Mise à jour du jeudi 20 janvier 2011 - Réunissant huit associations environnementales et organisations syndicales, le collectif Destocamine a manifesté ce jeudi 20 janvier devant le site de l’entreprise Stocamine alors que le préfet devait descendre au fond de la mine pour constater les conditions de stockage des déchets. Le collectif a décidé de lancer une campagne pour sensibiliser la population du bassin potassique et espère bien obtenir à terme l’extraction des 44 000 tonnes de déchets enfouis sur le site de Wittelsheim. |
Ici, même la colère reste polie. Pas de cris, pas de slogans gouailleurs qui viendraient écorcher les parois de la mairie de Wittelsheim (Haut-Rhin). Les habitants évoquent à voix basse leur lassitude, usés de devoir encore parler du « tombeau », de la « poubelle ». Soixante-dix printemps bien sonnés, Jean, ancien mineur, a le dos cassé d’avoir soulevé le sel toute sa vie. En ce jour de septembre, il a tout de même tenu à être présent pour attendre les résultats de la Clis, la Commission locale d’information et de surveillance de Stocamine. Cette « énième réunion » doit régler le sort du premier, et sans doute dernier, centre d’enfouissement souterrain de déchets ultimes en France.
L’histoire de Stocamine, il ne l’a pas vraiment vu venir. Au début des années 1990, on lui avait parlé d’une solution pour recaser « les petits gars de la mine dans un nouveau boulot », « qu’ils ne soient pas envoyés à l’ANPE comme les collègues des mines du Nord ». « On nous a bien dit que c’était des produits toxiques, qu’on allait les enterrer sous nos pieds, mais on nous a promis que tout était sécurisé. J’y ai cru, sans doute aussi parce que j’avais envie d’y croire », ajoute-t-il.
Comme Jean, les habitants de Wittelsheim se souviennent encore du slogan, à l’époque de l’ouverture : « Stocamine, un nouveau visage pour la mine. » L’idée semble belle : les galeries de l’ancienne mine de potasse Joseph-Else vont servir d’entrepôt aux déchets ultimes, c’est-à-dire l’amiante, le mercure et les résidus électroniques ne pouvant être traités par la technologie. A l’image de ce qui se passe en Allemagne avec les déchets nucléaires.
C’est une aubaine pour les élus alsaciens qui cherchent une solution à la fermeture de leurs mines. Alors que le bassin minier Amélie, dont fait partie Joseph-Else, n’emploie plus que 2 000 personnes – contre 12 000 dans les années 1960 –, le projet prévoit la création de 200 postes. « C’était l’époque où l’on voyait les mines fermer les unes après les autres. On attendait notre tour. Quand l’idée Stocamine s’est pointée, c’est vrai que, nous, les mineurs, on a eu de l’espoir. On s’est dit qu’on n’était pas finis », confie Jean-Pierre Hecht, représentant du personnel de Stocamine.
En février 1999, après près de dix ans de réunions publiques et de commissions d’experts, Stocamine ouvre finalement ses portes. Aux habitants et aux associations écologistes locales qui s’inquiètent, les dirigeants martèlent que « les déchets peuvent être remontés à tout moment ». « On a tous avalé l’idée d’un possible déstockage. C’est comme cela que le projet est passé », raconte encore Jean-Pierre Hecht. Mais le 10 septembre 2002, le site « totalement sécurisé » prend feu.
Mineurs au casse-pipe
Quelques jours auparavant, pour faire face aux pertes financières de l’entreprise, l’ancien pédégé Patrice Dadaux a accepté d’enterrer 472 grands sacs étanches – baptisés « big bags » – provenant de produits phytosanitaires. A l’intérieur : un mélange d’amiante, d’engrais, de soufre, des matières interdites et hautement inflammables. Les conducteurs de poids lourds qui transportent la marchandise évoquent alors une « odeur pestilentielle » et un liquide « multicolore » s’écoulant de sachets supposés hermétiques. Les sacs affichent une température de dix degrés plus élevée que la température extérieure. Les syndicats donnent l’alerte, demandent des analyses, mais la direction ordonne le stockage à 500 mètres sous terre. Les déchets interdits vont alors « fermenter » plusieurs jours. Jusqu’à l’incendie.
Les mineurs présents sur les lieux aident les secours et sont dangereusement exposés. « C’est grave. Ils les ont envoyés au casse-pipe avec de simples blousons de mineurs. Sans protection. Seuls les pompiers disposaient d’un équipement spécial », explique l’un de leurs avocats, André Chamy. Il faudra deux mois et dix jours pour éteindre définitivement le brasier. Depuis l’incendie, plusieurs d’entre eux souffrent de démangeaisons et de difficultés respiratoires. L’information judiciaire ouverte pour déterminer les causes du sinistre a conduit à la mise en examen de Stocamine et de son ancien pédégé. Et 74 mineurs ont obtenu réparation pour avoir été exposés aux fumées toxiques. En septembre 2003, l’entreprise cessait officiellement son activité.
