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« Le Grenelle ne sera vraiment rentable qu’avec une taxe carbone »

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« Le Grenelle ne sera vraiment rentable qu'avec une taxe carbone »
(Crédit photo : Robpatrick/Flickr)
 
Le Trésor a récemment livré une analyse économique sévère du Grenelle de l’environnement. Une vision tronquée ? Sans doute, reconnaît l'économiste Eloi Laurent. Mais le débat y gagne et la « contribution carbone » revient par la fenêtre…
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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9 décembre 2010. La Direction générale du Trésor remet un rapport sur l’impact économique du Grenelle de l’environnement. Stupeur : selon les calculs des auteurs de l’étude, le bilan sera négatif à long terme. Pourtant, cela ne signe pas l’arrêt de mort du Grenelle, selon Eloi Laurent, économiste et conseiller scientifique à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences-Po).

Terra eco : Des études avaient déjà évalué l’impact du Grenelle de l’environnement et l’avaient jugé positif. En quoi cette étude est-elle différente ?

Eloi Laurent : Fin 2008, une étude du ministère de l’Environnement s’était attachée à chiffrer les coûts et bénéfices globaux du Grenelle (y compris écologiques) et avait conclu à la création potentielle de 450 000 emplois. Puis, le même ministère a commandé une étude au Boston Consulting Group qui a estimé que le Grenelle allait créer 600 000 emplois. Mais dans les deux cas, les méthodologies étaient fragiles, voire franchement obscures pour la dernière étude. Cette fois, l’évaluation est réalisée à partir d’un modèle macro-économique bouclé (qui prend en compte les rétroactions), calibré (dont les paramètres sont calés sur l’économie française telle qu’elle est) et qui mesure les effets non seulement directs mais aussi induits. Cette étude est donc d’un grand intérêt pour le débat économique autour du Grenelle, d’autant que ses auteurs ont l’honnêteté de reconnaître eux-mêmes ses limites. Ainsi, le modèle utilisé est très agrégé, son bloc énergie par exemple ne fait pas de distinction entre le secteur des énergies fossiles et celui des énergies renouvelables. En outre, l’étude évalue mal le rapport créations d’emplois/destructions d’emplois, contrairement aux travaux récents de Philippe Quirion, du Cired (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, ndlr).

Le résultat le plus provocant intellectuellement est l’idée que le Grenelle serait un jeu à somme négative : après une première phase, jusqu’à 2020, de forte accélération de l’activité et de création importante d’emplois, une seconde phase, après 2020, finit par annuler puis renverser les gains initiaux. C’est évidemment un peu déprimant si on ne connaît pas la structure du modèle utilisé. C’est un modèle néo-keynésien qui amplifie à court terme l’effet multiplicateur en situation de déséquilibre économique (croissance molle, chômage dur, ce qui est bien la situation actuelle de l’économie française) et qui donne à moyen terme la priorité aux effets d’offre selon une logique néo-classique. Autrement dit, cette « courbe en cloche », qui monte assez haut puis redescend très bas, s’explique par l’effet initial stimulant des investissements publics et privés dans la « croissance verte » puis par l’effet dépressif de ces mêmes investissements sur l’inflation (qui augmente sous l’effet de la hausse de l’activité) et les prélèvements obligatoires (qui augmentent pour financer le Grenelle).

Ce modèle est-il caricatural ?

Comme tous les modèles utiles, il appauvrit la réalité pour enrichir le débat… Il pose en tout cas deux grands types de questions : est-ce la bonne modélisation pour évaluer la transition vers la nouvelle économie bas carbone dans les prochaines décennies, transition que le Grenelle entend mettre sur les rails ? Les résultats seraient-ils différents si on introduisait une taxe carbone dans la dynamique macroéconomique qui est simulée ? Sur le premier point, les auteurs traitent le progrès technique comme exogène, c’est-à-dire « tombé du ciel » et non déterminé par les variables de leur modèle. Or la croissance dans une transition bas carbone, à condition d’investir dans la recherche et développement et de donner un prix au carbone, est plutôt de nature endogène : il est probable que tous ces investissements de la première phase accélèrent l’innovation et conduisent à une hausse de la productivité, ce qui atténuerait l’effet négatif sur l’offre en deuxième phase. C’est le schéma vertueux de la nouvelle économie aux Etats-Unis dans les années 1990, après une décennie d’investissement dans les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication, ndlr). Sur le deuxième point, on peut penser qu’une taxe carbone intelligemment bâtie pourrait contrecarrer l’effet néfaste observé des prélèvements obligatoires après 2020. De ces deux points de vue, je comprends cette étude comme un éloge post mortem de la taxe carbone.

