Quand Steve Butler, représentant commercial pour une compagnie gazière, débarque, avec sa collègue Sue Thomason, dans un village de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, l’affaire semble pliée d’avance. Pour ces petits propriétaires, louer leurs terres pour exploiter des gaz de schiste sera une rédemption. « Je ne vends pas du gaz naturel, je leur vends la seule façon de s’en sortir », se justifie Steve. C’est sans compter sur l’intervention de Frank Yates, professeur de sciences respecté, qui expose les enjeux de la fracturation hydraulique et invite au débat public. Autre grain de sable, l’arrivée impromptue d’un jeune activiste environnemental, justicier solitaire qui saisit le micro, un soir au bar du village, pour livrer une plainte rageuse sur les ravages du forage dans sa ferme. Le doute s’installe.
Promised Land, coécrit par Matt Damon, qui joue également le rôle principal du film, s’attaque au sujet brûlant de l’exploitation des gaz de schiste, mais ne se veut pas clairement politique. Dans ce portrait d’un vendeur paumé, on peut lire une métaphore de l’Amérique en crise, raconte le réalisateur, Gus Van Sant.
Le titre de votre film, Promised Land, a des airs bibliques. De quelle terre parle-t-on dans ce long métrage ?
On s’était dit, en choisissant ce titre, que cela pouvait prêter à confusion, mais, en même temps, c’est le meilleur qu’on ait trouvé. L’idée était de parler du rapport que l’on peut entretenir avec la terre qui nous appartient et qui se transmet de génération en génération. Ici, la « promesse » désigne plutôt l’espoir que cette terre sera belle et non souillée.
Quelle était votre position, avant le film, sur les gaz de schiste, dont l’exploitation bat son plein en Pennsylvanie, où il a été tourné ?
Quand Matt (Damon, ndlr) m’a appelé pour me demander de réaliser le film, il m’a dit : « C’est sur la fracturation hydraulique, tu en as entendu parler ? » En fait, j’ai découvert le problème en lisant le scénario. Je pense que j’avais raté le sujet parce que je ne comprenais pas bien de quoi il s’agissait.Diriez-vous que Promised Land est un film politique ?
Il l’est, dans la mesure où il expose des faits qui sont débattus en ce moment et que Matt voulait mettre le sujet sur la table en interrogeant ce nouveau business. L’autre aspect, central, c’est la relation de Steve, représentant commercial, avec son entreprise, Global. Le fait qu’il soit prêt à se battre pour elle, alors qu’elle ne se soucie pas de lui et le manipule, est au cœur de l’histoire. Ensuite, il s’avère que cette entreprise extrait des gaz de schiste, sujet éminemment politique qui est débattu dans le film à travers les différents personnages, les vendeurs, les citoyens, le maire, l’écologiste… Néanmoins, je ne l’ai pas abordé comme un film politique.Matt Damon dit qu’il a voulu faire un film sur l’identité américaine. Vous aussi ?
L’identité américaine, c’est vaste… Est-ce l’argent, les entreprises, les deux ? Ou bien est-ce l’identité des fermiers qui se dressent contre des entreprises pour préserver leurs terres ? Probablement un peu de tout cela. En tout cas, l’identité du personnage principal m’a intéressé. Il est vendeur et son allégeance à sa boîte est son point d’ancrage. Ce vendeur pourrait être acteur, homme politique, éditeur… Dans ce cas précis, il vend des baux pour une compagnie gazière, mais il pourrait vendre de l’information, des assurances vie, peu importe. La capacité à vendre est ce qui importe. Et c’est peut-être là que l’on parle de l’identité américaine, à travers ce vendeur désenchanté, qui change son regard sur ce qu’il propose, qui voit peut-être même pour la première fois ce qu’il propose. La relation du commercial à ce qu’il vend m’a passionné, ainsi que celle avec son entreprise. Car cette dernière n’est pas une entité vivante. C’est une invention. La morale du film, s’il y en avait une, serait : « Méfiez-vous des entreprises ! »C’est un refrain connu. En revanche, le film montre comment le doute qui ronge Steve et s’instaure dans le village fait naître un questionnement et un débat collectif sur les valeurs de chacun…
A la fin, l’attitude des deux vendeurs est opposée. C’est un peu comme deux politiciens. L’un voit dans l’attitude de Global un développement intéressant, l’autre prend les choses à cœur. Or, pour être un bon vendeur, il faut garder de la distance. On n’est pas supposé prendre les choses à cœur. —Pétrole et gaz de schiste font leur cinéma
Les auteurs du scénario, Matt Damon et John Krasinski – qui interprète un militant écologiste –, avaient d’abord imaginé une intrigue autour de l’énergie éolienne. Ils ont finalement opté pour les gaz de schiste, meilleur cadre pour une réflexion sur le destin commun d’une communauté. Aux Etats-Unis, le film a été très critiqué par l’industrie extractive. Pour quelle raison ? Parce qu’il a été en partie financé par la société Image Nation Abu Dhabi, détenue par une compagnie publique des Emirats arabes unis, troisième Etat pétrolier au monde. Un hasard, se défend la compagnie Participant, responsable du financement du film, qui a un accord pour qu’Image Nation soutienne quinze à dix-huit films sur cinq ans, sans que le sujet importe. Alors que Hollywood, sous la houlette de Yoko Ono, est remonté contre les gaz de schiste, Promised Land se trouve entraîné dans le mouvement. —
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