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La banque mondiale des graines sème le trouble

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Creusée dans le sol gelé d’une île norvégienne, la Réserve de Svalbard vise à conserver au frais la plus grande variété de semences. Mais cette méthode hors-sol interroge. Tout comme la présence de géants des OGM qui gravitent autour du projet.
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« Il m’est arrivé une fois de les oublier », marmonne Roland Von Bothmer. Emmitouflé dans une parka épaisse, la tête cachée sous un bonnet, il cherche fébrilement ses clés. Nous sommes à l’entrée de la Réserve mondiale de graines de Svalbard, en compagnie de ce professeur suédois de génétique et de sélection des plantes. Il est l’un des deux scientifiques mandatés par la Banque des semences nordique pour s’occuper de la collection entreposée à l’intérieur. En ce mois de juin, la lumière frappe de jour comme de « nuit » les paysages glacés de l’archipel de Svalbard, à l’est du Groenland. 78 degrés de latitude nord, dans l’océan Arctique. Créée en 2008, la réserve se situe très précisément sur l’île de Spitzberg, non loin de la principale localité de l’archipel, Longyearbyen. Cette ville ou plutôt ce village constitue le cœur de ce chapelet d’îles et de banquise sous souveraineté norvégienne depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

Zéro chômeur, zéro malade

Inquiet de la disparition progressive de nombreuses variétés de plantes alimentaires, en quête d’un lieu sûr où construire une gigantesque banque de graines, la communauté scientifique internationale a porté son choix, au milieu des années 2000, sur ce territoire considéré comme l’un des plus stables du monde. Les quelque 2 000 personnes qui peuplent Longyearbyen la décrivent comme une « communauté idéale ».

Autrefois dédiée au charbon, la principale ressource énergétique de l’île, et peuplée de mineurs, la ville est désormais un bourg familial avec jardins d’enfants, école et superbe université spécialisée dans la recherche sur le milieu arctique. Pas de chômeurs, pas de malades, pas de retraités, rien ne dépasse dans ce village norvégien modèle du bout du monde.

C’est donc tout naturellement que la réserve de graines a trouvé sa place dans ce lieu qui fait désormais office de « congélateur naturel ». « C’est un endroit idéal pour la conservation des semences grâce au permafrost (sol gelé en permanence durant au minimum deux ans, ndlr)  », estime Kjell Mork, le maire de Longyearbyen. Avec sa longue barbe blanche et noire et ses yeux bleus, l’homme semble tout droit sorti d’un conte nordique. « Mais vous savez, poursuit-il, les gens d’ici ne savent pas trop ce qui se passe dans cette réserve et ça ne les intéresse qu’à moitié. Alors que si vous regardez sur le Net, c’est l’élément qui génère désormais le plus de clics concernant Svalbard. »

Sorgho, basilic, melon…

« Arche de Noé », « sanctuaire de la biodiversité », « jardin glacé »… Sur la Toile en effet, la réserve de Svalbard alimente les fantasmes. Mais lorsque la porte s’ouvre, on ne découvre qu’un immense tunnel qui s’enfonce sous la montagne et débouche sur trois chambres froides. Elles accueillent pour le moment 450 000 types de semences, en provenance de 22 pays. Mais la capacité totale de ce coffre fort s’élève à 4,5 millions de spécimens. A l’intérieur, il règne bien évidemment un froid glacial. Si bien que le givre a envahi les parois. « C’est un système de sauvegarde, rien de plus. Chaque graine entreposée ici a son duplicata dans son pays de provenance. Nous ne réalisons pas de travaux de recherche », souligne le professeur suédois. Sont conservées là en priorité les semences anciennes et les variétés oubliées des plantes alimentaires.

On trouve aussi bien du maïs que du sorgho, du melon que du basilic, des cacahuètes que du riz. Ces graines viennent du monde entier, selon la volonté des pays partenaires du projet, mais restent la propriété intégrale des banques génétiques nationales ou des instituts de recherche locaux. Déshydratées au maximum, elles sont placées dans des sachets haute conservation, « les mêmes que ceux qui contiennent la nourriture des astronautes », relève Roland Von Bothmer. Puis, dans des caisses hermétiques, elles voyagent par bateau ou par avion jusqu’à Svalbard. Installées dans les chambres froides, les semences sont plongées dans un état de demi-sommeil qui peut durer des décennies. De l’aveu même du scientifique, impossible de connaître précisément la durée de conservation des graines sous cette forme : « Mais les banques qui nous envoient ce matériau sont censées contrôler l’état de leur collection sur place et nous avertir si un problème survient. Dans ce cas, il faut recommencer l’opération. »

