Avec la mort annoncée de Ben Laden, la perspective de neutralisation d’Al-Qaida ne peut que réjouir. Tandis que les bourgeons du printemps arabe éclosent – à quel prix humain ? – autour de la Méditerranée, le Moyen-Orient pourrait bien démontrer qu’entre l’islamisme et la dictature, il n’y a pas de fatalité. Il existe une voie possible, une sorte de « ni-ni » volontaire et constructif : la démocratie, et la prise en main de son destin par la population elle-même.
Au-delà de cet espoir, la nouvelle de la mort d’Oussama Ben Laden doit être prise pour ce qu’elle est avant tout : un acte de politique intérieure. Fragilisé par une crise économique qui n’en finit pas, Barack Obama donne ici au peuple américain des gages de sa capacité à tenir les rênes. La diplomatie des Etats-Unis a pour objectif d’assurer la prospérité et la sécurité de ses ressortissants. En soi, elle n’a que faire d’un monde plus juste et plus équilibré.
Quelle justice ?
Ces précautions oratoires étant prises, la forme de cette opération de liquidation ainsi que la communication qui l’entoure posent deux questions fondamentales.La première question est celle de la justice. « Justice est faite », plastronnent les journaux américains en une, à commencer par les plus respectables, le New York Times et le Washington Post. Mais de quelle justice parle-t-on ? Celle qui consiste, par les armes, sur un sol étranger – et donc sous le sceau de l’ingérence prétendument légitime – à se faire vengeance ? Quelles que soient les meurtrissures du peuple américain, il n’est de justice dans un Etat moderne que celle rendue à l’issue d’un procès, où la défense a elle aussi la parole.
Les crimes les plus odieux de la seconde guerre mondiale ont pour partie été jugés à Nüremberg. C’est sans doute la meilleure façon de tourner la page. Car un procès est le lieu où se démêle le vrai du faux, où s’explore en détails la mécanique du crime. C’est un lieu où l’on explique et où l’Histoire – la vraie – pas celle des spin doctors, s’écrit.
Communiqués de presse et regrets éternels
Puisque personne n’entendra Ben Laden, cette part de la grande Histoire nous est confisquée. Il faudra donc se contenter de la petite, celle racontée par les agences gouvernementales. Nos questions resteront donc sans réponse : a-t-on cherché à capturer Ben Laden ? Etait-il recherché mort ou vif ? Quelles sont les éléments matériels nous permettant de retracer les opérations ? Rien que des communiqués de presse et nos regrets éternels.La deuxième question est celle de la violence latente qui code l’ADN de la société américaine. Les dix années qui ont passé en ont apporté les preuves glaçantes. Après les attentats du 11 septembre, l’unanimisme forcé a permis de justifier le pire. Le Patriot Act – toujours pas levé à ce jour – reste l’un des textes les plus liberticides dans un pays qui a pourtant érigé la liberté d’expression au premier plan de sa loi constitutionnelle.
L’invasion de l’Irak a, elle, été défendue en dépit du bon sens par un groupe de néo-conservateurs dogmatiques et aux intérêts manifestement croisés avec ceux du complexe militaire et industriel. On se souvient de l’effarante réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, au cours de laquelle le secrétaire d’Etat américain Colin Powell (voir vidéo ci-dessous) tenta laborieusement de démontrer l’existence d’armes de destruction massive en Irak, piétinant les travaux indépendants des inspecteurs des Nations unies. Ces derniers avaient, sous la houlette de Hans Blix, démontré l’inexistence de ces armes.
Dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, et dans un autre registre, on se souvient aussi de l’avidité extrême des établissements bancaires américains. Débordant les règles du capitalisme, pour pousser au-delà du possible l’endettement des ménages, cette avidité sans limites a provoqué, avec les subprimes, la plus grande crise financière de l’histoire (été 2007, automne 2008). Le monde entier la paie encore au prix fort aujourd’hui.
On observe, encore, l’inconséquence avec laquelle les gouvernements successifs laissent dériver les finances américaines, au risque de provoquer un effondrement du dollar. On déplore, enfin, le refus des Etats-Unis de jouer le jeu du protocole de Kyoto sur les changements climatiques. Si tout ceci n’enlève rien à l’enthousiasme et à la promptitude américaine à s’emparer de sujets porteurs de solutions, comme les nouvelles technologies vertes, cette violence qui caractérise les rapports entre les Etats-Unis et leur écosystème n’augure rien de bon dans un monde qui se complexifie.
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