Der Spiegel assure que les enregistrements sont nés « accidentellement ». Il est permis d’en douter mais les deux fichiers que s’est procuré le magazine allemand apportent un éclairage inédit sur la fameuse réunion du 18 décembre 2009 à Copenhague. Sur le jour où les leaders de la planète ont décidé « d’abandonner leurs efforts pour sauver le monde », comme écrit l’hebdomadaire. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les Chinois passent pour les torpilleurs en chef de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique.
25 représentants des pays « qui comptent » se pressent dans la salle Arne Jacobsen du Bella Center pour une rencontre improvisée par la présidence danoise ce jour-là. Première désillusion, un second couteau, le vice-ministre des Affaires étrangères He Yafei, remplace le Premier ministre chinois Wen Jiabao. Motif ? Il aurait, selon Der Spiegel, été vexé de ne pas avoir été invité en personne, la veille, à un round de négociations organisé par les États-Unis.
Merkel et Sarkozy avalent leur chapeau
Envoyé au front, le négociateur chinois déclare simplement : « Compte tenu de l’importance du document, nous ne voulons pas être bousculés… Nous avons besoin de plus de temps. » Or à ce moment-là, le texte contient encore un objectif de réduction de 80% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 par rapport à 1990 pour les pays développés et de 50% pour le reste du monde. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avalent leur chapeau tandis qu’un représentant indien vient en renfort du Chinois. « Nous vous l’avons toujours dit. Ne faites pas les jeux d’avance ! » La réunion est alors suspendue. Elle ne reprendra pas.Peu après, toujours selon Der Spiegel, un autre des pays du Basic (Brésil, Afrique du sud, Inde et Chine) passe un coup d’éponge général : plus d’objectifs de réduction des émissions, plus d’échéances, plus de date du pic d’émissions. Le tout, en compagnie de Barack Obama, accusé d’avoir planté un couteau dans le dos des Européens.
« Donner l’impression que l’Occident avait déçu les pays pauvres »
Pour Jean-François Huchet, directeur du Centre d’études français sur la Chine contemporaine à Hong Kong, le blocage chinois n’a pourtant rien de surprenant. « Si les Occidentaux et les États-Unis se sont réveillés avec surprise au lendemain de cette réunion en découvrant que la Chine n’était pas prête à faire des concessions sur l’instauration d’un quota d’émissions et un contrôle international, je serais vraiment très étonné. La Chine avait dit depuis très longtemps qu’elle n’accepterait pas de se voir imposer des quotas. » Et si Wen Jiabao a fait le mur le 18 décembre, c’est peut-être aussi, poursuit le chercheur, parce qu’il « a voulu éviter de se laisser embarquer dans une sorte d’euphorie ou d’engrenage lors d’une réunion au sujet de laquelle il n’avait aucune envie de changer d’opinion. »
A moins que Pékin n’ait avancé secrètement de nouvelles propositions avant Copenhague, difficile en effet de lui reprocher de bloquer des mesures qu’elle a toujours refusé de prendre, même si elle connaissait depuis longtemps la teneur de l’« accord danois ». Journaliste et expert auprès des Maldives pendant la Conférence, Mark Lynas écrivait dans The Guardian en décembre que la Chine était venue à Copenhague pour « bloquer les négociations officielles pendant deux semaines », et « s’assurer qu’un accord à huis clos donne l’impression que l’Occident avait une fois de plus déçu les pays pauvres » !
Pékin revendique la responsabilité historique des pays riches
Mais pourquoi avoir refusé aux pays développés le droit d’inscrire dans le marbre l’objectif de réduction de 80% des émissions d’ici 2050. D’abord par peur de voir l’accord de Kyoto, et le principe des « responsabilités communes mais différenciées » s’envoler, selon Mark Lynas. Accepter que les pays riches prennent un engagement chiffré de 80%, c’est risquer de devoir tôt ou tard adopter un objectif de 50%… Or la Chine revendique la responsabilité historique des pays riches. Elle revendique aussi le droit à sa propre croissance – la meilleure assurance vie du parti communiste –, basée sur le charbon peu cher.Martin Khor, directeur exécutif du Centre Sud à Genève, pointe quant à lui la responsabilité du Danemark. Le projet danois, explique t-il dans The Guardian, représentait surtout les positions des pays développés et aurait impliqué que les pays en développement coupent leurs émissions de 20% en valeur absolue, de 60% en émission par tête. « Pour un accord équitable, écrit-il, les pays développés auraient dû s’engager à réduire d’au moins 200% à 400% leurs émissions. » Dans ces conditions, Pékin avait encore moins d’intérêt à signer un accord contraignant.
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