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20-12-2012
Mots clés
Consommation
Energies
Afrique

Au Sénégal, la bouse fait bouillir la marmite

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Au Sénégal, la bouse fait bouillir la marmite
(Crédit photo : Corinne Moutout)
 
Grâce à un programme-pilote, des familles rurales bénéficient de biodigesteurs transformant les déjections animales en méthane. Elles utilisent ainsi le gaz pour la cuisson des aliments et les effluents pour les cultures de maïs.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Balayés par un vent léger, les plants de maïs chatouillent de leur cime le visage d’Abdoulaye Ndiaye et de son visiteur, Matar Sylla. En se hissant sur la pointe des pieds pour porter le regard au-delà des épis en floraison, le vieux paysan et l’ingénieur du programme national de biogaz domestique du Sénégal (PNB - SN) égrènent avec malice les éléments d’une comparaison avantageuse avec le champ voisin. « Les tiges de mes plants sont plus hautes, plus vigoureuses ; les feuilles plus vertes et plus fournies. Ma récolte promet d’être bien meilleure », s’enthousiasme l’un. « C’est si clairsemé et rabougri qu’on ne dirait pas que vous cultivez la même chose », s’amuse son cadet. Pourtant, il s’agit bien de la même culture. Sauf que l’exploitation d’Abdoulaye Ndiaye est nourrie depuis un an au fertilisant organique très puissant rejeté par le biodigesteur que lui a installé Matar Sylla, tandis que l’autre ne connaît que les intrants chimiques.

Réchaud bleu rutilant

Si l’heureuse comparaison, qui vaut aussi pour ses champs de mil et d’arachide, a fait du septuagénaire un notable respecté dans son village de Ndiayen Keur Moussa, à 250 km au sud-est de Dakar, ses deux jeunes épouses suscitent, elles, des envieuses des kilomètres de brousse à la ronde. Dans la minuscule hutte qui leur sert de cuisine trône l’objet de toutes les convoitises : un réchaud bleu rutilant, alimenté au méthane. Sur les murs grossièrement nettoyés subsistent des traces de suie, vestiges d’une époque que les deux femmes ont symboliquement tenté d’effacer. Celle où elles se levaient à l’aube pour s’en aller très loin collecter le bois de chauffe nécessaire à la préparation des repas de la nombreuse famille. « Cela nous prenait trois heures par jour. Nous sommes tellement éloignés de la ville qu’on ne pouvait même pas espérer se procurer des bouteilles de gaz. Il aurait fallu une journée de charrette pour les transporter. Avec le biodigesteur, c’est du temps, de l’argent et de la fatigue économisés », explique l’aînée des deux.

« Nos filles ont retrouvé le chemin de l’école car, jusque-là, nous avions besoin de leur aide pour porter les fagots. Et quand on sait que les Africaines ont toujours ou presque un enfant dans le ventre, un autre accroché au dos et un troisième qui traîne dans leurs jambes, c’est autant de monde en cuisine dont les yeux et les poumons ne souffrent plus des fumées toxiques de la cuisson au bois », précise la seconde.

Piments et patates douces

Dehors, leur époux, revenu des champs, bichonne son jardin maraîcher. Oignons, piments, mais aussi patates douces, salades et tomates ont permis à la fois de diversifier l’alimentation familiale et de remplir les poches du paysan puisqu’il vend chaque semaine les excédents sur le marché du bourg le plus proche. C’est ce qu’en termes plus diserts, Matar Sylla appelle « assurer la sécurité alimentaire et l’amélioration des revenus des foyers ruraux, et surtout des plus reculés, grâce à un complément de cultures rendu possible, tout au long de l’année, par l’effluent organique qu’engendre en fin de cycle le biodigesteur ». Du vieil homme ou de ses épouses, nul ne saurait dire qui loue le plus les services de l’ingénieur du PNB - SN et de son installation miraculeuse. Celle-ci permet à la fois aux propriétaires de cheptel, comme Abdoulaye Ndiaye, une autoproduction en énergie, l’amélioration et la diversification des cultures et, last but not least, la préservation de l’environnement, en raison des masses de bois épargnées à un patrimoine forestier sénégalais largement, et depuis longtemps, surexploité.

