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2-03-2009

1/3 - Thaïlande : un rivage au bord de la noyade

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En trente ans, la mer a grignoté un kilomètre de côtes au sud de Bangkok. Une partie de Khun Samut Chin a été engloutie. Embarquement pour un village qui combat la montée des eaux à coups de digues et de mangroves.
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De l’ancien village de Khun Samut Chin, il ne reste que les poteaux électriques émergeant des eaux du golfe de Thaïlande. Nous sommes à une heure de route de Bangkok, non loin de l’embouchure du fleuve Chao Praya, au milieu d’un dédale de canaux et d’étangs destinés à l’élevage de crevettes. Il y a quelques années encore, une école primaire se trouvait là. Comme les maisons de bambous, elle a dû être déplacée avant d’être finalement engloutie par les eaux.

En trente ans, la mer a gagné 1 km sur les terres, le long de cette côte toute proche de la capitale thaïlandaise. Les 600 villageois, essentiellement aquaculteurs, ont été contraints de pousser plusieurs fois leurs habitations sur pilotis. « Les plus âgés ont dû les reculer jusqu’à onze fois, explique Samorn Khengsamut, la chef du village. Nous avons essayé d’installer des barrières en bambous pour nous protéger, mais ça n’a pas marché. » Un tiers des habitants a définitivement quitté les lieux.

Aux avant-postes, face à la mer, trône encore le temple bouddhiste. Autrefois bordé de forêts, il est à présent encerclé par les eaux. La vase grimpe quasiment jusqu’aux fenêtres. Pour apporter du riz aux trois moines qui y demeurent encore, les villageois empruntent une pas serelle au-dessus de la mangrove. « Pour le moment, nous arrivons encore à vivre ici, nous ne comptons pas bouger », lâche l’un des bonzes en robe orange.

Maisons et usines en sursis

Tout au long du rivage à proximité de Bangkok, la situation est quasi identique. Un rapport publié en 2007 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) classe la « cité des anges » au 7e rang des 136 villes du monde dont les populations sont les plus menacées par les inondations côtières dans les soixante-dix ans à venir. La trépidante métropole, qui compte plus de 10 millions d’habitants, est victime d’un effet ciseaux : le sol argileux, très mou, s’affaisse en même temps que la mer avance. Plusieurs facteurs se conjuguent ici, notamment la montée du niveau de l’eau provoquée par le changement climatique.

Anond Snidvongs, océanographe et directeur de Start Asie du Sud-Est, un centre de recherche qui travaille sur le changement climatique, table sur la perte irréversible de 50 km2 de terres entre la mer et Bangkok d’ici à 2060. « Ce sont des zones densément peuplées et construites, où se trouvent beaucoup d’usines cruciales pour l’économie. Où iront ces gens ? Qu’adviendra-t-il du titre de propriété de ces terres ? », s’inquiète-t-il.

Un « mégamur » pour protéger Bangkok

Après des années d’apathie, les pouvoirs publics commencent à prendre conscience du problème. Nettement plus riche que le reste du pays, la capitale a mis en place un réseau de digues et de réservoirs pour lutter contre les inondations récurrentes (lire encadré).

« Bangkok a le budget et la technologie nécessaires pour se mettre à l’abri. Ces chantiers devraient être efficaces pendant au moins cinquante ans », estime Anond Snidvongs. L’affaissement du sol a ralenti depuis le milieu des années 1990. Une loi a en effet mis un peu d’ordre dans le pompage, jusque-là anarchique, de l’eau souterraine. Les temples dorés du Grand Palais, accrochés au bord du fleuve, devraient donc rester au sec pendant un moment.

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Récemment, un groupe d’élus a suggéré la construction d’un « mégamur » pour protéger la ville. Mais l’idée ne fait pas l’unanimité chez les scientifiques. « Je reçois beaucoup d’appels d’hommes politiques qui veulent dépenser de l’argent là-dedans, raconte Anond Snidvongs. Mais ils veulent aller trop vite par rapport aux connaissances et aux moyens scientifiques. Et puis, nous avons vraiment besoin de trouver des solutions locales et non d’appliquer des recettes toutes faites. »

En revanche, dans la zone côtière, beaucoup plus vulnérable que le centre-ville, des projets plus modestes sont en cours d’expérimentation. Pour préserver ce qu’il reste du village de Khun Samut Chin, une équipe de scientifiques cherche à mettre au point un concept de digue qui aiderait à reconstituer l’écosystème de la zone. « C’est très différent des murs que l’on trouve aux Pays-Bas par exemple », explique le géologue Thanawat Jarupongsakul, chef du projet et directeur du Centre d’études sur les catastrophes et les terres, à Bangkok.

