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25-08-2010
Mots clés
Alimentation
Agriculture
France
Portrait

Un chef aux petits légumes

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Un chef aux petits légumes
(Crédit photo : Bruno Charoy « Terra eco »)
 
Ebranlé par la vache folle, le cuisinier Alain Passard a délaissé le sang de la viande pour le jus du navet. Toujours coûteuse, la carte de l’Arpège à Paris est devenue légumière. L’homme, lui, a gardé ses trois étoiles… et livre à « Terra eco » l'une de ses recettes.
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Il tient des radicelles dans la main et marche à grands pas vers la cuisine. Alain Passard a une demi-heure de retard. Il est arrivé à moto, se prête à l’interview, hèle une jeune femme de son équipe, puis revient à l’interview, serre la main aux premiers clients qui pénètrent dans la salle de son restaurant à l’ambiance art déco un poil défraîchie. Après vingt minutes, il lâche, même pas grossier, juste sincère : « Il y en a encore pour longtemps ? Je n’ai plus rien à vous dire, moi. » Le chef trois fois étoilé de l’Arpège dans le VIIe arrondissement de Paris, est un homme pressé.

Il y a dix ans bientôt, il a provoqué un petit séisme parmi les toques. Lui, le rôtisseur, bannit de sa carte la viande rouge. « Plus de désir. La vue du tissu animal était devenue douloureuse. J’ai passé un an sans venir travailler. » Crise intime sur fond de vache folle. Plus rien n’est sûr, pense-t-il alors. « J’ai été terrassé par ce qui s’est passé. Aujourd’hui, je veux que tous mes produits aient une carte d’identité. » L’inspiration revient, ça sera le légume. « Jamais je ne lui avais adressé la parole. Mais j’ai vu une lueur : c’était lui que j’attendais, celui que j’avais toujours considéré comme le second rôle. J’allais le mettre au cœur de l’assiette, j’allais en faire une star. » S’il devait en faire un personnage de roman, le dramaturge Eric-Emmanuel Schmitt (1), qui l’a rencontré à l’Arpège, l’imaginerait bien en « ogre devenu délicat ».

Désorientés par le carpaccio de céleri-rave et la betterave en croûte de sel, beaucoup de clients s’en sont d’abord allés. Passard a perdu un tiers de son chiffre d’affaires. Il dit aujourd’hui avoir redressé ses comptes – grâce notamment à la vogue du sain et du bio –, mais « une carte légumière dérange encore : les clients réclament de la viande ». François Simon, critique gastronomique du Figaro : « Michel Bras et Alain Ducasse avaient ouvert la voie, il y a une vingtaine d’années, avec leur assiette de légumes. Alain Passard a vu le vent venir, il a été plus malin que les autres. Mais sa démarche est sincère et courageuse. » Labellisé indépendant – l’Arpège lui appartient –, le chef ne se vend qu’avec parcimonie (du conseil auprès des surgelés « Traiteur de Paris », un pique-nique pour le lancement d’un nouveau frigo, etc.). « Je lui reprocherais juste, à lui et aux apôtres qui le vénèrent, ce snobisme du légume et ses prix exorbitants : 300 à 400 euros par personne le dîner, poursuit François Simon. Sa cuisine est subtile, mais pas de quoi se taper le front en criant au génie parce qu’on mange une betterave. »

