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5-01-2009

Ukraine : la terre aux oeufs d’or

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L’ancien « grenier à blé » de l’URSS est en passe de privatiser ses milliers d’hectares de terres noires. Une aubaine pour des investisseurs russes, américains et européens en quête d’espaces pour leurs fermes ultramodernes.
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A quelques minutes seulement de Kiev, c’est déjà la campagne. Un patchwork de verts et d’ocre, qui s’étend sur des centaines de kilomètres, à peine troublé par quelques forêts et des usines délabrées. Sur les chemins boueux du village de Svirch, à l’ouest du pays, Stépania Paslavska avance prudemment. Elle tient à la main un lourd seau d’eau. « Venez, venez dans mon palace », s’amuse la vieille Ukrainienne, en désignant l’une des petites maisons de bois qui bordent la rue.

A l’intérieur, ses trois petits-enfants se réveillent à peine. Une odeur de chou envahit la pièce, mêlée à l’humidité que dégage la bouilloire posée sur le feu. A l’extérieur de la bicoque, quelques poules, une vache, un cheval et, sur le versant d’en face, le lopin de terre de la famille. Stépania et ses enfants font partie des 5 millions de fermiers ukrainiens propriétaires de minuscules parcelles héritées à la fin des kolkhozes soviétiques.

L’Ukraine, célèbre pour ses tchernozioms – terres noires en russe –, fait saliver le monde agricole et économique. Cette ex-République soviétique concentre 27 % des terres cultivées d’Europe. Un trésor en ces temps de disette alimentaire, même s’il nécessite de sérieuses réformes que le pays est, pour l’instant, incapable d’entreprendre. Le pouvoir, issu de la Révolution orange de 2004, n’en finit pas de se déchirer et la crise financière mondiale a placé l’Ukraine au bord de la faillite.

Un air de Dakota et de Kansas

Lors de l’éclatement de l’URSS, Kiev a distribué la terre aux anciens employés des fermes d’Etat. D’où la naissance d’un nombre infini de parcelles, appelées les « pailles ». Pour éviter la dislocation brutale du monde agricole, un moratoire empêche les propriétaires, comme Stépania, de vendre leur bien. Aujourd’hui, pour survivre, la plupart louent donc leur lopin, souvent à d’anciens directeurs de kolkhozes reconvertis en chefs d’exploitation agricole. « Mon fils et moi possédons 1,6 hectare chacun, explique Stépania. Sur une parcelle, nous cultivons du blé, des pommes de terre et des betteraves. Et nous louons le reste. En contrepartie, nous recevons 140 kilos de blé par an, que nous transformons en farine pour les animaux. »

Pour acheter ce qu’elle ne produit pas elle-même, la famille compte sur la retraite de Stépania, les maigres allocations obtenues pour les enfants et le salaire du fils, diacre à l’église du village. Au total, quelque 150 euros par mois pour 6 personnes. L’homme à qui Stépania loue sa terre s’appelle Andryï Vazovski. C’est le fils du maire, qui s’est rapidement improvisé patron. Il loue presque toutes les terres du village, soit près de 400 hectares. « Ici, chaque lopin est estimé à 5 000 hryvnias. La loi nous oblige à verser entre 1,5 % et 2 % de ce prix par an au propriétaire, soit environ 15 euros. C’est peu », admet-il.

« En matière d’agriculture comme dans les autres secteurs, l’Ukraine est un pays à deux vitesses, analyse Michel Terestchenko, consultant agricole vivant dans le pays depuis cinq ans. Des gens, encore nombreux, vivent largement en dessous du seuil de pauvreté, et d’autres gagnent beaucoup, beaucoup d’argent. » Car, avec des prix de location aussi faibles, les entrepreneurs locaux et les sociétés étrangères ont eu vite fait de se constituer des « agro-holdings », des fermes de plusieurs dizaines de milliers d’hectares, modernes et suréquipées. « On voit se développer une agriculture à l’américaine, avec des coins du pays qui ressemblent au Kansas ou au Dakota-du-Nord, poursuit Michel Terestchenko. Et de l’autre côté, vous avez l’héritage de l’agriculture kolkhozienne, condamnée à long terme. »

Ce tableau déjà inégalitaire pourrait bien se noircir. Car le moratoire prohibant la vente des terres agricoles est arrivé à échéance fin 2007. Et on sait désormais avec certitude qu’il ne sera pas reconduit. Tout au long de 2008, le Parlement, agité par une crise politique chronique, a travaillé par intermittence. Résultat : les lois dorment dans des cartons. Mais les investisseurs sont aux aguets : la campagne est sillonnée par des armadas de Russes, d’Américains ou encore d’Européens. S’y croisent les grands groupes agricoles qui voient dans l’Ukraine un nouvel Eldorado, et les spéculateurs qui misent sur une flambée des prix. Leur stratégie est identique : faire main basse au plus vite sur l’immense potentiel ukrainien.

