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Pourquoi Danone fait du yaourt social

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Pourquoi Danone fait du yaourt social
(Crédit photo : Haley-Sipa)
 
Loin des hypermarchés occidentaux, le géant de l’agroalimentaire aide à produire des yaourts au Sénégal et au Bangladesh. Ou à rendre potable l’eau au Cambodge. Derrière le « social business », ce sont bien les futurs consommateurs du Sud qui sont en ligne de mire.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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A 30 km de piste de la ville de Richard-Toll, au nord-ouest du Sénégal, Bernard Giraud, assis sur une natte, en chaussettes, écoute le chef de la coopérative laitière lui détailler ses besoins en fourrage. Le directeur du développement durable de Danone est en brousse, au beau milieu de ses investissements. La multinationale, via son fonds Danone Communities, s’est offert il y a un an et demi 25 % du capital de La Laiterie du berger. Cette entreprise familiale, fondée par un vétérinaire dakarois, Bagoré Bathily, fabrique et vend des yaourts issus d’un lait de collecte. L’activité fournit un revenu inespéré pour les éleveurs peuls dans un pays qui, désormais, importe la quasi-totalité de ses produits laitiers sous forme de poudre. « Je voulais faire du bon lait pas cher et j’avais besoin de gens convaincus qu’on pouvait le trouver dans la brousse, et non pas au port », plaisante aujourd’hui Bagoré Bathily. L’arrivée de Danone a été vécue comme un cadeau tombé du ciel. En plus du chèque de 500 000 euros, le groupe prête ses compétences de yaourtier industriel. Mais ce type d’investissement de la multinationale répond à des conditions strictes. Il s’applique à des entreprises étroitement liées aux savoir-faire de Danone, elles doivent apporter une plus-value sociale dans des régions pauvres, être rentables – donc durables – et sont obligées de réinvestir leurs bénéfices. Danone l’a clairement annoncé : il s’agit de participer à la lutte contre la pauvreté et la malnutrition dans le monde. Le concept est tout beau et presque tout chaud et porte le nom de « social business ». Mais il n’est pas sans poser quelques questions.

1/ Derrière les annonces, est-ce que ça marche ?

Un an et demi après son lancement, l’usine de Richard-Toll transforme 5 000 litres de lait par jour et rémunère 600 éleveurs qui ont, en moyenne, triplé leurs revenus. Une réussite mais la recette a connu des ratés à l’allumage. A ses débuts, La Laiterie du berger produisait du lait et des crèmes fraîches, vendus à Dakar. Mais trop loin du goût et des porte-monnaie des consommateurs pauvres, ce fut globalement un flop. Appelé à la rescousse, Danone a étudié le patient façon « marketing de crise ». Six mois plus tard, la laiterie accouchait de « Dolima », un yaourt à la vanille en tube vendu 50 francs CFA (8 centimes d’euros). Distribué en pousse-pousse jusque dans les quartiers périphériques de Dakar, le produit fait un carton.

A 12 000 km de là, à Bogra, au Bangladesh, l’usine de la Grameen Danone Foods, une co-entreprise fondée en 2006 par Danone et l’« inventeur » du micro-crédit Muhammad Yunus, produit chaque jour 23 000 yaourts distribués sous la marque « Shokti Doi ». Enrichis en micronutriments, ils sont censés couvrir 30 % des besoins nutritionnels journaliers d’un enfant et sont vendus 6 taka (7 centimes d’euros) par un réseau de plus de 500 femmes, les Grameen Ladies, et dans des boutiques à moins de 50 km de l’usine. En matière de plus-value sociale et nutritionnelle, l’expérience micro-industrielle semble tenir ses promesses. « Mais les problèmes de malnutrition sont complexes et fabriquer un yaourt à bas prix ne suffit pas à prouver son efficacité  », souligne prudemment Anne-Dominique Israël, responsable des programmes nutritionnels Asie de l’ONG Action contre la faim. La question n’a pas échappé à Danone qui a conclu un partenariat avec la fondation suisse Global Alliance for Improved Nutrition (GAIN), qui lutte contre la malnutrition. « La connaissance de l’impact sur la santé des enfants est en effet décisive. Nous avons financé une étude d’un an, menée par les scientifiques de l’université américaine Johns Hopkins dans 734 écoles », explique Susan Simmons Lagreau, responsable des partenariats chez GAIN. Les résultats ne devraient pas tarder. Mais toutes les questions ne seront pas pour autant résolues. « Au Bangladesh, 40 % de la population vit avec moins d’un dollar (0,79 euro, ndlr) par jour et par famille : si ces gens décident d’acheter ces yaourts, il est indispensable de se demander ce qu’ils vont remplacer dans leur budget », ajoute Anne-Dominique Israël.

