En découvrant l’affiche dans la rue qui clame « Aidons l’Afrique. 1 bouteille d’huile Lesieur achetée = 1 bouteille envoyée », on peut se sentir légitimement agacé(e). Utiliser l’immense détresse de l’Afrique, jouer sur la famine qui ravage l’Est du continent, pour nous vendre des bouteilles d’huile… Attention, terrain glissant ! Mais en creusant, on s’aperçoit que la situation est un petit peu plus complexe. Et qu’il n’y a peut-être pas lieu de pousser des cris d’orfraie contre Lesieur.
Stratégie
Sur le site Internet de la marque, une large fenêtre envahit la page d’accueil. « Une grave famine, due à une sécheresse intense, sévit actuellement dans la corne de l’Afrique (Somalie, Ethiopie, Kenya, Djibouti), peut-on y lire. Plus de 12 millions de personnes sont frappées. Et la situation risque non seulement de s’étendre à l’ensemble de l’Afrique de l’Est, mais également de durer dans les mois à venir. »
Pour que Lesieur honore son engagement – envoyer une bouteille d’huile en Afrique pour chaque bouteille de la marque achetée –, les clients doivent participer. Ils sont invités à envoyer leur ticket de caisse par la poste ou par Internet, en le scannant. L’opération devait initialement durer jusqu’au 17 octobre, elle s’est en fait prolongée jusqu’au 31. Et le site de Lesieur d’inviter en prime les internautes à faire un don à l’Unicef.
Cas d’école
Ce que la pub ne dit qu’en tout petit en bas de l’affiche, c’est que Lesieur a déjà envoyé 20 tonnes d’huile. « Cet été, face à l’urgence, le gouvernement français appelle les entreprises à se mobiliser massivement, écrivait l’Unicef dans un communiqué du 23 septembre, pour contribuer à l’aide humanitaire dans les régions affectées par la grave crise nutritionnelle. » Lesieur a répondu à l’appel et s’est engagé aux côtés des agences des Nations unies, à travers la mise en place d’une opération nommée « Aidons la corne de l’Afrique ». Les bouteilles d’huile de colza enrichies en vitamines A et D, conditionnées dans des formats carrés pour occuper moins de place, ont quitté Toulon le 1er septembre pour Djibouti, en même temps que 380 tonnes de vivres pris en charge par le Programme alimentaire mondial (PAM). Avec la farine de blé et de maïs, les légumineuses et le riz, elles font partie des denrées de base utiles identifiées par le PAM.« Nous avons vite pris conscience qu’il nous fallait aller au-delà de ce qui nous était demandé, explique David Garbous, directeur marketing de Lesieur. Pour agir vite et fort, il faut mobiliser le plus grand nombre. C’est pourquoi nous avons eu l’idée de demander à nos clients d’être présents à nos côtés. » D’où la campagne de pub. Les agences qui l’ont montée – en une dizaine de jours – et les médias qui ont diffusé affiches, spots télé et radio, n’ont pas réclamé un centime. Soit un plan com à un million d’euros… entièrement gratuit.
Verdict
Tout ça pour obtenir… 895 promesses de don le 18 octobre. « Bien sûr, nous sommes déçus par cette faible réaction, confie Anne Moreau, responsable communication et développement durable chez Lesieur. Mais le buzz a été très positif même si la mécanique n’a pas fonctionné. » Du coup, Lesieur a envoyé 50 tonnes supplémentaires. Elles feront le voyage dans un conteneur mis à disposition par le ministère des Affaires étrangères et seront prises en charge à leur arrivée par l’Unicef. Au total, l’opération aura coûté 400 000 euros à l’entreprise, la moitié pour la production de l’huile, l’autre pour des frais techniques divers. « Soit un don en nature conséquent pour nous », précise David Garbous. Et une collaboration menée avec les organisations les plus sérieuses, si bien que l’agacement initial finit… par nous glisser dessus. —Avis de l’expert : 2,5/5
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