Par Michel Monette, bloggueur
Il n’y a pas si longtemps, on ironisait sur le fait que l’économie allait bien puisque le chômage était à la hausse. Il est vrai que le taux de chômage est calculé sur la base des personnes à la recherche d’un emploi au cours d’une période donnée. Les chômeurs seraient donc des exclus ayant repris espoir. Depuis lors, les choses vont de mieux en mieux pour le capitalisme. Or, il se trouve aussi que la pauvreté la plus abjecte est à la hausse dans l’économie la plus puissante du monde. Cette fois, on ne rit plus.
La nouvelle n’a pas fait les manchettes, même si elle aurait dû recevoir une plus grande couverture de presse : l’extrême pauvreté gagne du terrain aux États-Unis. Il n’y a jamais eu autant d’Américains vivant dans une pauvreté profonde et sévère depuis les 36 dernières années. (U.S. economy leaving record numbers in severe poverty)
L’entrée en fonction du président Bush coïncide avec une période d’accroissement spectaculaire de l’extrême pauvreté : 26% de plus entre 2000 et 2005. Cela représente quatre millions de personnes de plus, hommes, femmes et enfants, en quelques années à peine. Plus de quatre pauvres sur dix (il y a 37 millions de pauvres aux États-Unis) vivent sous le seuil de pauvreté.
Faites le calcul : des salaires qui stagnent, plus un niveau d’emploi qui ne bouge pas, plus une productivité du travail qui augmente en flèche, cela donne à la fois des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres.
Avouons que le paradoxe a de quoi surprendre : l’accroissement de la richesse engendre celle de la pire pauvreté. Voilà le genre de situation à laquelle on s’attendrait dans une république bananière. Or, elle se produit bel et bien dans le pays qui se pose en défenseur de la démocratie.
Le salarié-rentier bouffe du pauvre
Dans leur ouvrage Le descenseur social, Philippe Guibert et Alain Mergier, rendent bien la réalité de la crise sociale profonde que traversent les États-Unis. Cette crise est une manifestation d’une fracture grandissante séparant la société américaine entre ceux qui ont les moyens de se constituer une rente pour leur retraite et ceux qui ne les ont pas.Peut-on reprocher aux salariés qui en ont les moyens de chercher à obtenir le meilleur rendement possible pour les placements qui constitueront leurs futures prestations de retraite ? Ont-ils le choix d’ailleurs, quand on sait qu’ils doivent financer leurs régimes de retraite par capitalisation ?
Voilà que surgit un autre paradoxe de l’économie américaine : ceux-là mêmes qui font pression pour que leurs régimes de retraite aient des rendements élevés ne sont même pas certains d’avoir des prestations à la hauteur de leurs attentes.
Alors surgit une autre pression pour que les impôts diminuent et que le coût de la vie n’augmente pas. Tant pis pour la redistribution de la richesse. Même les travailleurs invités sont appelés à la rescousse dans cette course à la baisse du coût de la main-d’oeuvre.
Déjà en 1999, Dominique Plihon, président du conseil scientifique d’ATTAC France, écrivait : les « salariés-rentiers sont [...] doublement perdants : comme salariés, ils supportent les conséquences de la « flexibilité » exigée par la recherche effrénée du profit maximal immédiat ; en tant qu’épargnants, ils assument en première ligne les risques liés à l’instabilité des marchés financiers. » (Le Monde diplomatique. La duperie des fonds de pension. Au nom des entreprises ?)
En fait, ils le sont triplement puisque l’État assume de moins en moins les risques sociaux. Certains se demandent si nous avons les moyens de nous offrir un État qui voit à la redistribution de la richesse. Voilà bien la plus hypocrite des questions alors même que l’expérience américaine démontre clairement quelle est l’alternative.
Ils devraient avoir le courage d’admettre que le sort des plus démunis, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, les laisse indifférents.
Quel taux de rendement déjà, cette semaine ?
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