Des boues rouges au large de Cassis, en plein milieu du Parc national des Calanques. Comme nous le dénoncions dans une enquête publiée en 2010, l’usine d’alumine de Gardanne (Bouches-du-Rhône) rejette depuis les années 1960 des millions de tonnes de déchets toxiques dans la mer via un pipeline de 55 km de long, jusqu’à une fosse de 2 400 mètres de profondeur. N’en jetez plus ! Dans le cadre de la convention de Barcelone sur la protection de la Méditerranée, ces pratiques auraient dû cesser à la fin de l’année 2015. Sauf que le conseil d’administration du Parc national des Calanques a décidé ce lundi de prolonger de trente ans la dérogation accordée à l’usine d’alumine Alteo. Les rejets solides de l’usine seront bien interdits, mais les rejets liquides pourront eux encore s’écouler via le même pipeline. Terra eco décrypte cette décision qui fait déjà de nombreux remous.
Qu’est-ce qui va être rejeté dans la mer ?
Concrètement, la société Alteo qui a racheté l’usine en 2012 va dès le printemps prochain filtrer les déchets de sa production d’alumine – qui sert à fabriquer des écrans plasma, des plaques à induction et même de la lessive. Les déchets solides ne seront donc plus rejetés en mer mais séchés et peut-être réutilisés. Tant mieux, puisque plusieurs études tendent à montrer la dangerosité de ces rejets à court comme à long terme. Mais restent beaucoup d’eaux toxiques qu’Alteo ne peut retraiter. L’entreprise a donc demandé et obtenu de continuer à les rejeter dans la mer. Dans sa demande de dérogation, la société évoque ces futurs « effluents liquides » et concède qu’ils ne respectent pas la législation pour les paramètres « pH, DCO, DBO5, aluminium, fer total et arsenic ». Interrogé par l’AFP, Didier Réault, le président du conseil d’administration du Parc national des Calanques précise tout de même que ces rejets seront beaucoup moins volumineux et devraient passer de « 2 000 camions par an à deux camions par an ».
Ces nouveaux rejets sont-ils dangereux ?
C’est le cœur du problème. Nous avons demandé à Jean-Charles Massabuau, spécialiste de l’écotoxicologie des métaux dans les systèmes aquatiques au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de Bordeaux, de se pencher sur la demande de dérogation d’Alteo.
« De par mon expérience avec une autre usine qui produisait aussi un rejet en mer, il me semble que le travail en amont qui a abouti à ce rapport a, a priori, été fait sérieusement », avance-t-il, précisant que « la dilution est souvent la meilleure solution pour se débarrasser de ces matières toxiques. » Sauf que la zone a déjà connu beaucoup de rejets toxiques et qu’il est très difficile de savoir comment vont évoluer les matières rejetées. « Les risques, on ne les connaît pas, c’est bien le problème, pour le moment, il y a des inconnues énormes », déplore ainsi Yves Lancelot, membre du conseil d’administration du Parc, océanographe et ancien directeur de recherche au CNRS. « L’effluent produira des précipités blancs (hydrotalcites) de l’ordre de 27 000 tonnes par an, contenant principalement de l’aluminium (94%), de l’arsenic (75%) et du vanadium (31%) », indique Alteo dans sa demande de dérogation. « Est ce que les hydrotalcites vont piéger la totalité des métaux présents dans l’effluent ? Quel est leur devenir ? », interroge de même Jean-Charles Massabuau. « Bien sûr qu’il y a des risques, et bien sûr qu’on ne les maîtrise pas. C’est pour cela qu’une des exigences portées par l’avis du Parc vise à imposer un bilan scientifique annuel de cette pollution et de mieux connaître ce qu’il s’y passe », rétorque François-Michel Lambert, député Europe Ecologie - Les Verts des Bouches-du-Rhône et ardent défenseur de la solution retenue. Avant de tacler : « Maintenant que les boues rouges ne seront plus rejetées, la pollution sera infiniment moins importante que celle liée aux égouts de Marseille qui sont rejetés dans la mer ou celle du fleuve Huveaune qui ramasse les pollutions de toutes les usines en amont. »
Y a-t-il une alternative ?
Alteo plaide l’impossibilité « technico-économique » de traiter les eaux rejetées. En clair, refuser ces rejets reviendrait à faire fermer l’usine qui compte 400 salariés et 300 sous-traitants. « Si l’on ne rejette pas ces produits on doit les retraiter et les stocker de manière totalement hermétique. C’est beaucoup d’argent, beaucoup de moyens et aussi beaucoup de place », assure Jean-Charles Massabuau qui nuance tout de même « la mer n’est pas infinie et on ne pourra pas y rejeter nos déchets indéfiniment. »
« Tout le monde me dit que je suis un vendu parce que j’estime que c’est la meilleure solution. Mais je pense qu’il faut sortir de l’affrontement permanent. On sort d’une période ou on a jeté l’équivalent de millions d’euros d’aluminium dans la mer qu’on a pollué. Aujourd’hui il faut changer d’attitude et travailler en toute transparence avec la PME qui possède cette usine et qui peut améliorer ses procédés. On peut aussi faire des boues rouges séchées une opportunité et non un déchet. J’ai proposé à Alteo plusieurs solutions de retraitement. Si on y arrive, cela fera une compétence et des technologies qu’on pourra exporter », plaide François-Michel Lambert, très remonté. Un argument qui n’a pas convaincu la députée européenne écolo Michèle Rivasi qui parle elle de « chantage à l’emploi » et a lancé une pétition contre ces rejets.
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