L’aide de Bill Gates

Malgré son apparence relativement inoffensive, la « banque des banques » se trouve au cœur de la polémique qui oppose les tenants de la biodiversité in situ, impliquant les agriculteurs, et les fervents de la conservation hors-sol. Et le mode de financement de la réserve donne du grain à moudre à ses détracteurs : si la construction et la maintenance du lieu sont assurées intégralement par l’Etat norvégien, différents partenaires publics et privés se sont unis dans le financement du Global Crop Diversity Trust, un organisme chargé de la collecte et de l’acheminement des graines à sauvegarder pour les pays en voie de développement. Pas moins de 153 millions d’euros ont été récoltés. Dans la liste des fondations et sociétés impliquées, on retrouve des géants des biotechnologies et des semenciers, Syngenta et DuPont Pioneer notamment, régulièrement accusés d’appauvrir la biodiversité mondiale en commercialisant des semences OGM brevetées et en organisant à leur profit un monopole sur les semences.

Par ailleurs, le plus gros contributeur privé n’est autre que la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a acheté, en 2010, pour plusieurs milliards de dollars d’actions chez un autre géant des organismes génétiquement modifiés et de la biochimie, le célèbre groupe Monsanto.

« Le rêve de ces gens est celui d’une agriculture totalement homogène et technologique, s’insurge Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Et face aux maladies du futur, on ira chercher le gène résistant dans les variétés anciennes, que nous aurons stockées dans une banque… Mais ça ne marche pas comme ça ! On ne puise pas dans la biodiversité. Elle se travaille sur le terrain ! »

Joujou marketing ?

Roland Von Bothmer est conscient des limites du projet : « Oui, je pense que les pouvoirs publics ont échoué. Nous aurions dû favoriser les petites compagnies publiques et privées qui auraient pu participer au processus de sélection des plantes, et ne pas laisser le monopole aux énormes compagnies internationales. Mais je vous assure, la meilleure des choses qui puisse arriver est que les semences entreposées à Svalbard ne servent jamais. »

Joujou marketing, instrument nécessaire à la conservation de la biodiversité ou nouvelle arme des multinationales pour asseoir leur suprématie sur le monde agricole ? Il est temps de prendre le chemin du retour. La réserve se referme. Enfin à l’air libre, le scientifique Roland Von Bothmer grille une dernière cigarette près de ce sanctuaire installé là où ne pousse rien. —


Un village back in USSR

Bien que sous souveraineté norvégienne, l’archipel de Svalbard est doté d’un statut international. En vertu de cette spécificité, la Russie possède un village sur l’île de Spitzberg, Barentsburg, construit autour d’une mine de charbon en 1932. Si l’exploitation tourne au ralenti depuis la chute de l’Union soviétique, Moscou s’accroche à cette quasi-enclave en terre norvégienne. Les deux pays anticipent en effet les changements géostratégiques mais aussi climatiques. Car si les glaces fondent davantage, une voie navigable s’ouvrira bientôt au nord. Elle permettra de relier l’Europe à l’Asie par l’océan Arctique. Svalbard constituera alors un port incontournable sur cette nouvelle route des Indes.

En attendant, Barentsburg vivote. Choyé sous l’URSS, le village comptait plus de 2 000 habitants. Ils sont à peine 400 aujourd’hui. La mine de charbon produit de quoi chauffer la ville et exporte péniblement quelques milliers de tonnes par an. Pourtant, le village reste lié à l’entreprise d’Etat chargée de son exploitation, ArticUgol. C’est elle qui achemine les travailleurs, les paye, leur fournit un toit… Le bar a fermé depuis longtemps. Subsistent seulement une cantine et deux magasins, l’un d’alimentation, l’autre de vêtements et de produits d’entretien. Pour payer, les habitants utilisent une carte « ArticUgol » qui débite l’argent sur leur compte alimenté par l’entreprise. Certains produits sont rationnés, comme la vodka ou le sucre.

Une majorité de travailleurs ukrainiens

Ksénia, professeure à l’école du village, postière et responsable de la Maison de la culture, s’en amuse : « On dit que lorsque l’on arrive à Barentsburg, on retourne en Union soviétique. C’est tout à fait vrai ! » Entre la « grande » ville de l’archipel, Longyearbyen, et Barentsburg, le contraste est saisissant. Pourtant, la plupart des habitants ne se plaignent pas, vantent la salle de sport et le centre culturel, le téléphone portable au tarif de Moscou et l’accès aux mêmes chaînes que sur le continent. « Je suis venu travailler ici parce que je suis seule et que je dois élever mon fils de 14 ans, confie Natalia, arrivée d’Ukraine, comme la majorité des travailleurs du village. Chez nous, une femme qui gagne 5 000 grivnas (environ 450 euros, ndlr, c’est bien le maximum. Et que faire avec ça ? » Excepté pour quelques rares scientifiques qui goûtent aux joies du pôle, la vie de ce côté-ci de l’archipel est étroite, laborieuse et sous contrôle. Glaçante. —
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