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28-02-2013
Mots clés
Société
Tourisme
Afrique

Les Himbas se font gardiens du temple de la faune de Namibie

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Une bergère himba surveille son troupeau.

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Zehenewa Tchisutwa, bergère, a rencontré un rhinocéros près d’un point d’eau.

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Uriparo Nujigere, le président de la Conservancy, abreuve les bêtes.

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L’un des trois rhinocéros présents sur le territoire.

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Le garde Henry Tchimbiru guette un rhinocéros.

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Les femmes Himbas cueillent la résine aromatique de commiphora.

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Kakuurisa Otchivinda et Henry Tchimbiru, les gardes surveillent la faune.

 
Dans ce pays d’Afrique australe, le « Peuple d’ocre » a vu disparaître le braconnage sur son territoire grâce aux « Conservancies », un système unique qui mêle gestion environnementale, chasse et tourisme.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Assise devant sa minuscule hutte en branchages et boue séchée, Zehenewa Tchisutwa raconte à son mari sa mésaventure matinale. Comme chaque jour, à l’aube, elle a parfait l’enduit rouge sur son corps, revêtu sa coiffe et sa ceinture en peau de chèvre et, ainsi, presque nue, s’en est allée, avec le bétail familial, parcourir les dix kilomètres qui la séparent du premier point d’eau. Mais, à son arrivée – oh ! frayeur ! – un autre animal assoiffé occupait déjà la place. « C’était un rhinocéros noir ! Pendant que je dispersais mes bêtes, je me suis adressée à lui. Je lui ai dit que je le laissais volontiers se désaltérer le premier, car je n’oublie jamais combien il est essentiel pour nous, Himbas, et que je reviendrais plus tard avec mes vaches et mes veaux. Puis, je me suis enfuie à toutes jambes ! »

Les rencontres insolites, voire dangereuses, entre fermiers et faune sauvage, sont fréquentes sur le territoire aride et rocailleux de la Conservancy d’Orupembe, « territoire de conservation » situé dans l’extrémité nord-ouest de la Namibie. Sur cette vaste plaine de 3 500 km2, encerclée de montagnes basaltiques et traversée de lits de rivières asséchées, les pâturages sont rares et l’eau, une denrée précieuse. Mais accepter de côtoyer, et même de partager, leurs ressources vitales avec hyènes, guépards et rhinocéros, en échange des rentrées financières que ceux-ci leur rapportent, c’est le choix que les Himbas – aussi appelés Peuple d’ocre – d’Orupembe ont fait en 2003, au titre du système namibien des Conservancies, une politique de gestion de la faune sauvage unique au monde. De fait, en 1996, soit à peine six ans après son indépendance, la Namibie, pays largement désertique, grand comme une fois et demie la France, prend le contrepied de ses voisins africains en matière de préservation des espèces en danger. Au lieu de développer les parcs nationaux et les réserves privées, elle décide d’octroyer la propriété d’une partie du territoire national, avec les animaux sauvages qui la peuplent, aux populations locales, dont la mission est d’en assurer la préservation. En échange, celles-ci se voient promettre d’importantes rentrées financières, grâce aux contrats de chasse et de tourisme qu’elles sont libres de passer, sans aucun droit de regard ou de retenue de la part du gouvernement central.

Récompenses internationales

« En fait, l’histoire des Conservancies a commencé dans les années 1980 », rappelle Garth Owen-Smith. Ce militant écologiste de 68 ans, Namibien d’origine sud-africaine, et sa femme, Margaret Jacobsohn, anthropologue namibienne, sont les instigateurs de ce système original de gestion de la faune sauvage, qui leur a valu depuis moult récompenses et marques de reconnaissance internationales. A l’époque, rhinocéros et éléphants sont en voie d’extinction, en raison d’un braconnage massif. Le pays, alors en proie à des sécheresses répétées, ne parvient plus à nourrir ses quelque 2 millions d’habitants, tandis que l’administration sud-africaine de l’apartheid, qui a pris les rênes de la Namibie, a accordé les meilleures terres à une poignée de fermiers blancs. Le commerce illégal d’ivoire procure un formidable revenu de substitution et, dans les villages, les braconniers font figure de héros, leurs actes relevant du défi à l’occupant.

En 1983, le couple débarque dans la province du Kaokoveld, dans le nord-ouest du pays, où le braconnage fait le plus de ravages, avec l’idée de renverser la tendance. Il n’a alors que la force de ses arguments pour convaincre la population de protéger sa faune afin d’en tirer profit à une échéance, toutefois, encore imprécise. Pourtant, l’argument passe, car il représente, pour ces populations rurales, dénuées de toute autre ressources que celles fournies par leur environnement, l’occasion de reprendre possession de celui-ci. En outre, c’est leur redonner un rôle, une dignité et une identité, bafouée jusque-là par une administration sud-africaine oppressive, qui les a destitués de tout droit de chasse, leur interdisant de fait de se nourrir à partir d’animaux encore en abondance, comme les antilopes ou les phacochères.

