A quoi servent les altermondialistes ?

Terra economica : Parallèlement au Forum économique mondial de Davos, le Ve Forum social mondial (FSM) vient de s’achever à Porto Alegre au Brésil. Ce forum a-t-il encore un sens ?

René Passet : Le premier forum de Porto Alegre en 2000 fut un événement exceptionnel. En face de Davos, les peuples du monde se dressaient pour la première fois et décidaient de réfléchir ensemble. Le mouvement lui-même était très émouvant. Ce moment, vous pouvez me croire, je l’ai senti, je l’ai capté par tous mes pores. Pour moi, c’est un tournant. Ca se passait dans une grande salle d’au moins dix mille places à l’Université catholique. Autour, vous aviez 400 ateliers dans la ville, mais le cœur de l’événement battait dans cette salle. Je dis cela, car il n’existe pas d’événement sans cœur.

Précisément, aujourd’hui, on a un peu le sentiment que le mouvement tourne à vide. Est-ce votre avis ?

RP : C’est vrai que le FSM semble s’être coupé de ce cœur. Mais c’est la rançon du succès. L’impact se dilue et l’événement devient prévisible. Mais attention, la capacité du mouvement altermondialiste à se mobiliser est toujours là et reste très impressionnante. Regardez les G7 de Seattle, de Gênes, de Doha : jamais les pays du Sud n’auraient eu la force de résister aux Etats-Unis et à l’Union européenne s’ils n’avaient senti cet élan derrière eux.
Cela dit, je déplore personnellement que l’on réussisse à montrer sa force, ses muscles, et qu’on ne parvienne pas à en faire grand-chose ensuite. Quand le premier forum s’est achevé il y a cinq ans, je me souviens de la gigantesque trouille de "ceux d’en face". Mais aujourd’hui, ils ont repris confiance et il faut bien reconnaître que nous ne faisons plus peur à personne. Entre deux événements, le soufflé retombe. Je dirais donc qu’il ne suffit pas de montrer sa force, il faut l’utiliser.

L’utiliser ? Que voulez-vous dire au juste ?

RP : Entendons-nous. Pas question, naturellement, d’utiliser la violence. Mais seulement d’effectuer une prise de conscience sur ce que nous représentons, et en face de qui. Nous avons en face de nous la puissance de l’appareil productif et du capital mais aussi le symbole de la soumission de tous les appareils politiques qui sont subordonnés à ces gens-là. Et nous représentons les citoyens. Les citoyens qui sont à la fois des électeurs et des consommateurs. Nous devons prendre position car nous avons incontestablement une puissance électorale. Je ne dis pas - pour ce qui concerne Attac en France par exemple - qu’il faille faire campagne ou bien clamer "Voilà pour qui il faut voter". Je dis seulement que nous pouvons orienter les choses. Prenons l’exemple du référendum sur la constitution européenne : la démarche d’Attac, qui consiste à dire "voici 21 conditions qui nous semblent essentielles et nous vous suivrons si vous les respectez", me semble bonne.

Et pour ce qui concerne les consommateurs ?

RP : Prenez par exemple le cas de Monsanto ou de Nike. Imaginez que périodiquement, les grands mouvements altermondialistes décident d’entamer ensemble des campagnes d’information visant ces multinationales et ce, à l’échelle du monde. Plus besoin d’aller jusqu’au boycott pour faire pression. Car soyons honnêtes, je ne suis pas très favorable à cette idée du boycott, où finalement les premières victimes sont celles que vous prétendez défendre. On s’attaque à des entreprises qui finissent par mettre dehors les salariés dont vous dites être solidaires. C’est trop facile d’obtenir ce que l’on veut avec la peau des autres... Le jour où nous aurons réussi à faire plier une puis deux entreprises, ou tout au moins à les faire reculer, alors nous commencerons à peser. Je pense que nous en avons les moyens. Mais nous n’agissons pas...

Ce genre de méthode est-il réellement approprié, et le mouvement altermondialiste dont vous êtes l’un des porte-parole est-il structuré pour le mettre en œuvre ?

RP : Matériellement, oui, cette méthode est envisageable. Grâce aux nouvelles technologies, tous les réseaux sont en relation permanente à travers le monde. Et même si tout le monde n’est pas d’accord, un simple noyau d’ONG peut dynamiser et entraîner le mouvement. Maintenant, il ne s’agit pas pour le mouvement altermondialiste de mettre un programme sur pied. C’est exclu. Nous sommes trop divers - y compris au sein même d’Attac - pour parvenir à cette unité. Mais qui dit diversité ne dit pas forcément entente impossible. Comme dans toute structure collective, nous discutons, nous opposons nos opinions, et nous parvenons dans la plupart des cas à des compromis....

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