Si le modèle utilisé est en partie inadapté, faut-il ignorer les conclusions de ce rapport ?

Bien au contraire. Certains raccourcis journalistiques du type : « Vous voyez bien, le Grenelle n’est pas rentable ! » n’ont pas rendu justice au travail des auteurs de cette étude. Elle permet plutôt de comprendre à quelles conditions le Grenelle sera économiquement rentable. Pour que l’effet multiplicateur soit maximal dans la première phase, il faut une structure fiscale puissamment incitative et cohérente. Et il faut contrecarrer d’éventuels effets négatifs dans la deuxième phase en développant l’aide à l’innovation et en donnant un prix au carbone. Autrement dit, le Grenelle sera pleinement rentable s’il est entièrement réalisé, taxe carbone comprise. A mes yeux, cette étude nous dit que l’abandon de la taxe carbone est une erreur économique majeure, qu’il est encore temps de réparer. Enfin, il ne faut pas oublier que le Grenelle ne peut se résumer à une analyse coût/bénéfices uniquement économique. Son effet le plus positif est écologique et donc social (amélioration de la santé, du bien-être, etc.). Si on prenait pour référence un indicateur autre que le PIB, l’indice de développement humain par exemple (1), on verrait cet effet. La « rentabilité » macroéconomique n’est qu’une partie – certes importante – de l’histoire…

(1) L’indice de développement humain (IDH) créé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) prend en compte l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de revenus.

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  • Je trouve que les propos d’Eloi Laurent éclairent assez mal le sujet.

    1) Si je comprends bien, cette modélisation serait biaisée car une taxe carbone stimulerait l’innovation, et, d’une manière plus générale, les investissements en R&D qui découleront du Grenelle génèreront probablement du progrès technique, donc des gains de productivité, donc de la croissance. J’ai deux objections à cela :

    - Nous savons qu’historiquement, le premier facteur explicatif de la croissance est le progrès technique. Si nous connaissions la formule pour « systématiser » celui-ci, nous connaîtrions des révolutions industrielles incessantes (ce qui ne se vérifie pas). De même, une fiscalité qui enchérirait les émissions de GES stimulerait les investissements pour réduire ces émissions. Mais ces investissements, quelques soient leurs montants, ne seront pas nécessairement fructueux. Les résultats dépendront notamment des avancées de la science, qui n’ont rien de mécanique. Le lien qui connecte la R&D aux gains de productivité est au mieux un accroissement de probabilité, mais en aucun cas une implication logique. Donc promettre aux chômeurs que le Grenelle résoudra leur problème revient à leur mentir. Je trouve très imprudent de miser collectivement sur une implication logique qui est fausse.

    - Mais quand bien même le progrès serait au rendez-vous (et on ne peut que le souhaiter), l’histoire montre que les gains de productivité ne se traduisent pas par une modération de l’exploitation des ressources naturelles. Les NTIC ont ouvert un nouveau chemin de croissance, mais les "technologies de l’immatériel" ont engendré une pression croissante sur les ressources (augmentation des flux de matières et d’énergie). Par exemple, depuis que les écrans ne rendent plus le papier indispensable pour lire et écrire, la consommation de papier a paradoxalement augmenté. C’est le principe de l’effet rebond, que je ne décrirais pas comme un "schéma vertueux". Ainsi, la question n’est pas tant d’être pour ou contre le progrès technique, ni de se demander si le Grenelle va l’accélérer ou non. La véritable question est de savoir comment maîtriser ce progrès pour que l’exploitation de nouvelles technologies n’augmente plus les inputs et les outputs matériels, voire au contraire qu’elle contribue à les faire diminuer. Il ne faut pas oublier que l’objectif à très long terme est de faire en sorte que notre appareil productif ne consomme que des ressources renouvelables et ne produise rien qui ne puisse être recyclé par l’homme ou qui ne puisse être "absorbé" par la biosphère. Je doute que le Grenelle nous inscrive pleinement dans cette stratégie.

