Le métier de journaliste des temps modernes est un art difficile. Il faut imaginer des équipes multilingues, branchées sur les réseaux sociaux et postées sur tous les continents. Des équipes capables le matin de vous faire humer l’odeur saisissante des gisements de pétrole à ciel ouvert de l’Alberta et, l’après-midi, de retransmettre l’émotion de la « libération » de l’opposante birmane et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. A l’affût du moindre signal, ensevelis sous des montagnes d’informations éparpillées et contradictoires – ne parlons même pas des communiqués de presse et « éléments de langage » –, les journalistes deviennent souvent les relais de l’urgence et, parfois, de la superficialité. Ils produisent alors une actualité confuse et inextricable pour le public.
Alors que s’achève 2010, on peut pourtant extraire deux tendances opposées de ce grand magma. Il y a, côté face, un monde qui ne sait pas changer. Dopé au charbon, il est celui de nos excès quotidiens. Ceux qui, de fil en aiguille, provoquent des décisions redoutables. Ainsi on a vu, ces jours-ci, le Japon et la Chine s’étriper pour les « terres rares ». Cet épisode inédit de la lutte pour le contrôle de ces métaux précieux – vital pour les industries de l’automobile et de l’électronique – a semé la panique sur les marchés. Cet incident dessine – comme d’autres – une planète sous tension, où l’épuisement des ressources finira par malmener nos modes de vie, nos emplois et la stabilité politique.
Malheureusement, ce monde est surtout celui de ceux qui ne veulent pas changer. Aux Etats-Unis, les élections de mi-mandat risquent de faire une nouvelle victime : la loi américaine sur le climat. En France, le remaniement ministériel a porté le coup de grâce au Pacte écologique de 2007. L’Ecologie et le développement durable – même défendus par l’opiniâtre Nathalie Kosciusko-Morizet – perdent leur statut de ministère d’Etat. La question centrale de l’énergie est reprise par le ministère de l’Economie. Ah bon, l’énergie n’aurait donc rien à voir avec le développement durable ? En réalité, le président de la République Nicolas Sarkozy confirme aujourd’hui le virage opéré avec l’abandon de la contribution climat-énergie (dite « taxe carbone »). En définitive, en France comme aux Etats-Unis, les conservateurs emportent ainsi de bien tristes victoires.
Mais attention, côté pile, deux ou trois faits attestent que des changements s’opèrent en profondeur. L’année 2010 a accouché d’un début d’accord sur la biodiversité, à Nagoya. C’est la preuve que l’économie n’a plus le pouvoir de tout commander. Avec le concept de prospérité, qu’il porte brillamment, l’économiste Tim Jackson a démontré qu’on peut guérir de l’obsession de la croissance économique infinie, trimballer un smartphone dans sa poche, et rester fréquentable. Enfin, même si la plupart des gazettes l’ont oublié, les négociations sur le climat continuent d’avancer, avec le sommet de Cancún, qui s’ouvre à la fin du mois de novembre. En 2010, quoiqu’en pensent les conservateurs, le monde a bel et bien continué de changer. En fait, il a tout juste commencé de changer.
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