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25-04-2011
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Technologie
Eau
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Peut-on s’offrir un iceberg ?

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Peut-on s'offrir un iceberg ?
(Crédit photo : Jiri Rezac - Réa)
 
L’idée de l’ingénieur Georges Mougin coule de source : récupérer l’eau douce des icebergs pour remplir nos bouteilles, avant qu’elle ne fonde. Problème : il faut d’abord déplacer les mastodontes polaires. Les sceptiques réclament la facture économique et écologique.
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« Papa, c’est quoi cette bouteille d’eau ? Papa, comment on fait les bébés ? » « Et bien, c’est nouveau. C’est une bouteille d’eau obtenue à partir de la glace millénaire contenue dans les icebergs des pôles Nord et Sud. Ils ont traversé les océans pour arriver jusqu’à nous et nous donner une eau pure à boire. » Papa est-il en train de délirer ? Même pas. Il n’est pas impossible que ce genre de dialogue soit vraisemblable dans quelques années. Beaucoup en rêvent. Certains poussent l’audace jusqu’à y croire.

Remis au goût du jour par l’émission Thalassa en mars, l’idée de convoyer des icebergs pour alimenter en eau douce les zones sèches du globe est en fait vieille d’un demi-siècle. L’océanographe américain John Isaacs était passé pour un illuminé dans les années 1950 en voulant tracter des icebergs du Grand Sud jusqu’aux côtes californiennes. Mais, en 1977, après un épisode de sécheresse sur la côte Ouest, près de 200 scientifiques s’étaient réunis dans l’Iowa aux Etats-Unis pour tenir le premier congrès international sur l’utilisation des icebergs. Le principal sponsor de ce rassemblement était le prince saoudien Mohamed Al-Faisal, qui créa la société Iceberg Transport International, dans le but de résoudre le problème de manque d’eau potable dans son pays. Manque de soutien, difficultés techniques insurmontables, le projet coula corps et biens.

L’ingénieur français Georges Mougin faisait partie de l’équipée malheureuse. Au début des années 2000, il est pris d’un regain d’enthousiasme : « Grâce aux satellites, on sait aujourd’hui prédire le comportement des océans, prévoir les courants en surface et en profondeur, leur température. » Et ainsi contourner les risques de fonte ou de bascule des monstres de glace. De même, des radiographies par écho-sondages permettent de sélectionner les icebergs de formes tabulaires – plus stables – et écarter ceux qui présentent des risques de fracture.

Systèmes de climatisation

A 86 ans, le chemin de Georges Mougin croise celui du groupe Dassault, qui joue les mécènes en lui prêtant quelques ingénieurs et ses logiciels de simulation en 3D. « On a reconstitué un monde virtuel », raconte Cédric Simard, directeur du projet. Dans ce monde, un remorqueur parvient, en s’appuyant sur les courants marins, à diriger un iceberg de 7 millions de tonnes (240 m de long, 190 de large et 165 de profondeur). En 141 jours, et à une vitesse d’1,8 km/h, il relie Terre-Neuve aux Canaries. Une jupe de géotextile protège la partie immergée du mastodonte de la chaleur et de l’érosion par les vagues. A l’arrivée, il a fondu d’environ un tiers et est prêt à fournir en eau potable 35 000 personnes pendant un an, assure Dassault. Un rêve palpable ?

« Ce sont des fantasmes ! », coupe net Bernard Barraqué, spécialiste des politiques de l’eau au CNRS. « Je n’y crois qu’à moitié pour une question de coût (…) Dans les années 1990, les Baléares ont importé de l’eau de Tarragone (en Catalogne, ndlr). Au bout de deux ans, c’était fini. Ils se sont mis à la désalinisation de l’eau de mer et ont fait des économies. » Alors, le remorquage d’icebergs, un nouveau puits sans fond ?

Dassault a chiffré le coût du voyage à 10 millions d’euros. Georges Mougin est formel : son projet est « beaucoup moins cher que le dessalement ». Pour être rentable, il voudrait aller chercher des icebergs beaucoup plus grands, en Antarctique. Et, surtout, s’appuyer sur des débouchés multiples : la glace de l’iceberg servirait comme source d’énergie en alimentant des centrales électriques ETM (1), mais aussi des systèmes de climatisation. Quant à l’eau récupérée, elle irait à des besoins de consommation.

Reste encore le problème de la propriété des icebergs, vite écarté par Dassault : « Dans les eaux territoriales, ils sont sous la juridiction de l’Etat. En haute mer, ils sont “ rex nullius ” et peuvent, au même titre qu’une épave, devenir la propriété de celui qui en prend le contrôle. » Et le bilan environnemental ? Le remorquage nécessiterait 4 000 tonnes de fioul. « L’iceberg peut générer beaucoup plus d’énergie qu’il n’en nécessite pour son transport », insiste Georges Mougin. Qui balaye d’un revers de main le risque de surexploitation : « Il se détache 300 à 500 milliards de tonnes d’icebergs chaque année », une immensité rapportée aux quelques milliers de tonnes qui pourraient être prélevées. Et l’environnement marin ? « Les icebergs ont un rôle ponctuel sur l’écosystème, minimise Jean-Louis Tison, glaciologue à l’Université libre de Bruxelles. L’impact serait négligeable ».

« Gaspillage le plus total »

Pour passer aux travaux pratiques, Georges Mougin vient de créer sa société et recherche des financement pour valider la simulation en 2012 : « On va choisir un iceberg, l’envelopper, le mettre en baie et observer pendant trois ou quatre mois son comportement. » Le glaciologue Jean-Louis Tison demande à voir « le résultat d’un procédé complet accompagné d’une estimation des coûts financiers et écologiques ». D’autres sont plus sceptiques. Pour la Fondation France Libertés, qui milite pour un droit d’accès à l’eau pour tous, « on ferait mieux de préserver nos ressources avant de permettre aux plus riches de surconsommer ». 2,5 milliards de personnes n’ont pas d’accès à une eau assainie et 34 000 meurent chaque jour faute d’eau potable. « Se servir d’une eau potable pour des climatiseurs ? On marche sur la tête, on va au gaspillage le plus total », s’étrangle l’ONG. Alors, faut-il vraiment briser la glace ? —

(1) Les centrales à énergie thermique des mers produisent de l’électricité grâce à la différence de température entre eau de surface et eau froide des profondeurs.

Sources de cet article

- Le projet Icedream de Georges Mougin et Dassault

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Journaliste indépendante. Collabore à Terra eco depuis novembre 2010.

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