Vaste consultation populaire

L’étape psychologique étant franchie, les deux militants peuvent engager, dans les villages les plus touchés par le fléau, la création de brigades anti-braconnage qu’ils rémunèrent, à l’époque, de leurs deniers personnels. Parallèlement, pour éviter tout retour à une tentation de chasse aux animaux gros buveurs d’eau, leur ONG, l’IRDNC (Développement rural intégré et protection des ressources naturelles), avec le soutien du WWF, creuse des points d’eau en dehors des zones habitées. « Comme tout un chacun, ici, nous espérions l’indépendance rapide de la Namibie. Mais, pour notre projet, elle était, en outre, essentielle, pour que celui-ci concrétise vite ses promesses », se souvient Margaret Jacobsohn. L’arrivée d’un nouveau régime en Afrique du Sud – celui du Président Frederik de Klerk, décidé à mettre fin à l’apartheid – marque l’arrêt de vingt-trois ans de combats contre la Swapo (Organisation du peuple du Sud-Ouest africain), le mouvement de libération de Namibie. Au lendemain de l’indépendance, en 1990, le parti accède au pouvoir.

« La Swapo s’est montrée immédiatement ouverte à notre projet. Cela correspondait à ses idéaux, celui de redonner du pouvoir aux Namibiens. Toutefois, c’était un acte courageux que de prendre le risque d’octroyer aux populations la responsabilité de préserver la faune sauvage, car tout aurait pu mal tourner. Et puis, au même moment, nos voisins prenaient le chemin inverse, avec une centralisation de la politique de conservation », précise l’anthropologue. Plus audacieux encore, selon elle, surtout dans un contexte africain peu démocratique, est la vaste consultation populaire qui s’engage, et à laquelle l’IRDNC apporte son assistance. Les questions posées ? Comment entendez-vous assurer cette mission de préservation ? Comment imaginez-vous protéger vos familles, vos récoltes et votre bétail des animaux dangereux ? Comment espérez-vous tirer des revenus de la faune sauvage ? Quelles sont vos aspirations en termes de développement ?

76 Conservancies en 2012

Une année de ce processus débouche, en 1996, sur la loi qui donne naissance aux Conservancies, créées les unes après les autres, sur la base d’une demande émanant des communautés villageoises, et dont la délimitation géographique est également décidée collectivement. De deux la première année, le nombre de Conservancies est passé à 76 en 2012, ce qui signifie qu’en incluant les deux parcs nationaux que compte la Namibie, c’est près de la moitié du pays (42 %) qui est aujourd’hui zone protégée pour la faune sauvage ! « Depuis vingt-cinq ans, il n’y a pas eu un seul rhinocéros abattu dans les Conservancies, alors que dans les autres pays d’Afrique australe, les problèmes de braconnage ont repris. Nous sommes le seul pays au monde où la faune sauvage croît en dehors des parcs nationaux », s’enorgueillit Garth Owen-Smith.

Un rhinocéros à 50 mètres

Dans leur vieux 4x4 qui ne craint plus les éboulements rocheux et les arbres morts en travers de la piste, Henry Tchimbiru et Kakuurisa Otchivinda, deux des trois gardes antibraconnage de la Conservancy d’Orupembe, traquent de leurs jumelles l’un des trois rhinocéros présents sur le territoire. Ils ont pris note de l’incident ayant provoqué la frayeur de la jeune fermière himba, plus tôt le matin, pour délimiter leur zone de recherche. Au bout de près de trois heures à suivre les traces et les déjections fraîches de l’animal, les deux rangers trouvent Katuuru, un magnifique mâle de 6 ans, endormi à seulement 50 mètres d’eux. Henry évalue son périmètre de déplacement dans la journée et griffonne quelques notes dans le registre destiné à cet effet. « Notre rôle n’est plus celui de faire la chasse aux braconniers, car il n’en existe plus. Depuis que la faune leur appartient, les Himbas en prennent soin. En revanche, dans une région aussi sèche que la nôtre, animaux sauvages et domestiques sont en concurrence pour l’eau et les pâturages. Aussi, en fonction de ce que nous observons quotidiennement des mouvements des espèces sauvages, nous dirigeons les fermiers de la Conservancy vers un coin ou un autre de la plaine », explique le ranger.

Toutefois, malgré leurs efforts de « médiation », les conflits entre Himbas et faune surviennent de temps à autre, nécessairement. A Orupembe, on compte en moyenne 100 têtes de bétail perdues chaque année entre les crocs d’un félin. « Constater les décès, cela fait partie aussi de nos interventions, explique Kakuurisa. Lorsqu’un fermier a perdu l’une de ses bêtes, nous nous rendons sur place pour vérifier qu’il avait bien pris les mesures préventives recommandées, comme celles d’éviter le vagabondage de ses bêtes près d’un point d’eau au crépuscule, ou bien celle de leur mise dans un enclos, la nuit. Car c’est à partir de notre constat que seront déclenchées les compensations. »

Pour assurer la pérennité du processus, la politique des Conservancies se devait en effet d’inclure un système de réparation. Au départ, il s’agissait d’une assurance souscrite par chaque Conservancy, à partir de ses rentrées annuelles, complétées par de l’argent de donateurs internationaux. Puis, il y a deux ans, dans un souci d’équité, le gouvernement namibien a décidé de reprendre la charge de l’assurance et de distribuer annuellement 60 000 dollars namibiens (6 000 euros) à chacune d’entre elles. « A la fin de l’année, on fait les comptes, et chaque fermier reçoit, en fonction de la taille de la bête perdue – vache, chèvre ou mouton –, un montant en proportion de la somme totale », précise Henry.

