Où va la Tunisie ?

Manifestations monstres, violences policières, confusion dans les médias officiels, limogeage du gouvernement, annonce de législatives anticipées : la journée aura encore été brûlante ce vendredi en Tunisie. Et ce alors que le président Ben Ali avait promis ce jeudi de quitter le pouvoir en 2014… Quelle va désormais être la position des pays occidentaux, à commencer par la France, vis-à-vis de celui qu’elle a encore défendu il y a peu ? Quelles répercussions aussi sur les pays voisins et le monde arabe ? Bien malin celui qui peut répondre à ces questions tant la crise sociale et politique qui secoue la Tunisie ces derniers jours est profonde.

Le journaliste et opposant tunisien Taoufik Ben Brik veut croire que le soulèvement des jeunes de son pays est une vraie révolte politique mais s’interroge tout de même sur leur capacité à trouver un espace plus large. « L’appel au lancement d’une convention nationale, décentralisée, pluraliste, non sectaire, serait sans aucun doute opportun », écrit-il dans les colonnes du journal Le Monde.

Dans Libération, Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin et écrivain, interpelle l’Occident qui fait la morale à Abdijan mais continue de se voiler la face sur la vraie nature des régimes en place au Caire, à Alger ou à Tunis : « Que ferez-vous demain du serment d’Abidjan ? Demain, quand sera bafoué sous vos yeux “le choix populaire”, et que voudront régner les jeunes vampires, Gamal Moubarak, Saïd Bouteflika, quand Zine Ben Ali postulera pour un septième mandat ? »

Souvent virulent à l’égard du pouvoir en place, le journal algérien en ligne Le Matin DZ, retranscrit une conversion fictive et pleine d’ironie entre Ben Ali et Adelaziz Bouteflika sur la gestion de la crise actuelle. Elle commence ainsi :

« – Bouteflika : “Allo ! Ben Ali, comment ça va ? J’ai appris que tu es intervenu à la télé ? Qu’est qui t’a pris ?”

– Bouteflika : “J’espère que tu n’as pas flanché et que tu n’a rien promis de sérieux, car il y va de notre crédibilité à nous tous.” »

Révolution, contagion ? Sur Mediapart, le journaliste Renaud Chenu se montre plus sceptique face à l’emballement des médias. Il dresse sur son blog un intéressant parallèle entre les événements tunisiens et la dernière révolte en Iran. « Si le pouvoir de Ben Ali apparait aujourd’hui moins en capacité de faire face que celui de l’Ayatollah Khamenei il y a dix huit-mois, il n’en reste pas moins solide », estime-t-il.

Courrier international consacre bien sûr cette semaine sa une aux événements en Tunisie et en Algérie. Et explique pourquoi il y aura d’autres révoltes. Dans son édito, Philippe Thureau-Dangin suggère de relire Amartya Sen. Cet économiste d’origine indienne, lauréat du prix Nobel, « a écrit des pages décisives sur les relations entre famine, développement et démocratie. (…) Dans son ouvrage Poverty and Famines (1981), il expliquait (contre Malthus) qu’il fallait chercher la cause des famines dans l’absence de liberté plutôt que dans la croissance démographique », poursuit-il. Le journaliste s’inquiète aussi de l’envolée des prix des matières premières et en particulier des denrées alimentaires. « Heureusement, jusqu’à présent, le riz – qui nourrit trois milliards de nos contemporains – n’a pas vu ses prix grimper, mais pour combien de temps ? », conclut-il.