A la base, le biodigesteur est une fosse septique, semi-enterrée, que son propriétaire emplit quotidiennement des déjections de son bétail. Complété d’une quantité équivalente en eau, le mélange se déverse dans une autre cuve, qui, elle, est totalement souterraine et crée donc l’environnement anaérobie (sans air et sans oxygène) nécessaire à une dégradation rapide de la matière. Il s’en dégage plusieurs gaz dont le méthane, connu pour être un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2, et qui, ainsi séquestré, épargne l’atmosphère en même temps qu’il devient l’énergie domestique de la maison. « Dix têtes de bétail suffisent à l’alimentation d’un biodigesteur de 8 m3, la plus petite de nos installations. En retour, celui-ci fournit l’énergie de cuisson pour les trois repas quotidiens d’une famille traditionnelle sénégalaise, composée d’environ 15 personnes. Il est aussi possible d’éclairer la même maison au méthane, mais seulement avec les plus grosses de nos installations, celles de 18 m3 », précise Matar Sylla.

Quant à la matière fécale dégradée, désormais liquide et débarrassée de tous ses éléments pathogènes grâce au travail en anaérobie des bactéries, elle devient un « bio-effluent », dont les effets fertilisants s’avèrent bien plus puissants que ceux des autres engrais, y compris naturels. Le Sénégal est le dernier pays en date à avoir rejoint le programme de partenariat sur le biogaz en Afrique, qui, il y a plusieurs années déjà, a séduit quatre Etats de l’est du continent (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Ethiopie) avant de s’implanter plus récemment en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso). C’est d’ailleurs au vu des résultats probants dans ces pays que le gouvernement du Sénégal a approché, à la fin de l’année 2009, les deux ONG néerlandaises, Hivos et SNV, instigatrices du projet pour la mise en place d’une phase-pilote de trois ans. « Ce programme a tout son sens dans notre pays, dont la population est à 80 % rurale », explique Anne Correa, la coordinatrice du PNB - SN.

Clientélisme de l’ex-président

Le partenariat prévoit alors la construction de 8 000 biodigesteurs en trois ans dans une seule région, le bassin arachidier sénégalais, autour de la grande ville de Kaolack, choisie pour son intégration des activités d’élevage et d’agriculture. Toutefois, la sensibilisation pratiquée par l’énergique équipe du PNB - SN aidant, 11 des 14 régions du pays comptent aujourd’hui des biodigesteurs. En revanche, à un an de la fin de la phase-pilote (en décembre 2013), seuls 350 ouvrages ont été installés tandis que les deux ONG néerlandaises ont, à la fin de l’année 2011, retiré leur appui technique et financier au programme. Jusqu’à cette date, les deux bailleurs contribuaient à hauteur d’environ 80 % de la subvention de 160 000 francs CFA (240 euros) accordée aux acquéreurs de biodigesteurs, tandis que le complément était apporté par l’Etat sénégalais.

Mais, au vu des déboires multiples et prolongés du précédent gouvernement dirigé par Abdoulaye Wade, qui n’a pas assuré, entre autres, la formation de maçons spécialisés dans ce type d’ouvrages – une carence qui est aujourd’hui la principale raison du retard du programme –, les deux ONG ont jeté l’éponge. Les autorités sénégalaises ont donc repris à leur compte la totalité de la subvention, un engagement prolongé par la nouvelle équipe du président Macky Sall, arrivée au pouvoir en mars dernier. Il n’empêche, malgré son succès – 1 000 demandes de biodigesteurs sont en attente – le PNB - SN est menacé tandis que, faute de fonds, dilapidés par le clientélisme d’Abdoulaye Wade, le gouvernement de Macky Sall envisage de suspendre la subvention. Or, le coût d’un biodigesteur, qui, selon sa taille, varie de 350 000 francs CFA (525 euros) à 800 000 (1 200 euros), est bien trop élevé pour la plupart des foyers ruraux. Et ce, même s’ils réduisent d’un tiers leur apport personnel en assurant les fouilles nécessaires à l’installation de l’ouvrage, ainsi que la fourniture d’eau, de sable et de graviers, présents en abondance dans leur environnement proche.