Amendement en catimini
Reste une question épineuse : que faire des 44 000 tonnes de déchets croupissant au fond des galeries ? Pour Jean-Pierre Hecht, la réponse est simple : « Avec les années, les dirigeants et l’Etat espèrent tout laisser au fond. Pour eux, c’est la solution la plus économique. Pour nous, c’est la plus dangereuse. » Deux hypothèses ont été proposées par la préfecture : remonter les déchets à la surface – une opération estimée à 100 millions d’euros – ou refermer la mine pour 50 millions d’euros. Devant les caméras, le député UMP du Haut-Rhin, Michel Sordi, ne s’en cache pas : mieux vaut utiliser l’argent de la circonscription pour créer des emplois que pour évacuer des déchets.
En catimini, il fait passer, en 2004, un amendement sur mesure à l’Assemblée nationale prévoyant « qu’au bout d’un an d’inactivité, les centres de stockage souterrain de produits dangereux deviennent des centres de stockage définitifs ». En France, seul le site de Stocamine est concerné par cette disposition législative ! « Le stockage à durée illimitée, c’est une belle litote pour dire que l’entreprise peut légalement abandonner ses déchets au fond », explique Yann Flory, président de l’association environnementale Gaïa.
Scénario catastrophe
Pour l’heure, aucune décision n’a été prise et le temps presse. « Si on veut ressortir les déchets, c’est maintenant qu’il faut agir », s’alarme Etienne Chamik, ancien mineur, qui affirme que les galeries commencent à s’affaisser. Côté Stocamine, la nouvelle équipe dirigeante est mal à l’aise. Officiellement, « il n’y a rien d’exceptionnel. La mine est comme un puits, et dans un puits, il y a obligatoirement de l’eau, on ne peut rien faire contre ça. » Officieusement, on reconnaît que « des erreurs ont été commises », que « promettre la réversibilité des déchets aux habitants, ça a été une connerie ».
Selon deux rapports récents, le constat est alarmant : les fûts contenant les déchets sont détériorés et risquent d’être perforés, les galeries se déforment rendant l’accès au cimetière chimique de plus en plus difficile. « La flotte coule dans la mine depuis un an. A long terme, elle sera noyée », prédit Jean-Pierre Hecht. C’est ce scénario catastrophe que craignent les associations écologistes. Car la plus grande nappe phréatique d’Europe, celle du Rhin, passe juste au-dessus du cimetière chimique. En inondant les déchets, l’eau risque d’être contaminée. « L’expertise de Marc Caffet (un ingénieur mandaté par l’Etat, ndlr) pronostique une pollution de l’eau à l’arsenic dans 600 ans, explique Yann Flory, de l’association Gaïa. Depuis cette déclaration, les élus nous donnent raison, les habitants n’ont plus confiance en Stocamine. Les mineurs qui travaillent encore dans la mine veulent déstocker vite. Il y a une prise de conscience. Même le gouvernement s’agite. » Jean-Louis Borloo cherche en effet une sortie de secours. Le ministre de l’Ecologie souhaite avancer vite : trois experts viennent d’être nommés afin de prendre une décision définitive dans moins d’un an. En attendant, ni l’Etat, ni les élus locaux, ni les dirigeants successifs, ne veulent porter la responsabilité du fiasco Stocamine. Cette entreprise, qui n’est jamais parvenue à l’équilibre, ne préserve plus l’emploi que de 24 salariés et menace l’environnement de toute une région. —
L’ALLEMAGNE DÉSTOCKE 126 000 BARILS
En inaugurant le stockage des déchets nucléaires dans une mine de sel il y a quarante ans, l’Allemagne faisait figure d’avant-gardiste. Entre 1967 et 1978, 126 000 barils de déchets nucléaires sont enfouis dans l’ancienne mine désaffectée d’Asse, au centre du pays. Ils devaient y séjourner ad vitam æternam. Mais trente ans plus tard, Asse s’est transformée en catastrophe écologique : la mine est trouée, 12 m3 d’eau ruissellent chaque jour sur ses parois, les galeries s’effondrent, les contenants sont rouillés. La saumure, qui stagne au fond, pourrait être dix fois plus radioactive que la norme. Comme en France, les écologistes clament que la nappe phréatique sera contaminée d’ici peu rendant la région inhabitable. Face à la gravité de la situation, l’Office fédéral en charge de la gestion du site a tranché en début d’année : la mine doit être évacuée. Cette opération inédite, très complexe, pourrait coûter 2 à 3 milliards d’euros à l’Etat et devrait être financée grâce à une « taxe nucléaire ». L’Allemagne deviendrait ainsi le premier pays au monde à déstocker ses déchets souterrains.
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