, Franco décide d’implanter un pôle industriel sur la baie d’Algésiras.

Du coup, à San Roque, Los Barrios ou La Linea, les communes frontalières de la cité portuaire, les usines ont poussé comme des champignons : acier, papier, raffineries. Les subventions à coup de millions d’euros ont permis de créer des infrastructures dernier cri et des emplois par milliers… « Tout se lit à travers le prisme lucratif du port », commente Jesús Cabaleiro, journaliste au Faro d’Algésiras. Conséquence : les pêcheurs du vieux port sont en danger. Pour eux, l’arrivée massive des grues, des supertankers et des conteneurs a signé l’arrêt de mort d’une profession importée par les Vénitiens il y a maintenant 300 ans.

Poissons frais du Maroc

Accroché à ce qu’il reste du vieux port, Santiago est l’un des derniers marins à jeter le filet dans la baie. Il n’est pas sorti en mer depuis quinze jours et peine à contenir sa colère. « Personne ne nous entend. C’est tout pour le port et rien pour nous. » Dans les années 1980, « la belle époque » dit encore Santiago, l’« île verte » comptait près de 1 500 pêcheurs, contre à peine 200 aujourd’hui. « Ce n’est plus un secteur rentable, confirme Francisco Soler Ucles, le président de la confrérie de la pêche. Auparavant, un pêcheur générait 4 à 5 emplois, mais avec les restrictions de l’Union européenne, le développement de l’activité maritime industrielle et l’augmentation du coût du gazole, la pêche a périclité. »

Les marins ont délaissé leurs filets et se sont reconvertis dans la construction, l’hôtellerie ou l’agriculture. Même au bouillonnant marché de Torroja, le poumon de la ville, le poisson frais en provenance de la baie a pris ses cliques et ses claques. « La plupart des poissons viennent désormais du Maroc », confie Christina, une revendeuse, qui achète ses produits frais directement dans les frigos des pêcheurs de Tanger, mais aussi de Barcelone ou d’Italie, et les revend entre 4 et 7 euros le kg.

« Avec les pollutions, les marées noires, les poissons sont contaminés par le plomb et le fer. Du coup, ils sont invendables. Pour nous, qui sommes en fin de chaîne, c’est très difficile. Et l’importation demeure la seule solution qui nous permette de vivre encore de ce métier. » La pollution ne tue pas seulement les poissons de Gibraltar. Sur la nationale 350, qui mène au « Rocher  », le long de la plage de Guadarranque, les murs des maisons qui jouxtent la raffinerie du géant pétrolier espagnol Cepsa en racontent plus que de longs discours. On peut y lire : « Cepsa complice de contamination ! Cepsa, si tu ne construisais pas de grandes usines ici, il n’y aurait pas autant de morts du cancer. » Depuis quelques années, les études sur les effets des pollutions sur la santé s’empilent sur les bureaux des politiques espagnols. La dernière, remise au ministre de la Santé et publiée en 2006, révèle que la province de Cadix détient un niveau de mortalité par le cancer supérieur à la moyenne espagnole et européenne. Les plus répandus sont ceux de l’oesophage.

Pour José Gonzalez, un ancien pêcheur traditionnel du vieux port, natif de Guadarranque, l’industrie maritime et pétrochimique de la baie d’Algésiras est encore trop puissante pour que les langues se délient. « Même si les gens meurent du cancer, beaucoup considèrent qu’on ne doit pas en parler. » Il s’interrompt, coupe le moteur devant un camion citerne de Cepsa, en feux de détresse sur le bord de mer. Huit ouvriers s’affairent, visage fermé, autour d’une grosse pompe enfouie dans le sable. Ils ne souhaitent pas être pris en photo. « C’est une pollution accidentelle de l’usine, lâche José, désabusé. C’est “Notre Dieu” qui le veut... » —

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