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3-01-2008
Mots clés
Marques, Marketing
Monde

La publicité à fleur de peau

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Les corps humains transformés en panneaux de réclame. Des mètres carrés de peaux à tatouer. Ce rêve d’agences de com n’est plus totalement de la science-fiction.
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La peau de Brooke ne vaut pas un kopek. Cet Australien comptait pourtant vendre cher son front comme support publicitaire vivant. Fin novembre, c’est sous le nom de « rednecksombie138  », qu’il a mis aux enchères le tiers supérieur de son visage à 500 000 dollars (340 000 euros), prix de départ, invitant n’importe quelle marque audacieuse à y tatouer son nom pour une durée de deux ans. Pas d’acquéreur. « Je vais réessayer en diminuant le prix de départ, mais j’ai peu d’espoir », explique le jeune homme déçu qui misait sur cette singulière manière, « la plus simple et la plus rapide », de gagner assez d’argent pour se sortir de difficultés financières. A défaut du front de Brooke, il était possible, au même moment, de choisir le dos de David Lepage, un habitant de Floride, pour y graver son logo. Les 2 millions de dollars (1 350 000 euros) demandés étaient supposés financer le lancement de sa société dans l’industrie du divertissement. Mais là encore, chou blanc.

Caricature de l’homme-sandwich

Ces centimètres carrés d’épiderme transformés en panneaux muraux ressemblent à une série B futuriste. Pourtant, le phénomène est réel. En 2003, le casino en ligne Golden Palace a versé 15 000 dollars sur le compte de Karolyne Smith, une Américaine de l’Utah, pour qu’elle tatoue définitivement son front à l’enseigne du site de jeux. Vidéo à l’appui, l’événement a fait du bruit, notamment sur le Net. L’enseigne a remis le couvert en rémunérant des streakers (spectateurs qui traversent nus les pelouses de stades) pour débouler tatoués sur les terrains d’événements sportifs internationaux. « C’est un retour peu réjouissant, à la fois banal et paroxystique, caricatural même, de l’homme-sandwich, analyse Thomas Jamet, codirecteur de l’agence Reload (Publicis groupe media). Ce phénomène fait partie du nouveau contrat de notre société : les marques font passer des messages par nous. » Et le publicitaire de faire remarquer que le mot « brand » (« marque » en anglais) désigne avant tout le marquage au fer rouge des taureaux.

En France, l’agence Tribeca s’est elle aussi creusé les méninges. En 2005, plusieurs milliers de tatouages temporaires ont été distribués gracieusement aux participants de la course Marseille-Cassis pour le compte de Nike, l’un des sponsors. L’image figurait un coeur traversé de la mention « Gineste forever », du nom de la côte la plus dure à grimper, précédée du logo de la marque. « C’est une traduction de ce qui se fait aux Etats-Unis, mais de manière ludique. Aller plus loin serait contre-productif pour le client. On ne peut pas rire avec tout », explique Laurent Valembert, directeur de l’agence. L’opération fut à peine plus sulfureuse qu’une vignette Malabar.

« La grande fête de la marque »

Faut-il s’attendre à lire des « J’aime mon Vuitton », ou « Kro pour toujours » sur les avant-bras de nos concitoyens dûment rémunérés ? « C’est de la science-fiction, rétorque Romain Achard, directeur associé de l’agence Nouveau Jour. Un tel phénomène correspond davantage à un défi qu’à une idée industrielle. Le corps humain n’est pas un vrai support. » Pas d’un point de vue économique en tout cas. Quelques entrepreneurs s’y sont bien essayés. Au Canada, le site TatAd, une plate-forme mettant en relation candidat au tatouage et annonceurs, n’a pas fait fortune. Aux Etats-Unis la société Handvertising – amalgamant main (hand) et publicité (advertising) – tente de faire parler d’elle, sans gros succès pour l’instant.

Car les tatoueurs le savent, des milliers de jeunes se font déjà dessiner sur la peau la fameuse vague de Nike, sans contrepartie. « Dans la société du spectacle, il s’agit d’en mettre plein la vue, de participer à la grande fête de la marque ! De longue date, le corps est devenu un écran sur lequel projeter ses fantasmes et ses rêves », explique le sociologue David Le Breton. Porter le logo de la multinationale sportive pour lerestant de sa vie ne fait pas peur. Au contraire. L’inscription participe d’un partage des valeurs véhiculées par l’équipementier. Les messages « je peux être fort », « je peux atteindre mes buts », « je peux maîtriser la douleur » n’ont effectivement rien d’infamant. La chercheuse Fabienne Martin-Juchat, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Grenoble, est beaucoup plus mesurée. Celle-ci inscrit cette pratique dans une logique sociohistorique. « Aujourd’hui, investir dans un projet collectif est insécurisant. Les gens se replient donc sur leur corps, le seul domaine contrôlable. Celui- ci devient un instrument au service du développement personnel. Pourquoi pas un média publicitaire  ? » Pour cette spécialiste, la marchandisation du corps humain est en route. « L’idée de faire de son corps son propre projet entre dans une logique de l’individualisme moderne. Typique des Etats-Unis, cette tendance envahit aujourd’hui l’Europe, avec certes, des résistances », conclut-elle. Le temps des vignettes Malabar décalquées sur les avant-bras semble définitivement révolu. —


Epiderme invendable en France « En droit français, la réponse à un tel phénomène est claire : le corps est hors commerce », explique Michel Dupuis, professeur de droit à Lille-II. L’article 6 du Code civil énonce que des conventions ne peuvent être passées en étant contraires à l’ordre public et aux bonnes moeurs. « Le Vieux Continent a une vision de la morale et de l’éthique qui sacralise l’homme », ajoute-t-il. Pour le juriste, la question est la suivante : jusqu’où peut-on contraindre une personne à renoncer à une liberté enfreignant l’ordre ? Or, en 1996, une campagne d’affichage Benetton, exposant des personnes tatouées « HIV positive », fut condamnée, au motif de non-respect de la dignité humaine. « Dans cette affaire, la personne, même consentante, disparaissait derrière son corps, utilisé comme objet », rappelle Marie-Angèle Hermitte, chercheuse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, pour qui vendre sa peau à une marque tomberait sans doute sous le coup d’un même raisonnement.

Sources de cet article

- « Le corps communiquant, le XXIe siècle, civilisation du corps ? », ouvrage coordonné par Béatrice Galinon-Melenec et Fabienne Martin-Juchat (L’Harmattan, 2007).

- « En souffrance, adolescence et entrée dans la vie », David Le Breton, (Métailé, 2007).

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