Pour croquer son compatriote Aventis, l’entreprise Sanofi a mis sur la table 48 milliards de dollars et un argument massue : avec davantage de moyens financiers, la recherche pharmaceutique avancera plus vite. Ce discours officiel a été martelé par une campagne de communication de 6 millions d’euros. Objectif : "Positionner cette opération comme urgente et évidente dans l’opinion publique, y compris auprès des élus, des salariés et des décideurs", explique Eric Giuily, le président de Publicis consultants, à l’origine de cette campagne. Celle-ci a mis en scène un petit garçon malade au regard triste, et un slogan : "Si la fusion ne se fait pas, qui expliquera au "petit Louis" qu’on ne le soignera que dans vingt ans ?"
- Illustration : Ponofob
La chasse au blockbuster
La sincérité de ce discours, souvent mis en avant par l’industrie pharmaceutique, est mise en doute par plusieurs professionnels.
"D’abord, fusionner des équipes de recherche travaillant dans des domaines différents n’est pas chose facile et peut même ralentir les recherches", souligne Philippe Pignarre, ancien directeur de la communication de Synthélabo, aujourd’hui éditeur. Ensuite,
"dire qu’on a plus de chances de trouver des médicaments quand la recherche a davantage de moyens financiers n’est pas faux. Malheureusement, on oublie de dire que les fusions d’entreprises se traduisent par une focalisation sur quelques médicaments", souligne Thierry Bodin, statisticien et élu CGT au comité central d’entreprise d’Aventis Pharma SA. En 2003, Sanofi-Synthélabo a ainsi réalisé 52% de ses ventes mondiales avec seulement quatre médicaments. Les industries pharmaceutiques misent en fait sur quelques "blockbusters", ces traitements susceptibles de rapporter plus d’un milliard de dollars et de garantir un taux de profit supérieur à 15% par an.
"Notre stratégie est de laisser tomber les médicaments qui pourraient marcher, mais ne se vendraient pas suffisamment pour faire un blockbuster", explique ainsi le service des relations avec les actionnaires d’Aventis.
S’abonner à un traitement, comme s’abonner au téléphone
Ces "blockbusters" visent une clientèle solvable, principalement dans les pays riches. Ils ciblent de préférence les maladies chroniques, nécessitant des traitements longs, voire à vie (diabète, thrombose, Alzheimer). L’idée est que les malades
"s’abonnent à un traitement, un peu comme ils s’abonnent au téléphone", explique Thierry Bodin. Pour qu’un médicament devienne "blockbuster", il doit se vendre en masse, ce qui implique de toucher la clientèle américaine. Les Etats-Unis représentent en effet 50% des ventes de médicaments dans le monde (430 milliards de dollars). Dès 2002, Sanofi-Synthélabo annonçait ainsi vouloir étendre
"sa présence aux Etats-Unis, et concentrer l’effort de recherche sur des produits à fort potentiel".
L’abandon des maladies infectieuses
Conséquence, nombre de maladies à "faible potentiel" sont délaissées.
"Les maladies orphelines et maladies rares n’intéressent pas l’industrie. Des associations sont obligées de se créer pour tenter de pallier ce déficit de recherche", observe Jacques Buxeraud, professeur de chimie pharmaceutique à l’université de Limoges. Cette tendance ne se limite pas aux maladies rares.
"L’industrie se désengage des maladies infectieuses, pourtant les plus répandues au monde : maladies nosocomiales, maladies parasitaires comme le paludisme, les champignons, etc.", souligne Thierry Bodin.
Tous aux Etats-Unis !
Chez Aventis, cet abandon se traduit depuis quatre ans par la vente d’activités et la suppression de 3000 postes. En France, le centre de recherche de Romainville est ainsi en cours de fermeture. Dans le même temps, les équipes américaines d’Aventis ont été renforcées (+ 500 personnes en quatre ans). Car le secteur des biotechnologies, dont l’industrie pharmaceutique attend les médicaments de demain, est beaucoup plus développé outre-Atlantique. Il est en effet soutenu par la recherche publique des National institute of health, au budget proportionnellement dix fois plus élevé que celui de l’Inserm, leur équivalent français. Une fusion Sanofi-Aventis ne changerait rien à cette tendance. Si le "petit Louis" veut guérir, mieux vaut qu’il souffre du diabète et bénéficie d’une bonne couverture santé. S’il veut travailler dans la recherche pharmaceutique, mieux vaut qu’il s’expatrie aux Etats-Unis.
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