Ride the Flavour, le tour du monde des saveurs en vélo électrique |
Par Ride the Flavour |
16-09-2013
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Saytlia, la source de l’agriculture biologique |
Au cours de nos trois semaines passées au Maroc, nous avons plusieurs fois arpenté les couloirs des chambres (instances provinciales) et des directions régionales de l’agriculture marocaine. Toujours très bien accueillis, nous avons petit à petit découvert le contexte agricole au Maroc : on nous l’a dit et répété : le pays (à travers son plan Maroc Vert) s’oriente clairement vers l’intensification de ses terres agricoles.
(vous trouverez plus d’informations sur le plan Maroc Vert ici)
Mais contre toute attente, la chance nous a mis sur la route de Saytlia, la ferme biologique de Mohamed Zouhair et Irène Nicotra. Ils cultivent bien entendu leur terre sans produit chimique, mais surtout, ils le font avec passion et conscience. Toute une éthique de vie gravite autour de cette ferme. C’est ce qui la rend si rare. C’est ce qui nous a conquis et convaincus de vous en parler.
En 2000, Mohamed (docteur en climatologie) et Irène (traductrice) décident de quitter Paris pour aller s’installer au Maroc. Mohamed n’aspire alors qu’à une chose : revaloriser la terre que lui a légué son père, située à 50km de Rabat. Il pense d’abord à planter des arbres, des oliviers, pour protéger la partie fragile de son terrain contre l’érosion. D’autres arbres fruitiers viennent petit à petit compléter le verger et un potager voit le jour... Au début, Mohamed ne tire de la terre que de quoi nourrir sa famille et ses amis, mais en juin 2010, poussés par la crise financière et l’insistance de leur entourage, lui et Irène commencent à vendre.
Notre reportage vidéo : "Saytlia, la source de l’agriculture biologique"
"La nature, si on la respecte, toujours elle te le renvoie. Il ne faut pas forcer." Si tel ou tel plant ne se développe pas à un endroit, Mohamed ne s’entête pas et essaye ailleurs, sur un sol différent, ou bien change tout simplement de variété. Il fait ainsi des tests, prends des notes et s’améliore au fur et à mesure de ses expériences. Mohamed insiste la-dessus : bien connaître son terrain est la condition sine qua non pour développer une agriculture biologique !
Il n’ajoute bien sûr rien à la terre, hormis du fumier naturel. La polyculture et la permutation des cultures suffisent à garder un sol riche et équilibré. Les petits pois, par exemple, rejettent de l’azote : on peut donc planter ensuite des pommes de terre ou du chou, tous deux gourmands en azote.
Mohamed plante aussi avec le calendrier lunaire. L’importance de cette pratique empirique est apparemment flagrante, en particulier pour les tomates, les courgettes, et les figues.
Et qu’en est-il de l’irrigation, indispensable pour déjouer l’aridité de la région ? Mohamed a fait appel à un sourcier qui a découvert 6 sources sur son terrain. Des puits ont été creusés au dessus de chaque source, et alimentent ainsi le système d’irrigation qui parcourent le potager et le verger.
Mohamed et Irène, avec l’aide de leur trois enfants, vendent leurs fruits et légumes chez eux, à Rabat, à 50km de la ferme : en général, les clients commandent à l’avance par internet et viennent récupérer leur paniers le mercredi après-midi, le jeudi matin ou le samedi. Ces journées sont l’occasion pour les clients de se rencontrer, de se retrouver, d’échanger... Le maître-mot ? La convivialité ! C’est cette proximité qu’Irène cherche à développer en envoyant régulièrement une newsletter pleine d’humour, détaillant les produits disponibles, quelques conseils de préparation, mais aussi les mésaventures de la ferme.
Le gaspillage est bien sûr réduit au minimum ! D’une part, Irène se renseigne pour pouvoir utiliser les plantes cultivées des racines au feuilles. Alors qu’au Maroc, les fleurs de courges sont jetées sans autre procès, Irène les conserve pour ses clients et explique qu’elles peuvent se manger farcies. Et d’autre part, elle trouve des moyens pour préparer les fruits et légumes invendables ou non-vendus : les pommes tombées de l’arbre servent par exemple à faire du vinaigre.
Deux ouvriers, Hassan et Bouazza, aident Mohamed à la ferme et sont récompensés à la juste mesure de leur travail. Ils ont accès à des conditions de travail encore rares au Maroc : la sécurité de l’emploi (pas de chômage technique : les jours de pluie, il y a toujours du travail en intérieur qui les attend), des congés payés, des bonus, etc. Mohamed et Irène veulent ainsi montrer qu’il existe un avenir pour ceux qui restent à la campagne. Qui cultivera la terre si tous les jeunes partent à la ville ?
Mohamed a même incité Bouazza à apprendre à lire et écrire : il le laissait quitter la ferme plus tôt pour qu’il puisse suivre des cours. C’est une réelle relation humaine qui lie Hassan et Bouazza à Saytlia !
Les fruits et légumes que Mohamed et Irène proposent ne sont pas tous rentables, en particulier les pommes de terre et les carottes. Alors pourquoi continuer à les cultiver ? La réponse est naturelle : "Pour les enfants, pour les personnes âgées, pour les malades... C’est pour ceux qui ne peuvent pas se passer d’une alimentation équilibrée et saine que nous continuons."
Lorsque nous questionnons Mohamed sur le développement du bio au Maroc, il nous explique que l’initiative doit d’abord venir des agriculteurs. En effet, si c’est le consommateur qui vient chercher le producteur, ce dernier cherchera le profit avant tout n’hésitera pas traiter quand le consommateur aura le dos tourné. Mais il y a deux freins à ce changement des mentalités :
L’Etat, qui ne donne aucune incitation : au Maroc, les seules fermes biologiques sont les fermes royales.
Le flegme des paysans. Mohamed essaye de conseiller ses voisins, mais se heurte à un réel manque d’ambition : "Il pleut la nuit, ils sont contents. C’est la sécheresse, ils se plaignent."
Délivrées des pesticides, les parcelles biologiques nécessitent beaucoup d’attention. Nous l’avons vite compris au contact de Mohamed et Irène : la tâche est immense et il semble qu’elle ne puisse être supportée sans passion. Mohamed espère donc le retour à la terre de chercheurs convaincus, qui pourrait amorcer une prise de conscience globale : une agriculture durable ne peut être que naturelle. Et finalement, si la plupart des agriculteurs cultivent en biologique, l’Etat n’aura d’autre choix que de suivre.
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