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25-08-2011
Mots clés
Société
Technologie
France
Reportage

Demain, des déchets radioactifs pour un million d’années

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Demain, des déchets radioactifs pour un million d'années
(Crédit photo : Gilles Rolle/Rea)
 
Avec ses sous-sols argileux, le village de Bure semble idéal pour le futur centre de stockage en profondeur des déchets radioactifs français les plus dangereux. Mais à 500 mètres sous terre, les chercheurs testent la fiabilité d’un coffre-fort qui devra résister plusieurs centaines de milliers d’années.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Entre les nappes dorées des champs de colza pointe un clocher entouré d’une poignée de maisons. A une trentaine de kilomètres de Bar-le-Duc (Meuse), à une soixantaine de Nancy (Meurthe-et-Moselle), le village de Bure, 94 habitants, ressemblerait à n’importe quel coin de campagne française sans cette longère flanquée d’une éolienne et bariolée d’affiches contre « la poubelle nucléaire ». Cette Maison des opposants, où se relaient des anti-nucléaires venus de toute la France, est le signe apparent de ce qui se prépare à deux kilomètres de là, sous terre.

A cheval sur les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, c’est là que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) teste son projet de centre de stockage géologique profond. Ce laboratoire de recherche constitue un endroit stratégique pour la filière nucléaire, dont le talon d’Achille demeure le traitement des déchets. Fin 2007, il en existait 1 153 000 m3 en France et l’Andra en prévoit le double en 2030 si la part du nucléaire se maintient telle quelle dans la production électrique.

Homogène, stable…

Depuis les années 1950, les pays producteurs de déchets ont envisagé des solutions farfelues et écologiquement désastreuses, comme l’envoi dans l’espace, l’absorption par le processus de tectonique des plaques ou le largage en mer. Quelque 100 000 tonnes de déchets ont ainsi été abandonnées au fond des océans, jusqu’à l’interdiction des dépôts dans la mer en 1993. Aujourd’hui, le stockage géologique est en train de s’imposer à l’échelle internationale. En construction à Bure depuis 2000, le laboratoire teste la possibilité de confiner les déchets nucléaires les plus dangereux – 99 % de la radioactivité de l’ensemble des déchets dans 4 % du volume – dans la couche géologique argileuse, en garantissant la sécurité du stockage pendant un million d’années. Les propriétés de celle-ci, sa faible perméabilité, son homogénéité, sa stabilité… permettraient en effet, vante l’Andra, de retarder et de limiter la dispersion de ces substances.

Par les interstices de l’ascenseur qui glisse le long des parois rocheuses, on devine un goulot aussi vertigineux que l’est le mausolée industriel que l’Andra est en train d’étudier à 500 mètres de profondeur. Le dédale des galeries de plus d’un kilomètre, éclairé par des néons et ventilé par une bruyante soufflerie, est parcouru par un ballet de machines qui testent les méthodes de creusement pour minimiser l’impact sur la roche.

Chaque jour, l’ascenseur charge et décharge des dizaines de techniciens et scientifiques qui creusent, consolident et réalisent des tests in situ. Au détour d’une galerie, on tombe sur un gros tube en acier qui, dans les conditions d’exploitation, contiendrait des déchets de haute activité – c’est-à-dire fortement radioactifs – vitrifiés. Quelque 400 kg de verre sont nécessaires pour 11 kg de résidus radioactifs. Ces résidus extrêmement chauds seront stockés lorsque leur température atteindra 100° C, ce qui exige un délai d’attente de soixante ans minimum. Alors seulement, ils seront placés dans des alvéoles de 70 centimètres de diamètre et 80 mètres de long qui seront ensuite rebouchées avec de la bentonite, une argile expansive. Placés à de multiples endroits, 3 100 capteurs sondent la roche pour mesurer sa perméabilité, sa résistance au creusement et à la chaleur, sa capacité de confinement après la dégradation des conteneurs. Ce souterrain fait figure de labo high-tech, à la mesure des incertitudes à lever.

Scénarios extrêmes

« Un million d’années, à l’échelle géologique, ce n’est rien, tempère Patrick Landais, directeur des équipes en charge des modélisations du risque. La roche est capable d’apporter des propriétés de confinement sur le très long terme à partir du moment où il y a une cohérence entre la typologie de l’environnement et la nature de l’élément à stocker, ce qui est le cas entre l’argile et les déchets radioactifs. Sur cette base, nous sommes capables d’écrire un scénario du stockage. Mais il demeure des incertitudes sur les mesures, sur la compréhension du processus. Nous les intégrons à notre modèle en augmentant leur niveau au maximum pour voir si elles deviennent invalidantes. » Selon l’Andra, aucun schéma ne remet en cause la pertinence du stockage géologique. « A côté de ce scénario central, le plus probable, nous générons aussi des scénarios altérés, qui contribuent également à renforcer la robustesse du modèle. Par exemple, on fait défaillir les conteneurs de stockage bien avant la date prévue, on imagine que quelqu’un décide de faire un forage depuis la surface et pompe à des endroits pénalisants. Il y a même le “ worse case ”, le scénario où tout pète. » Une hypothèse qui relève pratiquement de la science-fiction, estime le chercheur.

