La France ne va pas si mal, d’ailleurs la Bourse de Paris est en pleine forme. Depuis le début de l’année, le CAC40, l’indice des plus grandes sociétés cotées dans l’Hexagone, a grimpé de 20%, mieux que les grands indices de Wall Street, Londres, Tokyo ou Francfort. "Le CAC40 prend de la hauteur", titrait gaillardement Les Echos, quotidien économique de référence, le jour de l’instauration de l’état d’urgence par Dominique de Villepin.
D’accord, les banlieues brûlent. Certes, le pouvoir d’achat des Français stagne, les prix des carburants augmentent, la croissance économique patine (le produit intérieur brut français devrait enregistrer cette année une progression pâlotte de 1,3%). Mais pas de quoi céder à la morosité. Les boursiers n’ont pas l’intention de se laisser rembrunir par ces détails contrariants.
Pétrole et Bourse flambent en choeur
La preuve : après trois semaines d’émeutes de Clichy-sous-Bois à Vénissieux en passant par Le Mirail, le CAC40 poursuit son ascension. Bizarre ? "That’s the market, stupid", disent les Anglo-saxons : c’est le marché, imbécile ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Loin d’être branchée sur l’économie du pays, la Bourse a ses raisons qui ne sont pas, mais pas du tout, celles des citoyens, salariés, consommateurs, ni même celles de la plupart des entrepreneurs. Les voici.
Les cours du pétrole grimpent, où est le problème ? Bien sûr, l’essence à la pompe est chère, le chauffage au fuel hors de prix cet hiver, les tarifs du gaz augmentent dans la foulée, et alors ? C’est une excellente nouvelle pour Total, qui a engrangé des profits records cette année, en hausse vertigineuse d’un tiers au premier semestre, par rapport aux six premiers mois de l’an dernier. Du coup, les investisseurs se ruent sur les actions de la compagnie pétrolière, en hausse de 33% depuis le début de l’année. Les actions du géant Total - le quatrième pétrolier mondial - pèsent, à elles seules, plus de 15% du CAC40. Alors, quand le pétrole augmente, l’économie fait grise mine, mais l’indice phare du capitalisme français, lui, reprend mécaniquement des couleurs.
De même, la hausse des cours des matières premières, comme l’acier, pénalise les entreprises industrielles utilisatrices, surtout les PME, plus fragiles, qui prennent le choc de plein fouet... Mais c’est une aubaine pour les entreprises productrices, qui trouvent là l’occasion de réaliser de juteux profits. Ainsi, le sidérurgiste Arcélor, vedette de la Bourse, a multiplié son profit par huit en 2004, pour la plus grande joie de ses actionnaires.
Profits sans frontières
Plus largement, la bonne santé de la Bourse reflète tout simplement celle des grandes entreprises internationalisées qui composent l’indice CAC40 - indice qui représente, à lui seul, 80% de la valeur des actions cotées à Paris. Branchés sur les marchés mondiaux, ces géants globalisés comme Total, Peugeot, LVMH ou Carrefour se portent d’autant mieux qu’ils ne dépendent plus essentiellement de la conjoncture française : ils réalisent moins du tiers de leurs ventes en France.L’an dernier, portés par la croissance américaine et chinoise, ces champions du CAC40 ont réalisé des gains records, de l’ordre de 40 milliards d’euros. Hélas, ce n’est pas pour en faire profiter l’Hexagone... Les actionnaires sont les premiers servis. Or, les détenteurs d’actions du CAC40 sont, pour plus de la moitié, des institutions financières étrangères, comme les fonds de pension. Du coup, les belles performances de Total et autres Schneider enrichissent les retraités de l’Oklahoma.
Souvent, ne sachant que faire de leurs profits, "les grandes sociétés cotées françaises rachètent... leurs propres actions", indique Laurent Quignon, économiste à BNP-Paribas, ça ne sert pas à grand chose, mais ça fait grimper les cours, les actionnaires aiment bien. Ou alors, "elles choisissent de se désendetter, pour afficher de bons ratios financiers, au détriment de l’investissement", poursuit-il. Plus fragiles, les PME sont pourtant moins frileuses : l’étude sur la situation des entreprises françaises réalisée par BNP-Paribas montre qu’elles investissent davantage !
Enfin, quand les grandes entreprises "françaises" se décident à investir, ce n’est pas forcément sur le territoire national. Lorsqu’elles embauchent, elles guignent volontiers les pays à bas salaires, comme ST Micro, le leader européen des semi-conducteurs, qui ferme des usines en France et embauche simultanément des milliers de jeunes ingénieurs... indiens, dans son gigantesque centre de recherche & développement de Noida, dans la banlieue de New Delhi.
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