Installée à 500 mètres du rivage, tout près du monastère cerné par la mer, la structure pilote est constituée de poteaux de forme triangulaire de 10 m de haut, qui dépassent d’environ 1 m au-dessus du niveau de l’eau. « Ce système diminue la force des vagues de moitié, souligne le professeur Thanawat. Ainsi, les sédiments amenés par le fleuve sont bloqués par les poteaux et ne repartent pas avec la vague. Dans le même temps, nous reconstituons la mangrove pour limiter l’érosion et faire revenir les poissons. »

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Les bonzes du monastère mettent eux aussi la main à la pâte en replantant des arbres dans le sol boueux. Un système de drainage et de pompage devrait également voir le jour. L’objectif consiste à installer la digue, qui occupe pour l’instant 250 m, sur 120 km de long, afin de reconstituer plus de 60 km² de mangrove. « Dans cette configuration, la forêt absorberait 275 000 tonnes de CO² par an », assure le scientifique. Mais le financement du gouvernement se fait toujours attendre tandis que deux autres projets similaires sont prévus sur le littoral.

Adieu crevettes, bonjour moules et huîtres

De son côté, l’agglomération de Bangkok est en train de discuter avec les propriétaires des terres situées le long du rivage. Elle veut les convaincre d’en sacrifier une partie pour y replanter de la mangrove. « 80 % des gens comprennent l’intérêt du projet, mais certains sont un peu réticents, raconte Orapim Pimcharoen, du département d’urbanisme de la ville. Nous pourrions acheter ces terrains, mais nous préférons négocier. C’est délicat. Il faut aussi prendre en compte les revenus générés par les élevages de crevettes installés le long des côtes. »

D’ailleurs, à Khun Samut Chin, des économistes et des avocats font partie de l’équipe qui aménage la digue, pour que les aspects socio-économiques du problème soient pris en considération.

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Néanmoins, les projets en cours restent temporaires. « Nous ne faisons que ralentir l’avancée de la mer », avoue Seree Supharatid, du Centre de recherche sur les catastrophes naturelles de l’université Rangsit. Pour certains spécialistes, les Thaïlandais doivent voir plus loin et se préparer à vivre avec les conséquences inévitables de l’avancée de l’eau.

« Il faut convaincre les populations qu’aucune technologie ne pourra les protéger indéfiniment, assure Anond Snidvongs. Les autorités doivent employer l’argent pour faire quelque chose à l’intérieur des terres, là où la mer finira forcément par arriver. Il faut déjà prévoir la reconversion de ces endroits, développer des types d’aquaculture plus adaptés, les moules ou les huîtres par exemple. »

Chez les politiques, l’idée fait aussi son chemin. Ainsi, Banasopit Mekvichai, l’ex-gouverneure adjointe de Bangkok chargée de l’Environnement, suggère de réapprendre à utiliser le potentiel des maisons traditionnelles thaïes, surélevées par rapport au sol. « Autrefois, les gens laissaient tout simplement entrer l’eau au rez-de-chaussée et vivaient à l’étage. Peut-être devront-ils faire la même chose à l’avenir. »


Gros moyens pour une défense capitale

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Construite sur un terrain argileux, à seulement 1 ou 2 mètres au-dessus du niveau de la mer, Bangkok s’enfonce au rythme de 1 à 2 centimètres par an. Ce processus naturel a été amplifié par le pompage à outrance des eaux souterraines et le développement urbain anarchique.

Le boom de l’industrie de la crevette dans les années 1980 a aussi aggravé la situation car la mangrove a été détruite pour que des étangs soient creusés. Cerise sur le gâteau, le changement climatique renforce les moussons.

Le système actuel doit protéger la ville contre une montée des eaux de 2,5 mètres maximum. Il est constitué de digues le long du fleuve, de tunnels, de portes pour gérer le niveau. Un réseau de réservoirs permet de stocker l’eau de pluie pendant la mousson. Il existe aussi un système d’information conçu pour prévoir l’arrivée de la pluie et la montée des eaux. Depuis 1973, Bangkok dispose d’un budget spécialement consacré à la gestion des inondations, de l’ordre de 60 millions d’euros par an.

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