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5-04-2007

Quand la blogosphère croit réinventer le journalisme

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Devenir journaliste citoyen, c'est le rêve de nombreux internautes. Si tout le monde voit à peu près ce qu'est le "métier" de citoyen, sommes-nous certains d'avoir bien compris ce qu'est celui du journaliste ? Explications et réflexions.
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Par Philippe Couve,journaliste à RFI et auteur du blog Samsa news - Une visite aux débats organisés à Saint-Denis (93) par AgoraVox [le 24 mars dernier, ndlr] m’inspire un certain nombre de réflexions étonnées et (parfois) amusées. La fin des années 90 avait son mantra : la “nouvelle économie”. Aujourd’hui, le “journalisme citoyen” (voire le “5e pouvoir”) semble jouer le même rôle : expliquer qu’il est possible de s’affranchir de toutes les contraintes anciennes et que ceux qui ne l’ont pas compris n’ont rien pigé. Dans un cas, comme dans l’autre, le retour au réel est difficile...

De quoi parle-t-on ? D’information. Il ne sera pas question ici de points de vue ou d’opinions que les uns et les autres peuvent exprimer ou d’autres “contenus” en tout genre, mais bel et bien d’information. En l’occurrence de faits avérés et rapportés le plus fidèlement (honnêtement) possible. Ce que le magistrat Philippe Bilger a appelé « la vérité » au cours de son intervention lors de la journée AgoraVox.

La vérité ? Quelle vérité ?

La « vérité » n’est pas une fille facile qui s’offre au premier venu, a constaté Carlo Revelli reconnaissant que les wiki-enquêtes lancés par AgoraVox n’avaient pas donné de résultat probant à ce stade. Difficulté que les blogueurs du panel “Micro-pouvoirs : les blogs au service d’une résistance locale ?” ont confirmé en affichant une mine gênée lorsque l’animateur du débat leur a demandé benoîtement quels scandales de corruption ils avaient permis de mettre au jour.

Le cri d’alarme a finalement été lancé un peu plus tard par Francis Pisani : “le journalisme d’investigation risque d’être la victime” des mouvements en cours et de l’absence de modèle économique pour les médias de demain. L’enquête journalistique demande en effet du temps (beaucoup) et donc de l’argent pour tenter d’accéder à des vérités que certains ont intérêt à cacher. Ces vérités se révèlent rarement en une seule fois, mais le plus souvent par approches concentriques visant à cerner au plus près la réalité des faits. Du temps, vous dis-je.

La fourmi et le citoyen

Les “journalistes citoyens” ou “journalistes amateurs” en sont-ils capables ? La réponse est clairement oui. Avant même que le premier blog ne soit créé, c’est un simple citoyen (Marcel Dominici) qui est à l’origine de la chute du maire socialiste d’Angoulême, Jean-Michel Boucheron, à partir de la fin des années 80. Par son travail méticuleux et méthodique de recherche de documents, il était parvenu à établir la réalité de la corruption. Aujourd’hui, il tiendrait un blog, à n’en pas douter.

Au sein du panel réuni par AgoraVox, Christophe Grébert a confirmé qu’un véritable travail de fourmi était souvent nécessaire pour “sortir” des informations.

« Bon, et alors ? », me direz-vous. Je crois qu’il faut se garder des mouvements de balancier trop violents. La mise en question du travail des journalistes est une bonne chose, mais attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Les limites des blogs existent, mais prenons garde à ne pas négliger ce qu’ils apportent.

Mauvais journalistes ?

Demander aux journalistes de répondre de leur pratique est salutaire. Attendre d’eux qu’ils justifient leurs choix éditoriaux est naturel. Aider à contrecarrer les pressions qu’ils peuvent subir est indispensable (le cas de Denis Robert a d’ailleurs largement été évoqué au cours de la journée). Mais c’est un examen critique et lucide qui doit être conduit.

Il existe des mauvais journalistes. Il en existe qui exercent leur métier dans des conditions économiques inadmissibles (précarité + cadences de production infernales). Il en existe qui manquent de curiosité, d’ouverture d’esprit. Il persiste un manque de diversité criant dans le recrutement de la profession.

Et la qualité dans tout cela ?

Mais il existe aussi, dans cette profession, non seulement des gens qui travaillent honnêtement (certains même sont courageux) mais aussi des procédures mises en place au fil du temps pour tenter de garantir un certain niveau de qualité. Les conférences de rédaction ne sont pas que la foire aux vanités que l’on veut souvent décrire mais aussi un mécanisme d’évaluation par les pairs des prémisses d’un sujet journalistique. Les étapes de relecture et validation avant diffusion obéissent à la même logique de revue par les pairs (peer review).

De telles procédures, si elles sont loin d’offrir une garantie absolue, constituent en tout cas des méthodes (perfectibles, sans doute) pour essayer de garantir un certain niveau de qualité.

Le web apporte un nouveau et intéressant mode de validation : la validation de l’information par l’audience. « Mes lecteurs en savent plus que moi », assure Dan Gillmor, le pape du "journalisme citoyen". Pour être plus précis, on pourrait dire que sur chaque sujet sur lequel un journaliste travaille, il existe au moins une personne (et souvent beaucoup plus) qui en sait plus que lui.

L’humilité du journaliste

La découverte n’est peut-être pas si révolutionnaire qu’elle en a l’apparence si l’on considère que la première tache d’un journaliste est d’identifier et de contacter les spécialistes du sujet sur lequel il travaille. Reste que le fait de soumettre son travail à une critique ouverte après publication est bel et bien une pratique qui se généralise grâce aux blogs. Le quotidien espagnol El Mundo (merci à Francis Pisani pour me l’avoir signalé) a d’ailleurs ajouté un bouton en bas de ses articles sur le web permettant aux internautes de suggérer une correction (bouton “rectificar“). Le signe d’une humilité nouvelle ?