Comment transmettre ?

Si la science dispose de modélisations, qui s’appuient sur la capacité de confinement d’une roche stable depuis 160 millions d’années, ce qui se passera en surface est, en revanche, pratiquement impossible à prévoir. « Nous ne savons pas si, dans une dizaine de siècles, les êtres humains seront dans un état technologique plus avancé que le nôtre ou au contraire en déclin, s’interroge Patrick Charton, adjoint du directeur de la maîtrise des risques de l’Andra, chargé des aspects liés à la mémoire. Comment transmettre la mémoire du site ? Dans quelle langue ? Sous quelles formes ? L’être humain est curieux. Si nous laissons une trace visible du site, elle incitera à creuser. Mais nous ne pouvons pas non plus décréter l’oubli. »

Aux Etats-Unis, dans le désert du Nouveau-Mexique, où des déchets militaires sont enfouis depuis 1999, les Américains ont fait le choix d’ériger des tumulus en granit sur lesquels sont gravés des messages en sept langues. En France, aucune option n’a encore été tranchée. L’Andra explore des pistes, fait travailler artistes et sociologues et vient de recevoir des disques saphir d’une longévité de deux millions d’années. A partir de 2013, une réflexion commune avec les riverains sera engagée. « Je compte beaucoup sur les populations locales, et notamment sur les opposants, qui sont les plus sensibilisés, pour transmettre la mémoire du site. » Patrick Charton n’hésite pas à évoquer les terrils, que l’on conserve et entretient comme la mémoire d’une époque industrielle révolue.

Pour l’instant, les projets de stockage suscitent la passivité mais aussi l’opposition. En 1999, l’Andra a été refoulée de toutes les communes où elle cherchait à implanter un site pour les déchets de faible activité à vie longue, à 200 mètres sous terre. A Bure, un noyau d’activistes reste mobilisé. « Le stockage doit durer un million d’années. Pourtant, les scientifiques de l’Andra cherchent plus vite que leur ombre », ironise Nadine Schneider, membre de Sortir du nucléaire et du collectif Bure : stop ! « C’est ce qu’a souligné un rapport indépendant établi par l’Institut pour la recherche sur l’énergie et l’environnement américain. Il conclut que l’Andra mène un travail exemplaire de collecte des données mais que leur interprétation est systématiquement optimiste. » Elle dénonce l’empressement de la France à commencer le stockage en 2025. « Tant que nous produirons des déchets nucléaires, la solution du stockage sera récupérée par les producteurs comme un argument pour poursuivre le développement de la filière. »

Des « terres rares »

Cette démonstration est récusée par l’Andra, établissement public, sous la tutelle de ministères, indépendant des producteurs de déchets, et dont la position sur le nucléaire, inconfortable, est.. de ne pas avoir de position. L’agence défend l’idée que le stockage n’est pas la solution de facilité. D’ailleurs, de 15 milliards d’euros, le budget du projet a été gonflé à 35 milliards, au grand dam des financeurs, EDF (80 %), Areva et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Les territoires, même s’ils y trouvent une manne financière – 30 millions d’euros par an pour les départements de la Meuse et de la Haute-Marne – ne se bousculent pas pour héberger les sites de stockage, au point que l’Andra qualifie ces sols de « terres rares ». Des terres vouées à accueillir des déchets que le philosophe Michel Serres nomme dans Le Contrat naturel, « objets-monde » parce que leur longévité et leur impact atteignent cette échelle. —

CALENDRIER DU STOCKAGE

1991 Création de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, loi sur l’implantation de sites de recherche

1998 Choix de Bure pour le projet de centre de stockage géologique

2000 Construction du laboratoire de recherche

2005 L’Andra rend ses conclusions sur la faisabilité du stockage

2006 Nouvelle loi sur la gestion des déchets radioactifs

2013 Débat public consultatif

2015 Demande d’autorisation de création du centre

2016 Loi sur les conditions de réversibilité du stockage qui doit notamment permettre de retirer les colis de déchets

2017 Début des travaux

2025 Arrivée des premiers colis de déchets

2125 Fin de l’exploitation, début de la phase de surveillanceLe projet en chiffres (Andra)


LE PROJET EN CHIFFRES (Andra)

70 000 m3 de déchets moyenne activité-vie longue

8 000 m3 de déchets haute activité prévus (chiffre producteurs)

300 hectares pour les installations de surface

15 km2 d’installations souterraines à terme

220 km d’alvéoles souterraines de stockage

100 km de galeries de liaison

4 puits de 500 mètres pour la liaison entre la surface et le fond, plus un double tunnel de 5 km.

Sources de cet article

- Le site de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
- Le site de « Bure : Stop ! », collectif d’associations opposées au projet
- Into Eternity, documentaire de Michael Madsen sur un centre d’enfouissement finlandais. Sortie en DVD le 13 octobre, 15 euros.

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