    2) Si je comprends bien, l’intérêt de l’étude de la DG du Trésor est qu’elle « permet de comprendre à quelles conditions le Grenelle sera économiquement rentable ». Heureusement, il est rappelé juste après que ce n’est pas le but du Grenelle. Je dirais même qu’on se fout complètement que ça crée de la croissance et des emplois ou de la récession et du chômage. La question ne se pose pas : il faudra nécessairement diviser pas 4 nos émissions de GES d’ici 2050 (et ce n’est qu’un exemple). Les scientifiques ne nous proposent pas d’autre option. Si la taxe carbone est un moyen nécessaire pour y parvenir, il faut la mettre en œuvre quel qu’en soit les coûts économiques et sociaux. Si le fait de prendre au sérieux les problèmes environnementaux implique une grave crise économique, il faudra "juste" redoubler d’inventivité politique et économique pour que chacun puisse quand même subvenir à ses besoins. Est-il absolument inenvisageable de maintenir l’emploi sans croissance ?

    3) L’interview ne révèle pas la lacune majeure du rapport en question. Tout comme les rédacteurs du récent rapport franco-allemand intitulé « Évaluer la performance économique, le bien-être et la soutenabilité », les économistes du Trésor continuent de souscrire à une théorie macroéconomique complètement aveugle et dont les fondements sont absurdes. Il s’agit de la théorie néoclassique, qui stipule que la croissance à long terme ne dépend que du travail, du capital et de la productivité globale des facteurs. Cela correspond à une conception faible de la durabilité, qui n’a aucun sens en dehors de la science (?) économique : quand il n’y aura plus de poissons dans les rivières, nous mangerons les billets de banque que nous aurons accumulés en masse.
    Pour bien comprendre, cette théorie prend pour hypothèse qu’on peut substituer indéfiniment l’artificiel au naturel. C’est-à-dire que quand nous n’aurons plus les ressource pour produire de l’acier, nous investiront et nous trouveront nécessairement un substitut, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on finisse par faire de l’argent à partir de rien. C’est le rêve refoulé des économistes néoclassiques. La mise en application de cette utopie peut déjà être observée dans la finance moderne, avec les conséquences que l’on sait.

    Retournons au rapport de la DG du Trésor : les hypothèses sur le prix de l’énergie n’interviennent que pour calculer les écarts avec le scénario de référence (page 10 du rapport, page 12 du pdf), c’est-à-dire pour donner un prix aux économies d’énergies promises par la mise en œuvre du Grenelle. Cela signifie que le modèle retenu par les économistes du Trésor est capable de projeter un niveau unique de PIB en 2020 quelque-soit le prix de l’énergie cette année là (2020 n’est qu’un exemple, puisque le travail de projection court jusqu’en 2050). Qui, à part des économistes, peut penser que le niveau d’activité sera le même que le baril soit à 90$, à 200$ ou à 3000$ ?
    C’est évidemment là la plus grande faiblesse méthodologique de cette étude. Car si celle –ci prend en compte les ressources que nous économiseront grâce au Grenelle, elle ne compte pas les ressources que nous n’économiserons pas dans le scénario de référence, ni le coût des dégradations de la biosphère que cette consommation engendrerait.

    La troisième partie de mon commentaire est à ne surtout pas négliger, car l’analyse macroéconomique est à la base de tout le "pilotage" de notre société : des politiques publiques aux projets privés en passant pas notre confiance généralisée dans la perspective d’un avenir matériellement plus prospère. Des erreurs fondamentales dans les hypothèses peuvent conduire à l’aveuglement des décideurs. Or, Jared Diamond montre que c’est quelque-chose qu’il vaut mieux éviter, surtout si on souhaite s’épargner un effondrement de notre civilisation.

    22.12 à 15h06 - Répondre - Alerter
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