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28-05-2008

Abidjan : Dans l’écume du "Probo Koala"

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En août 2006, le navire déverse plus de 500 tonnes de déchets toxiques dans le port de la capitale économique ivoirienne. Depuis, les victimes bataillent pour se faire reconnaître, la justice ivoirienne a clos l’affaire et le « Probo Koala » navigue sous un autre nom.
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La puanteur transpire des tas d’immondices dans lesquels fourmillent hommes, femmes et enfants. Ici, on vient trouver en famille des sacs plastique, de la ferraille… Tout ce qui, raccommodé, peut se revendre pour quelques francs CFA. Les camions-bennes, eux, poursuivent leur ballet, chargés d’ordures à l’aller et de terre au retour. Dans la décharge d’Akouédo, au nord d’Abidjan, on ne s’offusque pas de la présence du visiteur. D’ailleurs, l’entrée n’est plus gardée depuis longtemps. C’est pourtant là, en août 2006, que les déchets toxiques du navire Probo Koala ont été déversés. Là et dans quatorze autres sites éparpillés autour de la capitale ivoirienne.

Pas un Abidjanais ne peut oublier cette saisissante odeur d’oeuf pourri à la fin de l’été 2006. Dans la nuit du 19 au 20 août, le navire Probo Koala, affrété par la société Trafigura, se débarrasse de déchets d’exploitation dont il ne sait que faire : 528 tonnes d’un mélange de soude caustique, de soufre, de mercaptans, de phénols et autres hydrocarbures. Dans les jours qui suivent, la capitale économique ivoirienne suffoque. Sous la pression de la population, l’Etat ouvre des consultations médicales gratuites. Les Nations unies dépêchent une équipe d’urgence pour évaluer la gravité de la situation. Verdict : les composants des déchets « peuvent être nocifs à l’environnement et aux êtres humains », affirme, sibylline, l’agence dans un rapport rendu à la mi-septembre 2006. Sur ses recommandations, des plantations situées à proximité des sites pollués sont arrachées.

Un accord à la Ponce Pilate - ?

Officiellement, les émanations toxiques ont tué quinze personnes, envoyé à l’hôpital pour plusieurs jours une soixantaine d’autres et contraint une centaine de milliers à consulter un médecin. Au passage, le gouvernement a remis sa démission. Le président Laurent Gbagbo lui reprochait sa mauvaise gestion de l’affaire. Dans une Côte-d’Ivoire coupée en deux depuis quatre ans par un conflit armé, l’affaire remue. Il n’en subsiste aujourd’hui que l’écume, au grand dam de certaines associations, parmi lesquelles la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho).

« A notre grande surprise, nous avons appris que le président de la République avait signé un accord avec la société Trafigura alors qu’une enquête est encore en cours », assure Patrick N’Gouan, le président de la Lidho, début 2008, dans ses locaux. En février 2007, soit six mois après le déversement des déchets, la société a en effet donné à l’Etat ivoirien la somme de 100 milliards de francs CFA (152 millions d’euros) en guise de « dédommagement ». En échange, la justice ivoirienne devait mettre son action en sourdine. Une entente à la Ponce Pilate ? Patrick N’Gouan en est convaincu : « Dans cet accord, aucune partie ne reconnaît sa responsabilité. »

Jeu de cache-cache

Les mécontents ont donc choisi de déplacer leurs actions sur d’autres terrains. Sur trois fronts plus précisément. D’abord en Angleterre, sous la houlette du cabinet d’avocats Leigh, Day and Co, conseils de plus de 5 000 personnes, puisque la société Trafigura possède un siège à Londres. Ensuite à Paris, aux côtés de l’avocat William Bourdon, président de l’association de juristes Sherpa, parce que certains dirigeants de la société et des victimes sont français. Aux Pays-Bas enfin, où le navire avait d’abord tenté de décharger son colis encombrant. Stratégie gagnante ? Les avocats hollandais ont en tout cas obtenu que Trafigura, le capitaine du Probo Koala, la ville d’Amsterdam et une société de retraitement de déchets soient convoqués, les 26 et 27 juin prochains, devant un juge de La Haye.

En France, une enquête préliminaire est en cours. « Des critiques ont émergé sur les conditions dans lesquelles la transaction [entre Trafigura et l’Etat ivoirien, ndlr] a été signée et exécutée, rappelle l’avocat parisien William Bourdon. De plus, il est avéré qu’un pourcentage important de victimes de cette catastrophe n’ont pas été dédommagées ou pas assez. Il est donc raisonnable de rechercher la responsabilité de ceux qui sont à l’origine de cette catastrophe. »

Ces responsables, selon la défense de la société Trafigura, sont à chercher du côté de Tommy, la société ivoirienne à qui la gestion des déchets avait été confiée. Celle-ci n’avait été agréée pour l’épandage dans les décharges d’Abidjan que le 12 juillet 2006, soit à peine plus d’un mois avant l’arrivée du Probo Koala dans le port d’Abidjan. Trafigura a-t-elle été entendue ? Fin mars, la cour d’appel d’Abidjan abandonne en tout cas les charges criminelles « devant le manque de preuves », blanchissant définitivement la société de toute responsabilité.

