9 décembre 2010. La Direction générale du Trésor remet un rapport sur l’impact économique du Grenelle de l’environnement. Stupeur : selon les calculs des auteurs de l’étude, le bilan sera négatif à long terme. Pourtant, cela ne signe pas l’arrêt de mort du Grenelle, selon Eloi Laurent, économiste et conseiller scientifique à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences-Po).
Terra eco : Des études avaient déjà évalué l’impact du Grenelle de l’environnement et l’avaient jugé positif. En quoi cette étude est-elle différente ?
Eloi Laurent : Fin 2008, une étude du ministère de l’Environnement s’était attachée à chiffrer les coûts et bénéfices globaux du Grenelle (y compris écologiques) et avait conclu à la création potentielle de 450 000 emplois. Puis, le même ministère a commandé une étude au Boston Consulting Group qui a estimé que le Grenelle allait créer 600 000 emplois. Mais dans les deux cas, les méthodologies étaient fragiles, voire franchement obscures pour la dernière étude. Cette fois, l’évaluation est réalisée à partir d’un modèle macro-économique bouclé (qui prend en compte les rétroactions), calibré (dont les paramètres sont calés sur l’économie française telle qu’elle est) et qui mesure les effets non seulement directs mais aussi induits. Cette étude est donc d’un grand intérêt pour le débat économique autour du Grenelle, d’autant que ses auteurs ont l’honnêteté de reconnaître eux-mêmes ses limites. Ainsi, le modèle utilisé est très agrégé, son bloc énergie par exemple ne fait pas de distinction entre le secteur des énergies fossiles et celui des énergies renouvelables. En outre, l’étude évalue mal le rapport créations d’emplois/destructions d’emplois, contrairement aux travaux récents de Philippe Quirion, du Cired (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, ndlr).Le résultat le plus provocant intellectuellement est l’idée que le Grenelle serait un jeu à somme négative : après une première phase, jusqu’à 2020, de forte accélération de l’activité et de création importante d’emplois, une seconde phase, après 2020, finit par annuler puis renverser les gains initiaux. C’est évidemment un peu déprimant si on ne connaît pas la structure du modèle utilisé. C’est un modèle néo-keynésien qui amplifie à court terme l’effet multiplicateur en situation de déséquilibre économique (croissance molle, chômage dur, ce qui est bien la situation actuelle de l’économie française) et qui donne à moyen terme la priorité aux effets d’offre selon une logique néo-classique. Autrement dit, cette « courbe en cloche », qui monte assez haut puis redescend très bas, s’explique par l’effet initial stimulant des investissements publics et privés dans la « croissance verte » puis par l’effet dépressif de ces mêmes investissements sur l’inflation (qui augmente sous l’effet de la hausse de l’activité) et les prélèvements obligatoires (qui augmentent pour financer le Grenelle).
Ce modèle est-il caricatural ?
Comme tous les modèles utiles, il appauvrit la réalité pour enrichir le débat… Il pose en tout cas deux grands types de questions : est-ce la bonne modélisation pour évaluer la transition vers la nouvelle économie bas carbone dans les prochaines décennies, transition que le Grenelle entend mettre sur les rails ? Les résultats seraient-ils différents si on introduisait une taxe carbone dans la dynamique macroéconomique qui est simulée ? Sur le premier point, les auteurs traitent le progrès technique comme exogène, c’est-à-dire « tombé du ciel » et non déterminé par les variables de leur modèle. Or la croissance dans une transition bas carbone, à condition d’investir dans la recherche et développement et de donner un prix au carbone, est plutôt de nature endogène : il est probable que tous ces investissements de la première phase accélèrent l’innovation et conduisent à une hausse de la productivité, ce qui atténuerait l’effet négatif sur l’offre en deuxième phase. C’est le schéma vertueux de la nouvelle économie aux Etats-Unis dans les années 1990, après une décennie d’investissement dans les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication, ndlr). Sur le deuxième point, on peut penser qu’une taxe carbone intelligemment bâtie pourrait contrecarrer l’effet néfaste observé des prélèvements obligatoires après 2020. De ces deux points de vue, je comprends cette étude comme un éloge post mortem de la taxe carbone.Si le modèle utilisé est en partie inadapté, faut-il ignorer les conclusions de ce rapport ?
Bien au contraire. Certains raccourcis journalistiques du type : « Vous voyez bien, le Grenelle n’est pas rentable ! » n’ont pas rendu justice au travail des auteurs de cette étude. Elle permet plutôt de comprendre à quelles conditions le Grenelle sera économiquement rentable. Pour que l’effet multiplicateur soit maximal dans la première phase, il faut une structure fiscale puissamment incitative et cohérente. Et il faut contrecarrer d’éventuels effets négatifs dans la deuxième phase en développant l’aide à l’innovation et en donnant un prix au carbone. Autrement dit, le Grenelle sera pleinement rentable s’il est entièrement réalisé, taxe carbone comprise. A mes yeux, cette étude nous dit que l’abandon de la taxe carbone est une erreur économique majeure, qu’il est encore temps de réparer. Enfin, il ne faut pas oublier que le Grenelle ne peut se résumer à une analyse coût/bénéfices uniquement économique. Son effet le plus positif est écologique et donc social (amélioration de la santé, du bien-être, etc.). Si on prenait pour référence un indicateur autre que le PIB, l’indice de développement humain par exemple (1), on verrait cet effet. La « rentabilité » macroéconomique n’est qu’une partie – certes importante – de l’histoire…
(1) L’indice de développement humain (IDH) créé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) prend en compte l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de revenus.
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