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Notre recette contre les salades atomiques

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Notre recette contre les salades atomiques
(Crédit illustration : Placid pour « Terra eco »)
 
C'était un dîner presque parfait… Et puis, patatras, un convive a lancé la conversation sur le nucléaire. Ça vous rappelle quelque chose ? Pour éviter de revivre ce cauchemar, voici nos antisèches pour clouer le bec aux beaux parleurs !
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Enfer et damnation : c’est dimanche, et vous allez bruncher chez votre beau-frère Georges. En bas de chez lui, sur la place du marché, des militants pronucléaires distribuent des tracts défendant les 24 réacteurs qu’affirme vouloir fermer l’opposition. Vous vous frayez un chemin jusqu’au porche de l’immeuble et grimpez chez votre hôte. Entre brioche et œufs brouillés, le sujet figurera sans nul doute au menu. Ambiance assurée. L’air de rien, vous saluez d’une main ferme et droit dans les yeux chacun des convives du jour : un décroissant, un gaulliste, une admiratrice de Claude Allègre (si, si), une poignée de partisans de la « gauche MOx » et quelques traditionnels « sans opinion ». Au cœur du débat : l’avenir du nucléaire après l’élection de 2012. Faut-il en sortir un peu, beaucoup, pas du tout ? Fidèle de Terra eco, vous allez pouvoir mettre votre grain d’iode (pas dans le café, hein), traquer les approximations et débusquer l’intox grâce à ce manuel de savoir-vivre en milieu radioactif.

1/ « C’est notre indépendance énergétique ! »

Bigre, ça commence fort ! Alors qu’on sert paisiblement du kouglof, votre voisin balance la tarte à la crème du village gaulois gavé de potion magique à l’uranium enrichi. Idéal pour vous échauffer et vous faire mousser à peu de frais. Un peu de courtoisie : « Je pouffe : le nucléaire assure certes 75% de notre production d’électricité, mais représente seulement 17 % de notre consommation énergétique. L’Hexagone importe même de plus en plus d’énergie fossile pour répondre à l’inflation du trafic automobile et aux besoins de chauffage en hiver. Ainsi, ses centrales n’empêchent pas le Français moyen de consommer 1,06 tonne de pétrole par an, contre 1,01 tonne pour un Allemand ! »

Laissez reposer, puis ajoutez une petite cerise : « Lorsque nos dirigeants parlent d’indépendance énergétique, ils oublient bizarrement de dire que la France n’a plus de mine d’uranium en activité et que ce combustible indispensable à nos réacteurs est intégralement importé (pour un tiers du Niger). Et à en croire la prise d’otages en septembre 2010 de salariés d’Areva, l’entreprise française qui exploite les gisements nigériens, nous n’y avons pas que des Aqmi… » Evitez le rictus d’autosatisfaction et le haussement d’épaules qui vous trahirait. Distribuez des smoothies pour faire passer ce jeu de mots d’un goût douteux. Et concluez : « Si l’Etat reconnaissait que l’uranium est importé, notre glorieux taux d’indépendance énergétique, affiché à 51 %, tomberait à 8,9 %. Cocoribof. » Vous avez gagné l’oreille des convives.

2/ « Ça va nous coûter un bras de sortir du nucléaire »

Dans un rougissement qui attendrit votre voisine, vous admettez : « Oui, tout le monde est d’accord. » Le problème, c’est que, quel que soit le scénario choisi, « il va falloir débloquer le tiroir-caisse », glissez-vous. Avant d’enchaîner : « Ne rien faire, c’est-à-dire maintenir la part de notre électricité d’origine nucléaire à 70%, coûterait déjà la bagatelle de 322 milliards d’euros d’ici à 2030. » Et ce sont les prévisions (1) de l’Union française de l’électricité (UFE), qui fédère les entreprises du secteur, pas celles de votre tonton Jean-Claude, excusé pour le brunch. Vous laissez couler la crème anglaise dans la gorge de vos invités et poursuivez. « Réduire cette part à 50%, comme le propose le Parti socialiste, reviendrait à signer un chèque de 382 milliards… (tapez un coup ferme dans le dos de votre voisine qui vient d’avaler tout rond un bretzel XL) et viser 20% à lâcher 434 milliards d’euros. Pas facile en temps de crise (giflez fermement votre voisin afin de le réanimer). Benjamin Dessus, ingénieur, économiste et président de l’association Global Chance, pousse, lui, le bouchon un cran plus loin. Selon ses calculs, une sortie du nucléaire en vingt ans se chiffrerait entre 451,5 et 503 milliards d’euros contre 457 à 546 milliards d’euros en cas de poursuite du programme. » Vérifiez que votre téléphone n’est pas déchargé et appelez les pompiers, vous auriez juré avoir perçu des suffoquements de l’autre côté.