Dans la foulée, le directeur général de Tommy est arrêté dans la métropole ivoirienne et inculpé d’« empoisonnement ». La commission nationale d’enquête le considère comme l’« auteur principal du déversement des déchets ».

De 100 000 à 250 000 victimes

Un peu dépassées par tout ça, les victimes supposées et réelles continuent de se dépatouiller avec leurs maigres moyens. Officiellement, le dédommagement financier doit s’achever prochainement, ainsi que l’assurait le directeur du Trésor public, à la mi-décembre 2007. A raison de 200 000 francs CFA (environ 300 euros) pour les victimes « ambulatoires  », c’est-à-dire recensées dans les centres de santé, 2 millions FCFA (3 000 euros) pour celles qui ont été hospitalisées, et 100 millions FCFA (150 000 euros) pour les ayants droit des personnes décédées. Un processus en apparence efficace. Pas pour de nombreuses associations. Résultat : quand l’Etat ivoirien dénombre 100 000 victimes, d’autres en recensent environ 250 000, comme la Fédération nationale des associations des victimes des déchets toxiques de Côte-d’Ivoire (Fenavidet-CI).

De nouvelles listes de « victimes » sont ainsi dressées. Avec un grief récurrent : l’Etat n’a reconnu que celles enregistrées dans un centre de santé agréé par ses services. « Or, à l’hôpital, les médecins distribuaient du paracétamol. Moi, je ne voulais pas faire la queue dès 4 heures du matin juste pour ça. Donc je n’ai pas été recensé », explique Félix Guihounou, dans sa petite maison du nord d’Abidjan. A un kilomètre de chez lui se trouve l’immense décharge d’Akouédo. Son voisin, Pierre, n’a pas eu de chance : « Je suis allé à l’hôpital avec mes enfants, mais on a mal écrit mon nom. Seuls quatre d’entre eux ont reçu de l’argent. » Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se plaignent encore de toux, de maux de tête et de problèmes de peau. La faute aux déchets toxiques ? Difficile de le savoir avec certitude. D’après l’étude onusienne, les déchets, évaporés ou rincés par les pluies, ne présentent pas de risques à long terme. Mais à entendre le docteur Pilah, de la Lidho, aucune étude épidémiologique n’a été ou n’est menée.

Manifestations durement réprimées

Pour l’Etat ivoirien qui, fin décembre 2006, dédommageait une vingtaine d’entreprises, le débat est considéré comme « stérile ». Si aucune société n’a protesté, les syndicats de salariés du port se sont faits entendre, fin janvier. Ils ont organisé une manifestation, par ailleurs durement réprimée. Les petites mains du port, leurs femmes et leurs enfants, s’entassent dans des abris de fortune, non loin des hangars de stockage avec leurs milliers de conteneurs. « On dédommage les entreprises, mais pas leurs employés et leurs familles ! », fulmine Basile Mahan Gahé, secrétaire général de Dignité, la confédération ivoirienne des syndicats libres. Dans son bureau, à l’autre bout de la ville, trône un épais dossier, dont on ne saura rien, mais que le syndicaliste avait avec lui, en février, quand il a rencontré le président Gbagbo. Qui lui a promis de mettre en place une nouvelle commission… chargée de recenser les victimes des déchets toxiques.

L’affaire n’a pas changé grand-chose aux habitudes du port d’Abidjan, dépourvu de moyens d’organisation et de formation. Mettant en avant sa solide législation de protection – hélas, très peu appliquée –, le pays a les yeux braqués sur la relance de son commerce. Le scandale du Probo Koala l’a néanmoins obligé à renforcer sa vigilance. Mais les armateurs les moins scrupuleux sont revenus, après avoir évité un temps la Côte-d’Ivoire. Dans ce domaine, « il n’y a pas plus réactif que quelqu’un qui veut contourner une législation ou en exploiter les failles », regrette Charlotte Nithart, juriste à Robin des Bois, association de protection de l’homme et de l’environnement, en pointe dans le dossier. Certains ports africains ou asiatiques continuent ainsi d’accueillir des déchets que des autorités européennes obligeraient à traiter.

De son côté, la société Trafigura commerce de nouveau avec Abidjan. Difficile pour elle de se passer de cette porte d’entrée sur Afrique de l’Ouest. Et pour les autorités ivoiriennes impossible de s’interdire de tels échanges marchands. Sur le Vieux Continent, l’Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) a constitué un groupe de travail sur la gestion des déchets. « Ça bouge. Doucement, mais ça bouge », note la juriste de Robin des Bois. Pendant ce temps, le Probo Koala vogue vers d’autres horizons.

Depuis décembre 2006, il navigue sous le nom de Gulf Jash et sous pavillon panaméen. « Le navire a été inspecté en août 2007 à Zhangjiagang, en Chine, avec huit déficiences dont une concernant la convention internationale Marpol », relative à la prévention de la pollution des mers (lire ci-contre), relève Charlotte Nithart. Il y a quelques mois, la société Trafigura faisait publier dans la presse spécialisée une petite annonce d’embauche d’un Ship Quality Assessment Director, personne censée maîtriser les réglementations Marpol… Histoire d’éviter de nouvelles tempêtes. —

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