Récolte dès potron-minet et épluchures au compost

Cet été, Alain Passard a conjugué la fève et le cassis, le petit pois et la fraise. Selon les saisons. « Je ne pense tomate que 3 mois par an, ça m’apaise. On ne peut pas penser tous les produits 12 mois sur 12. C’est épuisant, ce n’est pas bon et c’est cautionner un mauvais système. La nature a bien fait les choses : tout ce qui arrive à maturité au même moment va parfaitement ensemble. » Alain Passard a trois potagers : terre sablonneuse dans la Sarthe, argile dans l’Eure et alluvions au Mont-Saint-Michel. Sept hectares en tout, 450 variétés, 40 tonnes de production, que l’Arpège avale aux trois quarts. Chaque matin, à huit heures, la camionnette livre les légumes et les fruits récoltés à l’aube. Puis repart avec les épluchures pour le compost. Pas de pesticides : les coccinelles font un sort aux pucerons, quand les hérissons s’occupent des limaces. Pas d’engrais chimiques et des charrues tractées par des chevaux. Passard expérimente. Le céleri planté sous un vieux chêne, pour lui transmettre « le goût des feuilles mortes ». Ou cette mystérieuse feuille de salade au goût d’huître qu’il a découverte. « Sur sa paillasse, il pose ses légumes les uns à côté des autres pour en faire des tableaux avant de les cuisiner, raconte Christophe Blain, le dessinateur de BD qui lui consacre un album (2). Il a dans sa tête tout un organigramme qui fait correspondre les couleurs et les goûts. Ça a l’air d’élucubrations d’alchimiste, mais on le croit. » Eric-Emmanuel Schmitt : « Ça me fait penser aux correspondances de Baudelaire ou aux couleurs des voyelles de Rimbaud. Comme Modigliani qui nous révèle que les femmes ont un long cou, Passard nous révèle la sensualité des légumes. » 

Repassage et saxophone

Sur ses produits, le chef a le propos exalté. Son discours est rodé, à la limite du slogan : « Je veux faire du légume un grand cru. » De lui en revanche, il ne dit rien. Solitaire, comme il peut être commercial dans la salle de son établissement. Réservé comme il a l’accueil chaleureux. Son enfance, il l’a souvent racontée en vignettes d’Epinal. La grand-mère Louise, dont le portrait trône dans la salle de l’Arpège, qui lui apprend la maîtrise du feu et des casseroles. La maison de famille en Bretagne qui jouxte un restaurant dont il admire les apprentis en blanc. Lui-même s’en est lassé. « Ah non, pas encore ! Si vous voulez, on vous transmettra des articles qui en parlent. » Pourtant, dans ce terreau familial, il y a aussi un écosystème, où une chose nourrit l’autre, où rien ne se perd. Comme sa mère, couturière à domicile, Alain Passard repasse. « J’adore ça : dans le repassage comme en cuisine, il y a le feu. » Comme son père, musicien de bal, il joue du saxophone. Comme son grand-père, sculpteur et vannier, il travaille des moulages en fonderie. Là encore, l’alchimiste Passard fait émerger des corrélations : le cuivre de la cuisine et celui du saxo, le geste du repassage et celui de la découpe du homard.

Récemment, il a remis de la côte d’agneau à la carte sous la pression de ses clients. Et, dans les potagers, un petit tracteur a rejoint les chevaux de trait pour labourer. Mais le chef cherche encore. Comment produire des légumes carrés. Comment cuisiner la feuille d’huître, qui n’a toujours pas voulu se révéler. —

(1) Il publie en cette rentrée Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent… (Albin Michel).

(2) Il sortira en novembre chez Gallimard. 

Retrouvez ici la recette d’Alain Passard en exclusivité pour « Terra eco »

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ALAIN PASSARD EN DATES

1956 Naissance à La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine)

1971 Apprentissage à l’Hôtellerie du Lion d’or, à Liffré (Ille-et-Vilaine), chez Michel Kéréver

1977 Entre à l’Archestrate, à Paris, auprès d’Alain Senderens

1986 Ouvre l’Arpège, à l’adresse de l’Archestrate

1996 Décroche sa 3e étoile au guide Michelin

2001 Consacre sa carte aux légumes

2010 L’Arpège – une petite cinquantaine de couverts –emploie 40 personnes, dont 12 jardiniers à temps plein.

Ses gestes verts

Les épluchures de l’Arpège retournent au potager : « On rend à la terre ce qu’elle nous a donné. »

Les économies d’eau et d’énergie : « Au restaurant, je fais des rondes pour vérifier que les lumières sont éteintes. On cuisine parfois la dernière table à servir en éteignant le feu, juste à la chaleur de la plaque. »

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