Vaches plus grasses

Pour ne pas que l’aventure s’arrête en si bon chemin, l’équipe du PNB - SN vient de contractualiser avec une institution de microfinance l’octroi de crédits aux ménages candidats, à des conditions plutôt favorables : taux de 10 % et période de remboursement pouvant s’étaler sur quinze ans. « Comment pourrait-on ne pas vouloir sauver le PNB - SN, qui offre une énergie renouvelable à partir d’une matière première abondante, tout en présentant des avantages en termes d’hygiène, de santé, d’environnement et de développement économique ! », se désespère Pape Alassane Dème. A la tête de la direction des Hydrocarbures et des combustibles domestiques, au ministère de l’Energie et des Mines, l’homme espère convaincre sa hiérarchie de le laisser récupérer une partie de l’énorme pactole de la subvention d’Etat accordée à l’achat de bonbonnes de gaz – le Sénégal ne dispose pas de réseau de distribution de gaz. « Une subvention qui profite avant tout aux urbains, nécessairement plus aisés que les ruraux, tandis que l’importation de cette énergie fossile nous coûte 30 milliards de CFA (45 millions d’euros) ! », souligne-t-il.

A Ndiayen Keur Moussa, Abdoulaye Ndiaye rêve de nouveaux projets développés grâce au biodigesteur. Déjà, l’équipe du PNB - SN l’a aidé à construire une étable pour abriter son bétail, et lui a appris à utiliser les résidus de maïs et de mil comme fourrage. « Je n’ai plus besoin de laisser mes bêtes en pâturage la nuit. C’est plus facile pour collecter la bouse et je risque moins le vol de bêtes. En plus, parce qu’elles parcourent moins de kilomètres pour se nourrir, mes vaches sont plus grasses et produisent davantage de lait », explique le paysan. Au fond du jardin maraîcher, une nouvelle cuve, rectangulaire celle-là, a fait son apparition. « Bientôt, j’aurai ici des alevins nourris à l’effluent du biodigesteur. Nous qui sommes loin de tout cours d’eau, nous pourrons enfin manger du poisson frais. » Finie la friture séchée, puante et indigeste ! Qui a dit que le méthane était un gaz nocif ? —


- Et en France

Ruée sur les déchets agricoles

Déchets d’industries agroalimentaires, résidus verts et ménagers, boues de stations d’épuration biologiques et chimiques (Step), effluents d’élevage et agricoles… En France, il existe différents types de rebuts « méthanisables », mais le marché s’est, jusque là, surtout orienté vers les Step, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Aujourd’hui, le potentiel est important dans l’agriculture – même si, dans ce secteur, les champions européens sont allemands –, notamment dans les grosses fermes. Les unités peuvent être individuelles ou centralisées, regroupant plusieurs exploitations. En 2011, on décomptait 40 unités « à la ferme » et 7 installations centralisées. Le projet le plus vaste a vu le jour à Louzy (Deux-Sèvres). Tiper méthanisation regroupe 60 exploitations agricoles et industries agroalimentaires – situées dans les 10 km à la ronde – et traitera 70 000 tonnes de biomasse. Celle-ci sera transformée en électricité et en chaleur et devrait répondre à la conso annuelle de 12 000 habitants. Le dispositif sera mis en service au printemps 2013. —

Retrouvez ici tous les reportages de Corinne Moutout
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Tout au long de l’année 2013, vous retrouverez dans les pages de « Terra eco » les rencontres de Corinne Moutout, qui s’est lancée, en famille, dans un tour du monde journalistique. Elle entend témoigner de quelques-unes des milliers d’initiatives qui émergent et qui contribuent, chaque jour, à construire un monde durable. Ce périple l’emmènera dans pas moins de onze pays. Première étape : le Sénégal. Retrouvez aussi ces reportages dans l’émission « C’est pas du vent », sur l’antenne de RFI : www.rfi.fr/emission/cest-pas-vent

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