La différence essentielle induite par internet (et dont les blogs tirent partie) est liée à la vitesse potentielle de circulation de l’information. Cette vitesse, par elle-même, change la nature d’un certain nombre d’informations. En circulant plus vite, l’information peut atteindre rapidement une masse critique de personnes qui peuvent à leur tour peser sur les événements. Les associations l’ont bien compris et on le voit notamment à l’œuvre dernièrement dans les actions du Réseau éducation sans frontières.

L’autre apport majeur des blogs est lui lié à une autre des caractéristiques du web : le cyberespace n’est pas un espace fini. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’arbitrer entre une information et une autre qui se disputent une place dans le journal (papier, radio ou télévisé). Le web permet de publier toutes les informations même celles qui n’intéressent qu’un nombre limité de personnes (voire celles qui n’intéressent personne).

Espace infini

Le métier change donc de paradigme pour les journalistes qui publient sur le web. Il ne s’agit plus d’allouer un espace limité à des informations innombrables. Il est question en revanche de trouver la meilleure allocation de ressources humaines limitées pour traiter d’informations encore plus nombreuses (et plus qu’innombrable ça fait vraiment beaucoup).

C’est dans ce contexte qu’on peut également envisager le « journalisme citoyen » ou « journalisme amateur ». L’expérience Zero Assignment qui vient d’être lancée par Jay Rosen aux Etats-Unis en association avec le magazine Wired tente de faire travailler ensemble journalistes professionnels et journalistes amateurs.

Dans un contexte économique ou les moyens financiers sont limités, les amateurs sont aussi envisagés comme un levier pour démultiplier la capacité de travail d’un petit nombre de journalistes professionnels. Il en sortira sans doute autre chose qu’un simple modèle économique de média low cost. C’est le miracle de la sérendipité (enfin je l’espère).

Journalistes payés au clic ?

Si le pire n’est pas sûr, en tout cas il menace. J’ai entendu Thomas Blard de LCI se faire applaudir par le public de la journée AgoraVox alors qu’il venait de prôner en substance que la rémunération des journalistes se fasse en fonction de l’audience générée par chaque article (ou vidéo publiée). Un exemple des questions que peut poser ce dispositif est illustré par les interrogations de Judith Bernard sur le BingBangBlog.

On peut aussi s’interroger sur la pertinence d’une telle méthode de rémunération quand une partie non négligeable du trafic provient des moteurs de recherche avec des mots saisis par les internautes qui ont parfois peu à voir avec le renom du blogueur et la qualité de son travail. Ce qui risque de conduire à des dérives comme celle qui consiste à faire du name dropping spécialement destiné aux moteurs de recherche.

Sexe, argent et sport

Dans un tel modèle, l’efficacité économique réclame de travailler sur le sexe, l’argent et le sport (trois domaines qui ont toujours participé au décollage des médias émergents). Il y a là un vrai risque de dérive majeure et de réduction absolue de l’information à du marketing.

En attendant qu’un (ou plusieurs) modèle économique convainquant se mette en place, on peut considérer que, plus qu’un 5e pouvoir opposé aux autres, la blogosphère révolutionne avant tout l’écosystème de l’information. Et cela de plusieurs manières.

D’abord, en établissant un dialogue critique avec les médias traditionnels qui se doivent d’accepter cette « conversation » et des remises en question pour faire évoluer leurs pratiques afin de remédier à la crise de confiance qui les frappe.

Ensuite en jouant un rôle dans la collecte de l’information très locale ou très spécialisée, ce qui favorise l’info-diversité (à l’instar de la bio-diversité).

Blogosphère médiatrice

Enfin la blogosphère joue un rôle central dans l’un des autres aspects de la fonction traditionnelle des médias : la fonction de médiation. Idéalement, les médias sont supposés incarner une partie de l’intérêt général. C’est parce qu’ils représentent (théoriquement) les questions/interrogations de leur audience qu’on accepte de leur répondre (aux journalistes).

C’est sans doute dans ce domaine que la blogosphère apporte le plus en diversifiant les regards même si elle n’est pas exempte, elle aussi, d’un certain nombre de biais. En effet, pas plus (mais pas moins) que les journalistes, les blogs ne peuvent dire qu’ils représentent l’intérêt général. Le « recrutement » des blogueurs, s’il est plus diversifié que celui des journalistes, n’est pas pour autant représentatif de la société. Et c’est finalement le niveau d’audience qui, comme pour les médias traditionnels, valide in fine le caractère représentatif de tel ou tel blog.

Bataille pour le financement

Ces réflexions éparses, trop longues (et incomplètes) me font dire qu’il convient de penser différemment l’écosystème de l’information. Il n’existe pas d’opposition frontale et ontologique entre médias traditionnels et blogosphère. C’est l’articulation entre les deux approches (les modes de coopération, de contrôle respectif, de circulation entre les deux) qui doit continuer à se mettre en place. [Il semble que Joël de Rosnay soit intervenu dans ce sens durant la matinée, mais je n’étais présent que l’après-midi]

Reste que, comme dans tout écosystème, une lutte pour les ressources vitales (le financement surtout) risque d’intervenir. C’est le seul aspect véritablement préoccupant de l’évolution en cours dans le domaine de l’information : l’absence d’un modèle économique qui pourrait conduire à multiplier les médias low cost dont la menace pointe déjà.

Philippe Couve est journaliste à RFI, auteur du blog Samsa news et responsable de la formation multimédia au Centre de formation des journalistes de Paris (CFJ).

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