Petites ou élancées, solitaires ou en rang d’oignons, à quelques encablures de maisons de briques rouges ou retirées sur une hauteur : le long de la route qui relie la ville d’Esbjerg au point le plus occidental du Danemark, les éoliennes font partie du paysage. Trajet déconseillé aux anti-éoliens non munis de défibrillateurs cardiaques ! Et ce n’est pas fini. Mais entre la plage du Blavandshuk et le parc éolien en mer Horns Rev 1, qui fournit 150 000 foyers en électricité depuis près de dix ans, il y a 14 kilomètres. Une distance identique à celle entre le projet de parc des Deux Côtes [1], au large de la Normandie, et la ville du Tréport (Seine-Maritime). Raison de plus pour la Compagnie du vent, la filiale de GDF-Suez derrière l’initiative, pour y organiser un voyage de presse. Entre deux réunions de débat public, elle y a fait la visite aux médias picards, normands et nationaux. Terra eco en était.
Dans une variante d’Où est Charlie ?, les journalistes se pressent sur la rambarde du phare du Blaavand. Mais rien n’y fait : même avec les jumelles fournies par Bent Jacobsen, ornithologue du centre naturel voisin, les éoliennes restent tapies dans le voile qui recouvre l’horizon. Une demi-heure plus tôt, il fallait chausser ses lunettes pour distinguer un alignement de mâts. Mission accomplie côté communication pour LCV : de retour à Paris ou à Amiens, la presse française aura plus de mal à relayer les craintes de destruction du paysage.
« Un peu le pays des Bisounours »
« Lorsque le temps est très clair, on peut même voir le deuxième parc, situé à 30 km », assure pourtant Colin Seymour, directeur du tourisme régional, depuis le mini-musée aménagé au pied du phare. Le parc éolien est maintenant considéré comme une attraction supplémentaire pour faire la promotion de la région ». Avec 2,5 millions de visiteurs annuels avant le parc, elle n’en avait pas vraiment besoin, les 7 500 maisons de vacances et leurs pittoresques toits en roseau en témoignent. Tout comme le mur de l’Atlantique tout proche. La zone – qui accueillera bientôt un parc national partagé avec l’Allemagne – abrite également 2 millions d’oiseaux qui se préparent avant une longue migration.
Et quand le gouvernement danois a installé un parc éolien offshore en face, les habitants n’ont pas bronché ? Même si « ici, c’est un peu le pays des Bisounours », selon le mot d’une journaliste inquiète pour l’équilibre de son reportage télé, le « Récif des cornes », « Horns Rev » en version française, n’a pas fait que des heureux au départ. « La population locale comme les propriétaires de résidences secondaires et le conseil municipal s’y sont opposés. Et le projet a eu beaucoup de mauvaise presse », reconnaît Colin Seymour. Selon lui, les acteurs locaux avaient, qui plus est, l’impression qu’on ne leur demandait pas trop leur avis… ou qu’il ne comptait guère.
« Une opportunité pour que l’éolien soit mieux accepté »
Mais au final les craintes ont été dissipées, assure le directeur du tourisme régional. La région n’a pas été désertée – 3,5 millions de touristes annuels aux dernières nouvelles – les prix de l’immobilier sont toujours à la hausse… et les oiseaux contournent le parc. « Le problème ce sont les huîtres », glisse tout de même Bent Jacobsen. Depuis quelques temps, une espèce invasive sans ennemi naturel local dévore les moules dont se régalent habituellement les oiseaux.
Sur le chemin du retour, les développeurs français sont bombardés de questions : « combien de temps ça tourne, une éolienne ? » « Ne faut-il pas des centrales polluantes pour prendre le relais quand il n’y a pas de vent ? » C’est le temps de l’explication de texte, un travail qui occupe également une grande part du débat public : une opportunité pour que l’éolien soit mieux accepté, mieux compris », estime Pierre Lagandré, directeur général adjoint de LCV.
« Un brûlot anti-éolien »
Il y a quelques mois, les parlementaires de la mission d’information sur l’énergie éolienne étaient passés par la même case danoise : visite de parcs, rencontre avec des industriels et des responsables publics… « C’est Patrick Ollier, son président, qui a proposé et organisé ce voyage. L’idée était d’aller voir si ce pays qui avait fait le pari de l’éolien en était satisfait », indique le député Philippe Plisson, qui en a claqué la porte en l’accusant d’avoir rendu un « brûlot anti-éolien ». Qu’ont-ils donc vu sur place ? La Compagnie du vent aurait-elle soigneusement sélectionné des Bisounours ? « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », ironise l’élu de Gironde.
Mais lorsque le bus arrive au port d’Esbjerg, point de départ pour voir Horns Rev de près, les passagers n’en sont plus échanger sur le bien-fondé de l’éolien mais des astuces pour combattre le mal de mer. Votre envoyé spécial a-t-il su garder au fond de l’estomac son déjeuner d’asperges et de poisson (constantes de la gastronomie locale) ? Réponse demain dans notre deuxième partie.
FRANCE-DANEMARK : COMPARAISON EST-ELLE RAISON ?
Un impact réduit sur le paysage, un tourisme toujours florissant, un environnement naturel indemne : l’exemple d’Horns Rev est-il transposable au littoral normand ? Pour la visibilité des éoliennes, il a justement été choisi pour cela. Avec un bémol : les 80 spécimens danois mesurent 110 mètres contre 140 machines culminant à 150 mètres pour le projet français (mais avec une puissance de 700 mégawatts au lieu de 160). Si vous voulez faire le test, l’étude paysagère conclut qu’elles seront perçues « comme des objets de 1 cm de haut situés à 1 mètre de l’œil ». Pour le tourisme et l’immobilier, les visiteurs et aspirants résidents au Tréport seront peut-être plus sensibles à cette présence ? Cela dépendra aussi de leur valorisation ou non par les acteurs locaux… L’impact sur la faune n’est lui transposable que très partiellement, et il vaut mieux se reporter aux études d’impacts réalisées par le bureau d’études Abies.
Retrouvez le deuxième épisode du voyage de Terra eco au pays de l’éolien offshore ici
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