2/ Un épicier industriel peut-il faire du développement ?

Lorsqu’on demande à Muhammad Yunus s’il n’a pas l’impression que Danone se sert de lui, le prix Nobel de la paix 2006 répond souvent : « Mais c’est moi qui me sers de Danone ! ». « Il faut utiliser la technologie des grandes entreprises. Ce yaourt a été créé sur la base de leur génie industriel », ajoutait-il ce même jour, lors d’une conférence à Paris. C’est aussi ce qu’on pense aux 1001 Fontaines, troisième projet de « social business » financé par le groupe. Il s’agit d’un réseau rural de micro-entrepreneurs qui rendent potable l’eau des mares au Cambodge. « L’eau, issue de notre système de traitement par ultraviolet, est analysée chez Evian. Nos interlocuteurs ne nous posent même plus la question de la qualité ! », explique François Jaquenoud, cofondateur du réseau. L’eau est vendue en bonbonnes, à 0,7 centime d’euro le litre. Mais malgré ce prix très bas, la micro-entreprise doit être rentable. Danone a donc apporté son savoir-faire pour optimiser la logistique de distribution et d’assistance technique locale, dans des zones rurales très reculées. « Ce sont des projets ambitieux socialement, mais l’avantage d’un leader mondial est de disposer d’équipes aux compétences multiples capables de construire des solutions innovantes dans des contextes atypiques », analyse Luc Rigouzzo, directeur de Proparco, la branche d’investissements privés de l’Agence française de développement.

Chez les acteurs historiques de la lutte contre la pauvreté, ces initiatives, de la part d’un industriel, suscitent l’intérêt. « Les grands groupes qui testent de nouveaux modèles sont rares », souligne Julien Grouillet, directeur « responsabilité sociale » de l’ONG Care. « Ces projets, à grande échelle, pourraient être un levier de développement colossal », ajoute-t-il. Les 1001 Fontaines fournissent aujourd’hui de l’eau potable à 20 000 personnes et espèrent tripler ce chiffre l’année prochaine. « Nous visons 250 sites et 500 000 personnes d’ici à 2050 : on pourra alors dire qu’on a un impact en matière de santé publique », estime François Jaquenoud. Au Bangladesh, une nouvelle usine de yaourts devrait être construite cette année et cinquante sont prévues d’ici à 2020.

Reste que si Danone défriche sec dans le développement, sa vie quotidienne est celle d’une multinationale. Entre les producteurs de lait français qui hurlent aux portes des usines normandes et les enfants de Bogra qui mangent des yaourts fortifiés, les questions d’éthique peuvent faire mal au crâne. Les ONG y répondent de façon pragmatique. « Dans une entreprise aussi gigantesque, le risque zéro de dérapage n’existe pas. Mais cette multinationale est en pointe en matière d’innovation vers les plus pauvres : le jeu en vaut la chandelle », tranche Julien Grouillet, de Care, en passe de signer un partenariat pour la distribution des produits Shokti Doi dans le nord du Bangladesh.

3/ Les actionnaires sont-ils devenus des philanthropes ?

