En quoi un slogan à la radio peut-il réactiver chez le consommateur sa mémoire visuelle d’un spot télévisé ? Un emballage dans les tons blanc et bleu va-t-il le rassurer sur les vertus d’un médicament ou d’un yaourt ? Ces deux exemples participent d’une méthode aux atours scientifiques, encore peu connue en France et censée doper l’efficacité du marketing. Dans le jargon, on parle de neuromarketing. Cette technique consiste à appliquer les connaissances sur le fonctionnement du cerveau à des stratégies de communication.
Néocortex et émotions
Pour les campagnes publicitaires, les scientifiques repèrent, par imagerie cérébrale, les signaux visuels ou sonores qui déclenchent le plus de sensations chez le consommateur, telles l’envie ou le plaisir. En fait, il s’agit d’associer le marketing à la recherche médicale. « C’est la caution scientifique qu’attendaient les marketteurs, décrypte la journaliste Marie Benilde [1].Ils se rendent compte qu’il est très difficile de défendre la publicité traditionnelle, alors que les médias en ligne permettent de suivre à la trace le consommateur (tracking). » La finalité de cette méthode, vue du côté des « professionnels » du secteur, a, pour le moins, le mérite d’être clair. « L’émotion crée la décision, mais on ne sait pas si une publicité qui fait rire ou pleurer va inciter les gens à acheter plus vite. La stratégie marketing consiste à deviner les besoins reptiliens des gens », confie Patrick Renvoisé, cofondateur de la société de consultants Salesbrain, établie à San Francisco. « C’est toujours la même partie du cerveau qui commande. On distingue le néocortex, où sont prises les décisions rationnelles, le cerveau reptilien, la partie émotionnelle du cerveau, qui opte pour agir ou non, et le cervelet, pour les décisions de survie ».
Rats de laboratoire
Plusieurs agences placent leurs pions sur ce marché naissant, alors que L’Oréal, Altadis, Levi-Strauss, Alcatel et Coca-Cola ont déjà investi dans ces méthodes pour affiner leurs stratégies commerciales, faisant parfois appel aux services de chercheurs. Dernier exemple en date, le groupe Omnicom, leader mondial de la publicité, a ouvert, il y a quelques semaines en France, PHD, une agence de conseil spécialisée dans le neuroplanning. Pour étudier l’influence des différents types de médias sur les zones du cerveau, PHD a testé en milieu hospitalier, via un scanner, 60 messages publicitaires-types diffusés sur différents médias. Objectif : « Voir lesquels touchent plus ou moins la zone des émotions », explique Christophe Brossard, directeur général de l’agence PHD.Il compte déjà parmi ses clients Gap, Expedia et Stage Entertainment – qui promeut la future comédie musicale Le Roi lion. Mais PHD n’est pas la première à se lancer sur ce créneau. Fondée en 2001, Impact mémoire fut pionnière en la matière, même si elle s’en défend aujourd’hui [2]. A l’époque, la société défraya même la chronique. « Pour lancer Impact Mémoire, affirme Marie Bénilde, le publicitaire Bruno Poyet avait réussi à convaincre le psychologue Olivier Koenig et le neurologue Bernard Croisile de participer à l’aventure. En fait, ces spécialistes ont servi de caution à Bruno Poyet, qui démarche des régies publicitaires et des annonceurs. »
L’attaque des neurones
De leur côté, l’université de Lyon 2, où travaille Olivier Koenig, et le CHU de Lyon, où Bernard Croisile est chef de service, organisent des expériences sur l’acuité visuelle ou la mémorisation. Une centaine de cobayes testent par exemple le souvenir inconscient qu’un individu garde d’un message audiovisuel, sonore ou écrit. Ces études servent ensuite à montrer comment diffuser un message publicitaire en utilisant les différents médias du groupe Lagardère. « Problème : les cobayes ignoraient alors servir de rats de laboratoire à l’industrie publicitaire et s’imaginaient travailler pour la science », rapporte Marie Bénilde. Parmi les clients d’Impact mémoire : Bonduelle, Bongrain, Francine, Nestlé, et… le Syndicat national de la publicité télévisuelle.Depuis ces faits, le neuromarketing, que l’on peut résumer comme l’utilisation de recherches médicales à des fins commerciales, continue de poser des questions éthiques. Au point qu’aux Etats-Unis, la structure de veille Commercial Alert est allée jusqu’à saisir le Bureau américain des protections sur la recherche humaine en 2004. En vain. Le marketteur Patrick Renvoisé nuance, lui, la portée de cette pratique. « Il existe une peur ancestrale du neuromarketing, mais les recherches que l’on effectue sur le cerveau sont grossières. »
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