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Clonage : la science sous pression

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Gros flop pour le clonage thérapeutique : le génie coréen de la spécialité était un imposteur. Axel Khan, généticien, chercheur et humaniste engagé, expose les mécanismes menant à de tels excès.
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12 mars 2004. Sur le site Internet de la prestigieuse revue Science, le professeur coréen Hwang Woo-suk révèle avoir non seulement conçu des embryons humains par clonage mais aussi avoir pu en extraire une lignée de cellules souches embryonnaires. La communauté scientifique applaudit le vétérinaire et universitaire sud-coréen. Elle en fait même un Prix Nobel annoncé. Mais le masque tombe et l’on apprend que le biologiste sud-coréen a menti sur presque toute la ligne, il n’a créé ni embryons clonés ni cellules souches ! Pire, il a utilisé les ovocytes de ses collaboratrices dévouées pour tenter ses expériences.

Depuis, la communauté des scientifiques crie au scandale et a rétrogradé le maître ès clonage au rang de fieffé charlatan. Et si le scandale avait pu se prédire ? Le professeur Axel Kahn, généticien et directeur de recherche à l’Inserm, dévoile les prémisses d’un faux pas annoncé. Au premier rang des coupables : la pression médiatique et économique colossale qui pèse aujourd’hui sur les apprentis sorciers du clonage humain. Entretien.

Terra economica : Vous avez déclaré que M. Hwang était "victime" de la pression entourant le clonage humain. Au delà de la pression médiatique et populaire, a-il aussi été soumis à une pression économique ?

A.K. : Le clonage humain reproductif répond à une forte demande. Ses indications ? Lutter contre la stérilité ou faire renaître un enfant mort... Ce qui pourrait être très rentable. D’ailleurs, la société ClonAid des raéliens a été fondée par un riche américain mû par l’espoir de faire renaître sa fille décédée ! Le jour où la recette du clonage d’embryons humains sera publiée, ce sera une aide importante pour tous ceux qui, dans le monde, dans des pays où la loi ne l’interdit pas - et même dans ceux où elle l’interdit, tant les enjeux sont considérables -, ont indiqué leur désir de cloner des bébés. En revanche, pour le clonage "thérapeutique", les perspectives économiques sont très incertaines. Cette technique est d’une extraordinaire complexité. Une équipe entraînée y consacrant toute son énergie, le travail de 250 employés pendant des années et disposant de 2 061 ovules prélevés chez 129 femmes a échoué. Ce n’est pas impossible - après tout, on sait cloner douze espèces de mammifères et les primates sont des mammifères -, mais c’est très difficile et, à ce jour, non maîtrisé. Et même si on savait créer des embryons humains par transfert de noyau, la technique semble peu réalisable en tant que procédure médicale.

Pourquoi ?

Imaginons que le professeur Hwang n’ait pas menti et qu’il soit possible, à partir des œufs prélevés sur deux ou trois femmes, d’obtenir une lignée de cellules souches embryonnaires utilisables pour le clonage thérapeutique et le traitement de diverses maladies. Pour chaque malade, il faudrait recruter plusieurs jeunes femmes donneuses, provoquer chez elles une hyper-ovulation, introduire dans leur abdomen le dispositif nécessaire au recueil des ovocytes. Un procédé qui n’est ni agréable ni même, peut-être, anodin. Ensuite, il faudrait, avec les difficultés et les incertitudes que l’on sait, remplacer les noyaux de chacun de ces ovocytes par des noyaux de cellules du malade à traiter. Si une lignée peut être obtenue, il faudrait la caractériser : a-t-elle réellement un potentiel thérapeutique ? N’est-elle pas cancérigène ?

En définitive, des centaines de millions, des milliards d’ovocytes seraient nécessaires. Pour chaque malade, les essais mobiliseraient pendant des mois une équipe importante et coûteraient des fortunes. Or, dans des affections comme le diabète, l’insuffisance cardiaque, les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, ce ne sont pas un, mais des centaines de millions de malades qui sont touchés. Ce projet est donc d’autant moins réaliste qu’il existe d’autres stratégies plus simples et plus crédibles. Parmi elles : la méthode reposant sur les cellules souches embryonnaires.

La pression sur les scientifiques est-elle plus forte en Corée qu’ailleurs ?

Les pays d’Asie ont fait le pari de fonder une partie de leur compétitivité sur les biotechnologies, en particulier sur les cellules souches. Ces pays bénéficient d’une facilité d’accès à des embryons et à des ovocytes humains, leurs considérations éthiques sont très différentes des nôtres. Associé à leur bon niveau scientifique, ce contexte suffit à légitimer leur stratégie. Parmi ces pays, la Corée n’est pas dans une situation particulière. Cependant, le professeur Hwang, vétérinaire, était déjà très réputé pour ses travaux sur le clonage et s’était auto-désigné "généralissime" de l’effort coréen en ce domaine.

Comment pourrait-on éviter à l’avenir une telle pression et donc la fraude ?

Les fraudes scientifiques ont toujours existé. L’ampleur de celle-ci n’est que le reflet de la démesure de la médiatisation et des fantasmes entourant la notion de clonage humain. Néanmoins, le système de validation scientifique par les pairs a parfaitement joué son rôle. En effet, le professeur Hwang était un héros national en Corée, soutenu par le gouvernement et la population. Il était également invité partout dans le monde et fêté pour ses résultats. Cela n’a pas empêché, en un temps record, les scientifiques coréens eux-mêmes de le confondre et de rétablir la vérité.

L’annonce de la découverte du professeur Hwang aura-t-elle des conséquences économiques ? Par exemple sur les budgets accordés par d’autres pays à la recherche sur le clonage humain ?

Il apparaît bien vraisemblable que beaucoup de pays seront désormais plus hésitants à financer ce type de travaux dont la difficulté intrinsèque et le risque éthique ont été soulignés. De toute façon, les pays dans lesquels la fabrication d’embryons humains par transfert de noyau (clonage) est autorisée se comptent sur les doigts de la main hors d’Asie : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède l’autorisent et, de manière plus ambiguë, la Belgique. Partout en Amérique et dans tous les autres pays d’Europe, la technique est interdite.

La pression économique tend-elle à redessiner la recherche, au détriment de la recherche fondamentale ? En quoi cette dernière, non rentable à court terme, constitue-t-elle un investissement nécessaire ?

Vous savez, les recherches non finalisées d’aujourd’hui sont les recherches finalisées de demain et le développement d’une innovation rentable d’après-demain. La recherche fondamentale en bactériologie a mené aux enzymes de restriction, clés du génie génétique et de ses applications en médecine, en pharmacie, en agriculture. Les travaux fondamentaux sur la lumière cohérente ont conduit aux lasers, aux DVD, aux fibres optiques... Et la théorie de la relativité d’Einstein est un fondement indispensable aux systèmes GPS. Toute réduction de l’effort dans le domaine des recherches dites fondamentales se paiera en termes de compétitivité dans l’avenir.

Médecin et généticien, Axel Kahn dirige le département de génétique, développement et pathologie moléculaire de l’institut Cochin à Paris. Il est également membre du Comité consultatif national d’éthique français et président du roupe des experts en Sciences de la vie auprès de la Commission européenne.

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