Terra eco : L’Académie des sciences vient donc de confirmer le rôle du CO2, dont l’augmentation est principalement due aux activités humaines, dans le changement climatique. Quelle sera la portée de ce rapport ?
Hervé Le Treut : « Ça dépend très largement de vous, les médias ! Et de la façon dont vous allez l’accueillir et le relayer. Le problème était pour la communauté scientifique de faire reconnaître sa légitimé, dans ses méthodes, dans son intégrité. On n’a pas la possibilité d’avoir de vrais débats scientifiques dans les médias. Ces débats se font à coup d’équations et de calculs, et on ne peut pas non plus demander aux citoyens d’êtres des experts. Ce rapport valide les résultats principaux des chercheurs qui travaillent sur le changement climatique. Il est de nature à rétablir la confiance entre la communauté scientifique et le public, ce qui est le plus important. »
Le débat qui a opposé la communauté des climatologues à quelques climato-sceptiques, qui relativisaient l’impact – et l’origine anthropique – du CO2 sur le changement climatique, est donc clos ?
« Il y a un un débat interne à la communauté scientifique qui doit se poursuivre. Par nature, tous les scientifiques sont des sceptiques. Concrètement, il demeure des incertitudes dans nos travaux sur le climat, comme sur la modélisation (1). Donc on doit continuer notre travail de recherche. Et puis il y a un autre débat, politique celui-là. Puisque le rôle du CO2 dans le changement climatique est avéré, à quel rythme faut-il réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quel risques prend-on ? Et les réponses sont souvent complexes, on l’a bien vu par exemple avec les agrocarburants qui sont apparus dans un premier temps comme une solution alternative au pétrole mais posent beaucoup d’autres questions (notamment sur l’affectation des sols ou des terres agricoles, ndlr). Ce qui a été ennuyeux sur le climat, c’est qu’on a mélangé le débat politique (un débat nécessaire et qui doit avoir lieu sur la place publique) et celui sur la science. »Vous parlez d’incertitudes. Justement, c’est sur celles-ci que s’appuie aujourd’hui Claude Allègre pour considérer ce rapport comme un « compromis » et accepter de le signer. Ces incertitudes sont-elles de nature à remettre en cause les prévisions des climatologues ?
« Non. Les conclusions de l’Académie ne vont pas loin sur le terrain de l’évolution du climat, ce qui est normal car après tout, ce n’était pas l’objet de ce rapport. La première incertitude, c’est l’amplitude globale du réchauffement climatique d’ici la fin de siècle. Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) arrive à la conclusion qu’il y a une fourchette de 2°C (plus ou moins 1°C) sur ses projections pour 2100. Cela reste très lié à la rétroaction de la couverture nuageuse, sur laquelle les travaux se poursuivent. Mais à trente ou quarante ans, ça pèsera peu sur la tendance générale. Autre incertitude : les aspects régionaux. Quel seront les impacts du réchauffement climatique sur le Sahel ou sur les moussons ? Si les risques sont avérés, au niveau régional, les doutes demeurent sur ce qui va réellement arriver. Ces incertitudes peuvent jouer dans un sens ou dans l’autre, mais il ne faut pas les percevoir comme de potentielles « bonnes nouvelles », au contraire. Gardez à l’esprit qu’en matière de climatologie, l’incertitude n’est pas un élément rassurant ! »(1) « Des incertitudes importantes demeurent sur la modélisation des nuages, l’évolution des glaces marines et des calottes polaires, le couplage océan-atmosphère, l’évolution de la biosphère et la dynamique du cycle du carbone », souligne le rapport de l’Académie des sciences sur le changement climatique (p.13).
Hervé Le Treut est climatologue et directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Il participe aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Il est également membre de l’Académie des sciences.
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