« Un système qui repose sur le don ou la charité risque de s’arrêter un jour », explique Bernard Giraud, directeur du développement durable du groupe. Pour lancer ses projets, Danone a donc inventé un outil financier inédit. Il prend la forme d’une sicav, un produit d’épargne géré par Ideam, une filiale du Crédit agricole spécialisée en investissement socialement responsable. Abondée à hauteur de 70 millions d’euros, ce titre se divise en deux : 90 % sont investis dans des placements « sûrs » et 10 %, soit 7 millions d’euros, peuvent être consacrés aux projets sociaux, des placements dits « risqués ». Sa spécificité : tout particulier peut y acquérir des actions et savoir que son argent va, en partie, financer un projet dit « social » dans un pays du Sud. Actionnaires et employés de Danone ont été invités à y placer, à titre personnel, leurs dividendes ou leur participation à l’intéressement de l’entreprise. Le groupe lui-même ne l’a abondé qu’à hauteur de 20 millions d’euros alors qu’il affichait en 2009 un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros. « Danone a une démarche pragmatique. Nous pouvons répondre aux attentes des actionnaires par nos résultats économiques, tout en nous donnant des marges de liberté pour explorer des alternatives », justifie Bernard Giraud. En revanche, les actionnaires doivent assumer quelques contreparties, comme le temps passé par les équipes du groupe à inventer des yaourts révolutionnaires ou des plans marketing pour les bidonvilles de Dakar. « Nous sommes en phase d’accélération : il y aura une dizaine de projets en route d’ici deux ans qui mobiliseront de plus en plus de ressources humaines, confirme Emmanuel Marchant, directeur général délégué de Danone Communities. Mais ces investissements sont raisonnables au regard des nombreux enseignements que nous en tirons : le potentiel de croissance pour Danone est immense. »

4/ Qu’est-ce que cela rapporte à la boîte ?

A La Laiterie du berger, au Sénégal, c’est Guy Gavelle, directeur industriel de Danone, le « Monsieur usines » du groupe, qui vient lui-même donner des tours d’écrous sur les machines. « Ici, les usines classiques sont trop grosses, trop chères et inadaptées. Il faut donc innover », explique-t-il. A Bogra, au Bangladesh, pour s’accommoder des conditions locales, il a inventé une usine particulièrement économe en énergie : récupération de l’eau de pluie, chauffe-eau solaire, biodigesteurs… « Nos spécialistes sont confrontés à des problèmes hors normes, ceux des pays émergents », précise Bernard Giraud. En se creusant la tête sur ces projets, les équipes de Danone prennent de l’avance en recherche et développement. Car en matière de business classique, c’est aussi vers le Sud que regarde Danone. En 2009, son chiffre d’affaires a progressé de 1 % en Europe, mais bondi de 12 % en Asie. « On trouvera des éléments de Bogra dans des plans d’usines de pays émergents en démarrage cette année », confirme Emmanuel Marchant.

D’autant que les 3 milliards de personnes qui vivent avec moins de 5 dollars (3,95 euros) par jour, jusque-là délaissés par les grandes entreprises, sont très probablement les consommateurs d’après-demain. Ce marché potentiel a même été théorisé aux Etats-Unis il y a une dizaine d’années et baptisé « the bottom of the pyramid », le « bas de la pyramide » : en adaptant leur modèle, les grosses boîtes pourraient à la fois fournir des produits de base aux plus pauvres et s’ouvrir des marchés colossaux. « Ces classes pauvres sont des consommateurs inconnus, surtout pour les multinationales du Nord. Mener des projets expérimentaux a un effet d’apprentissage considérable », analyse François Perrot, doctorant à l’Ecole polytechnique et spécialiste du sujet.

5/ Miroir, mon beau miroir…

Pour mobiliser ses troupes, rien de tel qu’un mot d’ordre qui cause d’autre chose que d’argent. Le « social business » s’inscrit dans cette certitude. « D’une part, c’est ancré dans la culture personnelle de Franck Riboud, le pédégé, analyse Bruno Vannoni, délégué confédéral CFDT. D’autre part, l’entreprise a été fortement marquée par l’image des restructurations de 2001. Cette période difficile a servi de catalyseur pour s’en forger une autre. » Les souvenirs douloureux des boycotts post-restructuration de LU sont désormais loin. L’année dernière, le groupe figurait dans la liste mondiale dressée par le magazine Ethisphere des 99 sociétés les plus éthiques. « Le premier effet recherché de ces projets, dits de “social business”, concerne l’entreprise elle-même : ils recréent le sentiment de participer à une mission qui va au-delà des résultats économiques », souligne François Perrot. En 2008, au moment du lancement de la sicav Danone Communities, 2 000 salariés du siège de l’entreprise ont choisi d’y investir en moyenne 1 700 euros chacun. Chez Danone, on parle même de « dividende social ». Au même moment, le groupe était partenaire du lancement d’une chaire « Social Business/Entreprise et Pauvreté » à HEC. Histoire d’ouvrir une nouvelle ère du CAC 40 ? « Notre entreprise attire les jeunes, elle a gagné cette capacité d’attraction », confirme Emmanuel Marchant.