Vendre à n’importe quel prix

Souvent aidés par des juristes, ces hommes d’affaires louent un maximum de parcelles afin d’être prioritaires au moment de la privatisation. « J’ai déjà reçu plusieurs propositions pour céder ma terre, confirme Stépania dans un sourire. Un Italien et un Autrichien louchent sur des terrains dans le village… Mais je ne vendrai pas. Je veux laisser ma terre à mes petits-enfants. » La femme semble catégorique, mais résister aux offres des investisseurs sera difficile. « Les gens qui possèdent comme seul bien leur hectare de terre ne souhaitent qu’une chose : vendre à n’importe quel prix et quitter cette vie misérable », assure Michel Terestchenko, qui s’occupe lui-même de trouver des terres à louer pour les étrangers.

La menace d’un exode rural massif inquiète aussi Sergueï Féofilov, directeur d’Ukragroconsult à Kiev : « Sur le plan de la rentabilité et de la modernisation de l’agriculture ukrainienne, l’ouverture du marché de la terre sera positive. Mais ce qui est mieux pour l’économie l’est-il forcément pour le pays ? Prenons l’exemple du Brésil il y a vingt ou trente ans. Quand le marché s’est ouvert, les gens ont quitté les campagnes et ont afflué vers les villes, avec de graves conséquences sociales. Si cela arrive en Ukraine, ce sera catastrophique. »

Elevage au point mort

Du modèle choisi par le gouvernement ukrainien dépendra son retour ou non au rang de grande nation agricole. Car l’agriculture sort la tête basse de la transition post-indépendance. L’élevage a quasi disparu et le pays importe aujourd’hui nombre d’aliments de première nécessité. La production de lait a chuté de moitié depuis deux ans. Et si celle de céréales a été tout à fait honorable l’an dernier, on est loin, très loin, de l’image d’Epinal du « grenier à blé ».

Que sera l’attitude adoptée par le gouvernement ukrainien face aux appétits affichés des investisseurs étrangers ? « On hésitera toujours à laisser les terres noires aux étrangers. Les Ukrainiens connaissent leur prix, pressent Jean-Jacques Hervé, conseiller français à l’agriculture auprès du gouvernement ukrainien. Sans compter que cela représenterait un risque politique majeur pour les dirigeants : dans la culture populaire, la terre est considérée comme le bien numéro 1. »

La législation ukrainienne interdit aujourd’hui aux étrangers de devenir propriétaires fonciers. « Selon la loi de privatisation, seuls les résidents ukrainiens pourront devenir propriétaires. Il ne sera cependant pas difficile de créer une société dirigée par des Ukrainiens et détenue par un étranger… De toutes manières, sans le moratoire, il sera beaucoup plus facile pour les étrangers d’investir ici », prédit Sergueï Féofilov —


La faim pressante de l’Europe

L’Union européenne cherche désespérément de nouveaux espaces cultivables. « L’Ukraine peut rebâtir une puissance agricole, dont l’Europe a besoin, affirmait ainsi le ministre français de l’Agriculture, Michel Barnier, en visite à Kiev l’an dernier. Puisque nous sommes dans une période, assez durable, où il va falloir produire plus et mieux pour nourrir le monde, j’ai comme souci de doubler cette production en Europe, et ici en Ukraine, plutôt que d’importer des produits du Brésil ou des Etats-Unis. »

La directive biocarburants prévoyant d’incorporer 5,75 % de carburants d’origine végétale dans l’essence et le gazole d’ici à 2010 offre un autre débouché. Le colza a fait l’année dernière une entrée fracassante sur le sol ukrainien et le phénomène ne fait que commencer, porté notamment par des entreprises européennes. « Aujourd’hui, aucun pays n’est aussi bien placé que l’Ukraine pour faire face aux immenses défis agricoles à venir, assurait le député anglais Richard Spring, en marge d’un forum économique Ukraine-Europe. Je prédis d’ailleurs des investissements européens massifs dans ce domaine. »


UKRAINE - FICHE D’IDENTITE

Population : 46,7 millions d’habitants. Super ficie : 603 700 km² . Monnaie : hryvnia. Langue officielle : ukrainien (le russe encore majoritaire à l’est et au sud du pays). Président et Premier ministre : Victor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko. Principaux secteurs d’activités : industrie lourde (métallurgie, chimie), transport, agriculture, tertiaire. PIB par habitant (2006) : 7 800 dollars. Classement à l’indice de développement humain (2006) : 77e rang mondial sur 177.

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