Le débat s’est tenu lors du Salon régional du développement durable Terre de Lorient, en mars dernier. En voici des morceaux choisis :
Plus de 200 000 Français se réjouiraient chaque semaine d’aller chercher leur panier de fruits et légumes dans une Association de maintien pour une agriculture paysanne (Amap). C’est peu, mais la tendance à vouloir consommer autrement est bel et bien là. Dans leur sillage, ce sont même quelque vingt modalités de circuits courts (avec au maximum un intermédiaire entre le producteur et le consommateur) qui co-existeraient dans l’Hexagone, du marché de plein vent au panier ponctuel commandé sur internet, sans oublier la cueillette à la ferme. Aux premiers rangs des arguments avancés pour expliquer ce besoin de proximité : la qualité et la fraîcheur des aliments. Les critères de soutien à l’économie locale et de respect de l’environnement arrivent ensuite, et progressent rapidement. Y aurait-il deux poids deux mesures ? D’un côté les modes de distribution alternatifs répondant aux nouvelles exigences des militants de toujours ou des nouveaux sympathisants, et de l’autre, les supermarchés distribuant des produits en grande masse aux consommateurs, à des prix toujours compétitifs, sans souci du bilan environnemental ? Réponses de Pierre Rabhi, fondateur de l’association Terre et Humanisme, et de Sandrine Mercier, responsable du développement durable chez Carrefour.
Des aliments bio et locaux en supermarché, pourquoi ?
Pierre Rabhi : J’ai le sentiment que la grande distribution a réinventé ce qui se passait au Néolithique : on fait de la cueillette en rayon, sauf que désormais on ne sait plus d’où ça vient ! A terme, cela pose des problèmes. Notamment, nous asséchons localement la disponibilité de certains produits pour pourvoir à nos besoins, alors que les aliments ne devraient pas voyager. Nous avons tout ici : de la terre et de l’eau. Et pourtant, nous sommes obligés de répondre à nos besoins alimentaires à coups de camion. J’ai une anecdote à ce sujet : dans les années 90, un camion de tomates hollandaises en route pour l’Espagne a percuté un de ses collègues transportant le même chargement, mais qui faisait le chemin inverse !Sandrine Mercier : Chez Carrefour, 90 % de nos produits frais sont d’origine française. Notre conception du grand distributeur, c’est celle d’une entité qui essaie de tirer tous les gens avec lesquels elle travaille vers le haut en matière environnementale. Nous avons pris le virage du bio dès 1992, puis de l’équitable en 1998. Et nous l’avons fait parce qu’on y croit vraiment ! Aujourd’hui, nos hypermarchés proposent un millier de références bio, tous produits confondus. Nos supermarchés en ont une centaine, et les Carrefour Planet, que nous lançons, plus de 3000. Concernant l’alimentaire, 100 nouvelles références entrent cette année dans nos rayons.
Proposer des aliments bio et locaux en masse, c’est possible ?
SM : Quand nous avons lancé le bio en magasin dans les années 90, c’était difficile car les produits étaient biscornus et les clients n’avaient pas envie de les acheter ! Maintenant la qualité visuelle s’est beaucoup améliorée mais nous buttons sur le manque de disponibilité de produits bio d’origine française. Nous essayons de les privilégier mais c’est en fait : il n’y en a pas assez. On essaie de pousser pour que l’État prenne des mesures en faveur du développement du bio dans l’Hexagone, mais pour l’instant, on ne peut pas faire plus que le gouvernement.PR : On entend encore des arguments qui freinent le développement du bio, tel que « ce n’est pas avec ça qu’on va nourrir la planète », etc... Il est vraiment temps de prendre conscience que passer à l’agriculture biologique n’est pas seulement un revirement technique, c’est aussi un acte moral et éthique : c’est en effet la seule façon de cultiver qui puisse nourrir les populations pauvres. Ici, on peut disposer facilement d’une tonne d’engrais pour faire pousser ces champs, mais ailleurs ? Présenter le bio aussi sous son visage politique, c’est une posture révolutionnaire. Nous l’avons expérimenté dans le Sahel, où les terres sont arides et sèches. Là-bas ça marche et ça peut conduire à des mutations bien plus larges ! Le bio peut aider à construire, quand les engrais ne font que détruire.
Le contexte énergétique actuel poussera-t-il à la relocalisation ?
SM : C’est évident qu’avec l’évolution de la situation énergétique, des changements vont venir. De nombreux distributeurs qui allaient chercher des produits en Chine reviennent désormais en Europe. Je voudrais aussi préciser que si chez Carrefour, nous pensons au bio, le local a aussi son importance, de même que l’agriculture raisonnée, qui est un intermédiaire intéressant, car elle utilise moins de pesticides. Nous essayons aussi de favoriser les produits de saison, et de pousser les agro-industriels avec lesquels nous travaillons à produire de façon plus économe, en utilisant notamment moins d’eau. Nous avons le pouvoir de demander ça ! La grande distribution est en cela indispensable au développement du bio.
PR : Pour ma part, je pense effectivement que le changement climatique est un facteur qui doit jouer sur la façon dont nous allons devoir envisager notre alimentation. Outre les questions énergétique, cette évolution met d’ores et déjà en jeu les stocks alimentaires ! Dans ce contexte, il est évident qu’il faut que nous repensions tout. Cette problématique est telle qu’il faut l’attaquer globalement, en pensant à la subsistance de tous.
Le bio accessible à tous, une utopie ?
SM : C’est vrai que les produits bio sont un peu plus chers que leurs équivalents conventionnels. Mais tous ne le sont pas dans les mêmes proportions. Les références que nous distribuons en masse voient par exemple leur prix diminuer, comme le lait, les œufs, la farine... Les produits de « Marque De Distributeur », pour lesquels nous gérons toute la chaîne de distribution, nous permettent d’appliquer des plus petits prix, même en bio, car nous brassons de grands volumes. Mais je reconnais que lorsqu’on est au SMIC, il reste difficile de se nourrir bio... Il existe cependant dans nos rayons des aliments qui utilisent moins de pesticides, produits en agriculture raisonnée et estampillés « Carrefour Qualité ».PR : Ouvrons la question à un autre paramètre sur lequel il faudra jouer : celui de notre rapport à la consommation. Nous consommons aujourd’hui bien plus que ce nous avons besoin pour mener notre vie, et ce pour combler je ne sais quel déficit psychique ! Ce n’est pas rationnel de consommer tel que nous le faisons dans les pays occidentaux. Il y a quelque chose de très laid dans notre insatiabilité : elle met notre santé en danger, mais aussi la planète.
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