Le siège de Tesla, à Menlo Park dans la Silicon Valley, le 20 mai dernier. Devant un parterre de journalistes et de personnalités locales, Akio Toyoda, le patron de Toyota arrivé tout droit du Japon et Elon Musk, le flamboyant patron du fabricant de voitures électriques Tesla. Jamais en reste pour prouver qu’il est écolo, le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger se trouve à leurs côtés. Le scoop qui vaut ce déplacement ? Le constructeur de la Prius, véhicule hybride pas flashy pour un sou, s’associe au concepteur de la Tesla Roadster, véhicule 100% électrique tout aussi sexy qu’hors de prix (plus de 81 000 euros pièce). Toyota va ainsi débourser 50 millions de dollars (41 millions d’euros) lors de l’introduction en bourse au troisième trimestre 2010 de Tesla. Elon Musk affirme qu’ « il s’agit d’un des moments les plus excitants de l’histoire de Tesla », entreprise fondée en 2003, pendant qu’Akio Toyoda confie avoir « senti le vent du futur » en prenant le volant de la Tesla Roadster pour la première fois lors de sa visite récente au domicile du pédégé de la start-up.
Les détails du deal sont cependant restés vagues, le patron de Tesla avouant n’avoir commencé les discussions avec son homologue japonais que six semaines auparavant. Ce que l’on sait, c’est que grâce à Toyota, Tesla va fabriquer sa berline électrique, le modèle S, à partir de 2012, dans un lieu emblématique : l’usine Nummi (New United Motor Manufacturing Inc.), basée à Fremont, à une trentaine de kilomètres du siège de Tesla. D’après un document de la Securities and Exchange Commission (le gendarme de la bourse américaine), Tesla a payé 42 millions de dollars (34 millions d’euros) pour reprendre l’usine.
Fondée en 1984 et fruit d’un partenariat entre Toyota et General Motors (GM), l’usine venait pourtant de fermer ses portes – 4 800 travailleurs sur le carreau – au grand dam du très puissant syndicat United Auto Workers. GM y a produit sa dernière voiture en août avant que Toyota ne décide de cesser également sa production au printemps, l’usine ayant été jugée peu rentable par le constructeur japonais, notamment à cause du coût de la main-d’œuvre syndiquée.
Une formidable opération de relations publiques pour Toyota
Gigantesque, la fabrique peut produire annuellement jusqu’à un demi-million de véhicules. Tesla, qui ambitionne 20 000 berlines par an, n’occupera donc qu’un coin de l’usine. Les constructeurs ont lancé la promesse de développer ensemble des véhicules électriques sans pour autant préciser la nature exacte de leur collaboration en la matière. Le service de presse de Tesla se contente de confirmer que les détails sont loin d’être affinés et qu’il est hors de question d’en dire plus en raison de la « quiet period », ce temps qui précède une introduction en bourse et au cours duquel les entreprises sont tenues au silence.
Pour Ed Kim, spécialiste de l’industrie automobile pour le cabinet de recherche Auto Pacific, cette alliance avec Tesla représente pour Toyota une formidable opération de relations publiques. « Toyota n’a pas besoin de Tesla d’un point de vue stratégique, leur technologie en matière de véhicule électrique étant bien plus développée que celle de la start-up. En revanche, il s’agit d’un gros coup de pub », explique l’expert qui rappelle que le constructeur japonais a été malmené ces derniers mois. La fiabilité de certains de ses véhicules – dont la Prius – a ainsi été remise en cause dans la presse. « Quant à Tesla, elle compte sur Toyota pour asseoir sa crédibilité à la veille de son entrée en bourse. Souvenez-vous qu’il y a deux ans, Daimler était entré dans le capital de Tesla (à hauteur de 10%, ndlr). Aujourd’hui la start-up s’est donc assurée le soutien de deux géants automobiles dans le but d’inspirer confiance aux investisseurs. »
Une manœuvre calculée pour se débarrasser des travailleurs syndiqués ?
Pourtant l’accord ne fait pas que des heureux. Si les représentants de l’United Auto Workers espèrent que le millier d’emplois promis par Tesla iront à des travailleurs syndiqués – ce que le constructeur n’a pas confirmé –, les habitants de Downey, au sud est de Los Angeles, crient, eux, à la trahison. Elon Musk était en effet sur le point de signer un contrat avec la ville afin d’y construire ses berlines avant que Toyota et ses 50 millions de dollars (41 millions d’euros) ne l’incitent à changer d’avis. Pour Mario Guerra, un élu local, il s’agit de la preuve ultime que les Américains ne peuvent accorder leur confiance ni à Tesla – Elon Musk avait donné sa parole au maire de Downey – ni à « Corporate America », l’Amérique du big business.
Ed Kim, lui, insinue qu’il s’agit d’une manœuvre calculée de Toyota. Le constructeur aurait fait en sorte de mettre la clé sous la porte pour renvoyer les travailleurs syndiqués avant de revenir dans l’usine, par l’intermédiaire d’un partenariat avec Tesla, en embauchant cette fois-ci une main-d’œuvre plus abordable car non encartée dans une union.
Le malheur des uns fait cependant le bonheur des autres. Pour Nina Moore, responsables des affaires communautaires pour la chambre de commerce de la ville de Fremont, siège de l’usine rachetée par Tesla, « un rêve fantastique vient de se réaliser ». Alors que cette ville de la banlieue de San Francisco a considérablement souffert de la fermeture de l’usine Nummi, ce rachat lui permet aujourd’hui de s’imposer comme la Mecque des technologies propres, la cité ayant aussi réussi à attirer nombre d’entreprises « vertes » dont le fabricant de panneaux solaires Solyndra qui a eu récemment l’honneur d’une visite du président Obama. Elon Musk en a d’ailleurs profité pour glisser qu’il ferait de Nummi l’usine automobile la plus verte au monde…
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