« Prenons un peu de recul sur ce bombardement de chiffres, mes frères, lancez-vous, en vous rendant compte que ce verre de pouilly attaque sévère en ce dimanche midi. Toutes ces estimations ont été réalisées au doigt mouillé, car EDF ne dévoile pas ses coûts, et parce qu’on ne connaît pas encore la facture du démantèlement des centrales et du stockage des déchets. » L’agitation autour de la table rend nerveuse la cuisinière. Restez zen et proposez la tisane de mère-grand à l’assemblée : le rapport de la Cour des comptes devrait mettre tout le monde d’accord début 2012.

3/ «  Dégommer l’atome, c’est perdre 400 000 emplois  »

Là, c’est très touchy… Le Français est presque aussi fier de ses 58 réacteurs nucléaires que de ses 300 fromages. En fermer 24, comme le propose l’accord PS-Europe Ecologie - Les Verts, fait hurler dans les chaumières. Le gouvernement Fillon évoque 400 000 emplois directs et indirects menacés. Henri Proglio, pédégé d’EDF, pousse le sinistre social jusqu’à un million, en ajoutant 500 000 emplois dans des entreprises en France qui risqueraient de déguerpir à l’étranger. Vous soufflez simplement aux convives que, selon une récente étude du cabinet PriceWaterhouseCoopers pour Areva, la filière génère 410 000 emplois en France, dont 125 000 directs. Mais tous ces emplois ne seront pas détruits si l’on réduit d’un tiers la voilure du parc nucléaire, de 75 % à 50 % de la production française d’électricité.

4/ « Le prix de l’électricité va grimper de 50 % »

Electrisé, cet invité que vous ne connaissez pas – encore un pique-assiette ! – s’emporte. « Le prix pourrait même être multiplié par quatre en cas de sortie du nucléaire, affirmait l’an dernier le président Sarkozy, insiste-t-il. Alors que la France a l’électricité la moins chère d’Europe ! »« Vous reprendrez bien un peu de jus, pour rester concentrés ? », commencez-vous, cafetière en main. « Soyons précis. D’abord, n’oublions pas que nos centrales sont déjà amorties et que nos tarifs sont régulés. Ensuite, l’UFE a évalué que le tarif du mégawattheure augmenterait de moitié d’ici à 2030 en cas de fermeture de 24 réacteurs, le vœu du socialiste François Hollande. Mais selon l’Union, la hausse serait de 33 % à même date si la part du nucléaire dans notre mix énergétique reste inchangée… » Baissez le ton, l’heure est grave : il n’y a plus de sucre. « Qui plus est, cette flambée de notre facture paraît très optimiste : EDF réclame une augmentation des tarifs aux particuliers de 30 % en cinq ans ! De quoi couvrir ses frais liés à la rénovation des centrales… Et surtout la construction de ses EPR : celui de Penly, en Seine-Maritime, verra peut-être le jour… un jour ; celui de Flamanville, dans la Manche, va, lui, coûter au moins deux fois plus cher que prévu. Hors frais de transport et de distribution, le courant vaudra, selon les estimations, de 70 à 120 euros le mégawattheure. Deux à quatre fois plus qu’aujourd’hui, et autant que l’électricité éolienne ! »

Même vos contradicteurs sont soufflés. Donnez-leur du sucre (il en restait sous un exemplaire du Journal du dimanche). « Enfin, ces chiffrages sont encore aussi obscurs que les expressos de Georges. On y verra, là encore, plus clair avec le rapport 2012 de la Cour des comptes, notamment quant aux coûts du démantèlement – EDF compte moins de 500 millions d’euros par réacteur, quand le Royaume-Uni le chiffre à 2,9 milliards – et du stockage géologique des déchets (au moins 35 milliards pour le labo de Bure, dans la Meuse). Il comprendra peut être aussi des éclairages sur le financement de la recherche et sur un autre coût non compris dans la facture électrique mais payé par nos impôts : celui des assurances. » Vous avouez alors à Georges que nos centrales ne sont pas couvertes en cas d’accident, que Fukushima pourrait coûter 175 milliards aux Japonais et que vous ne seriez pas contre un trou normand.