Alors trop sympa, Danone ? Pas folle surtout, répondrait son patron. A l’écouter, le « social business » rend sa boîte plus solide face aux mastodontes qui pourraient la croquer. « C’est mon marketing à moi. Plus j’affirme cette culture, plus je me rends non comestible. Si les gens qui bossent à Danone sont convaincus de ce qu’ils font, je deviens même un virus », lançait Franck Riboud, en janvier devant 3 000 jeunes réunis au Grand Rex à Paris. Ceux qui y croient rêvent d’une épidémie. « La réussite de ces projets de “social business” aurait un effet d’entraînement sur les autres entreprises, prie presque Luc Grouillet, de Care. Le projet au Bangladesh est devenu emblématique : on ne peut pas se payer le luxe qu’il échoue. » —


UNE SAGA MOUVEMENTÉE

1919 Isaac Carasso crée à Barcelone la marque de yaourts Danone qui signifie en catalan « petit Daniel », le prénom de son fils. C’est ce dernier qui introduira la marque en France.

1967 Fusion avec Gervais. La nouvelle entité Gervais-Danone devient la première entreprise française de produits laitiers frais et achète la marque Panzani en 1971.

1973 Fusion avec le fabricant de verre Boussois-Souchon-Neuvesel dirigé par Antoine Riboud. La nouvelle entreprise s’appelle BSN-Gervais Danone.

1979 Le groupe se concentre sur l’alimentaire et achète les marques Liebig, Vandamme, La Pie qui Chante, Amora, Volvic, Générale Biscuits (qui possède LU), etc.

1996 Sous la direction de Franck Riboud, fils d’Antoine Riboud, Danone se focalise sur les produits laitiers et l’eau.

2001 L’entreprise annonce la fermeture de plusieurs usines LU alors que la branche est bénéficiaire. Appels au boycott des produits Danone.

2009 N°1 mondial des produits laitiers frais et n°2 des eaux embouteillées, Danone emploie plus de 80 000 personnes et réalise 14,982 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

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  • Anonyme : Hmmm...

    Étrangement n’est pas évoquée dans cet article la gestion des déchets induite par tous ces yaourts.

    14.11 à 17h58 - Répondre - Alerter
  • Cécile Cazenave, il se trouve que j’ai eu l’occasion d’entendre lors d’un colloque réunissant 2000 chefs d’entreprise, Emmanuel Faber, vice-président RH Danone, qui est à l’origine de Danone Communities, nous avons tous été scotché par son témoignage. Il nous a expliqué comment et pourquoi, il avait fait se rencontrer Franck Riboud et Muhammad Yunus, prix Nobel.
    Très franchement, il n’apparait pas dans votre article toute la partie amont qui est très développé au Bangladesh, où l’action de la Grameen Danone Foods va jusqu’à permettre la création de petite exploitation (1 vache par famille là-bas) par le micro-crédit, permettre aussi aux femmes d’être les vendeuses par le porte à porte en les responsabilisant et en leur permettant d’en vivre. Bref toute une chaine de développement qui va bien au-delà de la seule vente de produits laitiers, comme vous l’ennoncez dans votre introduction d’article : "
    Derrière le « social business », ce sont bien les futurs consommateurs du Sud qui sont en ligne de mire."
    Il me semble que vous prettez à Danone des arrières pensées qui ne sont pas celles de leur démarche profonde. Dommage _ ! Combien d’entreprise sont-elles autant impliquées de cette manière dans le "Social Business". Faites confiance à Mr Yunus, s’il avait senti la moindre récupération, il n’aurait pas engagé sa crédibilité. D’ailleurs ne dit-il pas que c’est lui qui en profite ?

    6.10 à 17h35 - Répondre - Alerter
  • Il faut bien avoir les reins solides, pour mener des campagnes pareilles.

    Le bons produits Danone, j’en consomme et je suis dans un pays, ou la vie est demi-belle.

    J’en mange souvent, et je constate que il n’y a pas d’ OGM, de marquer sur les étiquettes !

    Ha , j’éspère du moins. Et continuer a déguster, mais si je savais....lol gennpice est là !

    24.09 à 10h45 - Répondre - Alerter
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