- Crédit : Carla Debhuine
Christophe Colinet : A l’école, quand on avait une mauvaise note, les profs nous disaient qu’on finirait chômeurs. C’était après les chocs pétroliers. On nous parlait de la crise à la télé. On n’était même pas sûr d’y arriver avec des diplômes. Et puis un jour j’ai lu le Livre blanc sur les retraites de Rocard. Je me suis dit : ça y est, quand les papy-boomers valseront, on renversera le rapport de forces sur le marché du travail. Les salariés pourront regarder les employeurs de moins bas. Alors nous dire maintenant que la conjoncture est mauvaise et que le plein-emploi est une illusion, je refuse d’y croire.
Alain Dewitte : Ta théorie est belle, mais les lendemains vont déchanter. La société française est endettée. Le paiement de la dette publique absorbe le quart des dépenses publiques. Cet endettement, dont on a atteint les limites, ne peut être réduit que par des excédents commerciaux. Or, nous dit-on, pour générer des excédents commerciaux, l’investissement des entreprises doit être élevé. Déjà, Raymond Barre disait il y a longtemps, que cela passait par une baisse de la fiscalité des entreprises. En 1976, l’impôt sur les sociétés était de 43%. On est revenu à 33% et l’Europe fait pression pour baisser encore. Les décideurs ne voient qu’une seule solution pour y parvenir : dégraisser l’Etat, profiter du départ des papy-boomers pour comprimer les services publics...
Ch. C. : Mais ça n’est pas ce que les salariés veulent...
A. D. : Oui mais qui parle en leur nom ? Qui assure leur défense ? Les syndicats, en crise, accompagnent cette restructuration. Ils sont déconnectés de leurs bases, car ils n’ont pas de programme indépendant des gouvernants. Quant aux mondialistes antilibéraux, ils sont parfois eux-mêmes financés par le FMI.
Ch. C. : Alors, le plein-emploi c’est foutu ?
A. D. : Pas sûr. Le mouvement social à l’échelle européenne renaîtra par l’Est, parce que les cadres syndicaux des anciens pays de l’Est ont une culture de la manipulation.
Danièle Dewitte : Ne sois pas si pessimiste, ce que tu dis est désespérant. Moi je suis convaincue que les salariés peuvent tirer profit de la période qui s’ouvre. Simplement, il faut voir les choses différemment. Puisque les citoyens ont de plus en plus de besoins et demandent beaucoup aux services publics, qu’ils se rassemblent et mettent la pression sur l’Etat ! Quitte à aller parfois jusqu’à une mise en concurrence avec le privé. Quitte aussi, parfois, à rediscuter des statuts...
Ch. C. : Comment cela ?
D.D. : Prends l’exemple du bureau de poste du village qui doit fermer. Si la seule solution pour le maintenir, c’est de demander à la boulangère d’assurer une part d’activité postale, il faudra bien qu’elle le fasse. Surtout si ça permet de garder une boulangerie. Si l’avenir pour nos élèves, c’est l’emploi intermittent, occasionnel ou en CDD, on ne va tout de même pas leur conseiller de refuser de travailler...
A. D. : Et voilà ! Quand je dis que le processus est inéluctable... Tu reprends toi-même les arguments de l’Etat modeste...
D. D. : Tu exagères, Alain ! Trop de gens, notamment dans la fonction publique, ont profité du système pour aménager un confort où ils ne produisent plus...
A. D. : Ah oui ? Et si demain tu dois faire cours d’histoire pour garder ton poste de prof d’éco ?
D. D. : Si c’est la seule solution pour maintenir l’enseignement de l’économie, il faudra bien accepter. Le monde change, Alain...
Note : 800000 départs en retraite par an, source : Economie et statistiques
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