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27-10-2010
Mots clés
Finance
Biodiversité
Monde
Chronique

Je ne suis pas un numéro, je suis un être vivant !

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Je ne suis pas un numéro, je suis un être vivant !
(Illustration : Wozniak)
 
Notre insecte-chroniqueur, toujours en direct de la Conférence sur la biodiversité de Nagoya, remet le couvert. Son but : nous convaincre que reconnaître la valeur de la biodiversité ne nous dit rien de son prix. Et que c'est heureux !
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Dans mon billet précédent, le modeste petit scarabée que je suis tentait de préciser quelques notions de base associées à l’économie de la biodiversité. En m’excusant d’un ton professoral auquel je ne vous ai pas habitué, j’aimerai revenir aujourd’hui sur d’autres aspects « économiques », puisque c’est un langage que les humains semblent affectionner. Parfois, je me demande d’ailleurs si Homo sapiens ça ne veut pas plutôt dire « hommes qui comptent », plutôt que « hommes qui pensent »… Mais passons, et revenons sur ces notions, complémentaires, de valeur, de coût et de prix. Ces trois notions ne se recouvrent que très partiellement, et ne délivrent pas les mêmes informations.

En marge de la conférence de Nagoya, face au risque de marchandisation du vivant, il n’est pas inutile, il me semble, de passer un peu de temps sur ces austères questions. Reconnaître la valeur économique du vivant, tenter de déterminer des valeurs de référence pour éclairer la décision politique ne signifie en rien donner un prix, ni que la création d’un marché international de la biodiversité doive être une fatalité. La biodiversité étant une « chose publique », un « bien commun » par excellence, vous seriez bien mal avisés d’en abandonner la gestion aux seules forces du marché. Je ne suis pas un numéro, je suis un être vivant ! (Tiens, ça me rappelle quelque chose…)

Mais il est utile de reconnaître que la dégradation des écosystèmes représente un coût pour la collectivité et pour les entreprises, ne serait-ce que pour mieux anticiper les risques et éviter les dégâts, du moins ceux qu’il est encore temps d’essayer d’éviter. Et au final, la détermination de la valeur patrimoniale de la biodiversité et du coût de la restauration des écosystèmes pourrait vous aider à mieux appliquer le principe « pollueur-payeur », fût-ce à travers les tant contestées mesures de compensation.

La compensation, c’est comme le cholestérol : il y a la bonne compensation et la mauvaise. La mauvaise compensation, ce serait une sorte de « marché des indulgences » pour dégâts causés à la biodiversité. Il serait si simple, aux yeux de certains, de pouvoir acheter sur un marché international des « permis de détruire », en versant une somme compensatoire qui servirait à acheter des terrains pour les mettre en réserve, éventuellement à l’autre bout du monde, juste pour se donner bonne conscience et pouvoir écrire dans un rapport de développement durable une phrase du genre « L’ensemble de nos impacts sur la biodiversité a été compensé ». A mes yeux (à facettes), ce genre d’ineptie ne veut rien dire, et s’apparente, pour les populations – humaines ou non – concernées par les dégâts (localisés, eux), à une tentative d’escroquerie.

La « bonne » compensation, elle, s’applique au plan local, en mettant en œuvre les mesures de protection et de restauration nécessaires sur un terrain attenant ou proche, pour un écosystème du même type que celui qui a été détruit. Mais le plus important, c’est que cette compensation ne soit que le dernier élément d’une séquence « éviter, réduire, compenser ». Eviter, car chaque écosystème est unique, et sa destruction ou son altération est irréversible, même en tenant compte de la remarquable capacité de résilience des écosystèmes. Réduire, car l’argent qui serait consacré à la compensation sera bien plus utilement employé à des actions concrètes permettant une meilleure intégration du projet dans la « trame écologique » du paysage. Compenser, enfin, ne trouve sa justification et sa pertinence que sur les impacts résiduels, ceux qui malgré les efforts d’évitement et de réduction, réalisés en respect de la loi et en concertation avec les parties prenantes, n’auront pu être évités.

Cette séquence permet, à elle seule, une intégration des enjeux éthiques, esthétiques, culturels, symboliques ou spirituels de la biodiversité, en rapport avec les diversités d’usages et de représentation des populations locales (la nature du touriste n’est pas celle du naturaliste, ni celle de l’agriculteur ou du pêcheur, sans parler de celle des coléoptères, bien sûr). Ces enjeux-là ne seront jamais traduisibles en termes financiers, et pourtant, ils comptent !

Pour conclure, il me semble qu’il existe une limite intrinsèque à l’évaluation économique des services rendus par les écosystèmes. Le vivant est, « par nature », variable, en constante évolution, sujet à des effets de seuil et de ruptures imprévisibles qui s’accommodent mal d’une mise en équations économiques, plus aptes à modéliser des systèmes linéaires et normalisés.

Comment, par exemple, estimer la valeur d’un service de recyclage ou d’épuration, susceptible de saturer au-delà d’un certain seuil, non prévisible, voire de s’inverser ? Prenons le cas d’un lac qui rend, entre autres, des services de photosynthèse et d’épuration par l’activité du phytoplancton. L’écosystème de ce lac est doté de sa résilience propre, qui lui permet d’encaisser chocs et dégradations jusqu’à un certain seuil. Au delà de ce seuil, c’est l’écosystème entier qui peut s’effondrer. Dans ce cas, non seulement les services deviennent inopérants (plus de photosynthèse ni de recyclage des nutriments), mais on se retrouve avec une quantité considérable de matière organique en décomposition relarguant CO2, méthane et nitrates. Dans ce cas, une péréquation économique est impossible, ou extrêmement aléatoire, car elle devrait intégrer l’ensemble des interactions des riverains et acteurs économiques avec ce pauvre lac.

La leçon à retenir, chers amis humains, c’est que même avec toute votre science et votre technologie, vous n’êtes pas près de pouvoir seulement espérer comprendre, et encore moins maîtriser, l’ensemble des processus naturels, « chaordiques » (chaotiques et organiques), qui régissent les interactions entre organismes vivants au sein de la biosphère.

Alors essayez de faire preuve, si vous en êtes capables, d’un peu d’humilité, de respect et de précaution. En renonçant au « management de la nature », chimérique illusion de maîtrise, pour le « ménagement de la biodiversité », ou accompagnement dans le respect du vivant, vous y gagnerez beaucoup plus que vous ne l’imaginez.

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