Attirer des chasseurs

A l’ombre d’un acacia, pendant que son bétail s’abreuve au puits, Uriparo Nujigere fait ses comptes. « L’an dernier, nous avons empoché 140 000 dollars namibiens (14 000 euros) de revenus. Ce qui est beaucoup, en proportion de notre petit nombre : seulement 400 Himbas sur tout le territoire. C’est le tourisme qui nous rapporte le plus », commente le président de la Conservancy d’Orupembe. En sus du campement qu’elle a elle-même construit, la communauté abrite deux lodges privés qui, selon les principes en vigueur, ont obligation de signer un partenariat avec la Conservancy, visant à reverser une partie des bénéfices et à promouvoir le recrutement de personnel local. « Une partie de ces revenus sert à payer les salaires des rangers et des employés du campement communal. Nous utilisons une autre partie pour assurer les repas des enfants dans notre école, et une troisième partie pour l’organisation de nos fêtes traditionnelles. Il reste enfin une petite somme que nous distribuons individuellement à chacun. Dans les années à venir, nous espérons bien attirer plus de chasseurs car nous avons du bon gibier, et la chasse, ça rapporte », ajoute-t-il, malicieux.

Les deux rangers ont rejoint le président de la Conservancy sous son arbre et lui rendent compte de leur patrouille du jour. « Notre rôle est essentiel dans l’allocation des quotas de chasse aux Conservancies par le gouvernement, intervient Henry. Nous participons au recensement de la faune sauvage qu’organisent, chaque année, en juin, les autorités. En fonction de la croissance par espèce, celles-ci décident du nombre de bêtes pouvant être abattues. La chasse paraît être un acte antipréservation, mais pas ici, en Namibie, où elle est pratiquée de manière durable. »

Effluves citronnés

Sur la colline avoisinante, un groupe de femmes s’affaire autour d’arbustes épineux. Il s’agit de commiphoras, produisant une résine aux effluves citronnés, dont les Himbas se sont toujours parfumées et qu’aujourd’hui elles recueillent pour le compte d’une société française. « Cette collecte a rapporté 70 000 dollars namibiens (7 000 euros) aux 64 femmes qui l’ont pratiquée. C’est énorme ! Aujourd’hui, celles-ci sont rompues aux négociations avec les tour-opérateurs et ont su faire valoir leurs droits dans cette entreprise-là », précise Uriparo Nujigere. « C’est aussi le résultat de la politique novatrice de l’Etat namibien qui, après ceux sur la faune, a concédé la totalité de ses droits de propriété sur la flore et les forêts à des populations locales ayant, depuis quinze ans, fait preuve d’une bonne gestion environnementale. Au final, nous avons plus que gagné notre pari, conclut Margaret Jacobsohn, car au-delà d’une préservation qui fonctionne, les Conservancies ont permis de créer, dans un pays africain largement rural, une société civile forte. C’est du jamais vu ! » —


En Guyane, un écrin de nature préservé

Le plus grand parc naturel européen est… guyanais. Initié au sommet de la Terre à Rio en 1992 et officiellement créé le 27 février 2007, il s’étend sur plus de 3 millions d’hectares protégés. Son objectif officiel est triple : « Préserver la forêt primaire et les milieux rares, gérer de façon concertée espèces animales et végétales et protéger les sources des fleuves de la Guyane, dans le respect des principes du développement durable. » Environ 8 000 personnes vivent sur ce territoire, en majorité des Amérindiens et des Noirs Marrons, descendants des esclaves noirs. Ces populations constituent la meilleure « protection » de cet écrin de biodiversité à la frontière brésilienne. Mais l’insécurité et la pollution, liées à la présence de chercheurs d’or, et l’existence de gisements de ressources naturelles menacent aujourd’hui le fragile écosystème. —

Retrouvez ici tous les reportages de Corinne Moutout

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Tout au long de l’année 2013, vous retrouverez dans les pages de « Terra eco » les rencontres de Corinne Moutout, qui s’est lancée, en famille, dans un tour du monde journalistique. Elle entend témoigner de quelques-unes des milliers d’initiatives qui émergent et qui contribuent, chaque jour, à construire un monde durable. Ce périple l’emmènera dans pas moins de onze pays. Première étape : le Sénégal. Retrouvez aussi ces reportages dans l’émission « C’est pas du vent », sur l’antenne de RFI : www.rfi.fr/emission/cest-pas-vent

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