5/ « Les Allemands y arrivent bien. Pourquoi pas nous ? »

C’est un cri de colère qui s’élève de l’entrée et de la gorge d’une jeune écolo convertie : « De l’autre côté du Rhin, ils ont dit stop au nucléaire et ça marche. » La colère n’est pas toujours bonne conseillère. Petite gêne. « C’est plus facile d’abandonner cette énergie pour l’Allemagne, dont les centrales nucléaires ne produisent que 22% de l’électricité, que pour la France, alimentée à hauteur de 74% », la taclez-vous. « Et puis en attendant que les énergies renouvelables répondent à leurs besoins, nos cousins germains vont devoir construire des centrales brûlant du charbon et du gaz, ce qui émettra de 320 à 480 millions de tonnes de CO2 supplémentaires d’ici à 2020 », renchérit un convive. C’est vrai que c’est pas faux.

Les émissions de gaz à effet de serre vont en effet augmenter et ce n’est pas une bonne nouvelle pour le climat. Petites consolations, les Allemands vont remplacer leurs vieilles centrales par des modèles plus efficaces et le renchérissement des prix de l’électricité les poussera à faire des économies tous azimuts. De plus, leur objectif de passer de 17% d’énergies renouvelables en 2010 à 35% en 2020 est bien engagé : ils ont déjà franchi la barre des 20%. La France aurait plus de boulot, mais tous les scénarios sérieux de sortie du nucléaire ne l’envisagent pas avant 2031, en fin de vie de nos centrales actuelles. A condition d’arbitrer entre la prolongation de leur durée de vie et leur fermeture, ou leur remplacement.

6/ « Le parc français est le plus sûr au monde ! »

« En tout cas, Tchernobyl, Fukushima, c’est pas chez nous que ça arriverait ! », lance l’admiratrice de Claude Allègre. « On n’est pas dans un système soviétique en pleine déliquescence, et vous avez déjà vu des tsunamis en Bourgogne, vous ? » – « C’est vrai, il n’y a aucun sushi à se faire », blague Georges en déposant un troisième plateau de saumon sur la table. Les deux se tapent sur les cuisses. « Arrêtez les vannes éculées », coupe le décroissant. Sérieux comme il se doit, il rappelle que « le nucléaire sûr n’existe pas, comme viennent de le démontrer les militants de Greenpeace en s’introduisant le 5 décembre dans deux centrales. D’ailleurs, l’EPR, conçu dans les années 1990, donc avant le 11-Septembre, ne résisterait pas à une chute d’avion de ligne sur son réacteur. » Le ton monte aussi sec : « Autant alors vivre dans des cavernes si on craint que le ciel ne nous tombe sur la tête ! » Eh oui, ça vole pas haut.

Jouez vite les casques bleus entre deux sashimis au thon rouge (Georges n’est pas très écolo, il a voté François Hollande à la primaire socialiste et boit du Nespresso…) : « C’est vrai, aucun accident grave, c’est-à-dire avec une fusion totale du cœur du réacteur, n’est intervenu en France (l’allégrolâtre jubile). Et c’est bien parce que la sécurité de l’EPR est renforcée qu’il coûte cher et que son concepteur, Areva, avait déjà du mal à le vendre à l’étranger avant Fukushima (l’allégrolâtre se tait). Mais la France recense 1 000 “ événements ” chaque année sur ses sites nucléaires, dont certains mortels, comme à Marcoule (Gard) le 12 septembre dernier (l’allégrolâtre regarde ses pieds). Sans compter les contaminations difficiles à recenser du fait de la sous-traitance et du recours aux intérimaires (l’allégrolâtre regarde sous la table). Par le passé, plusieurs “ événements ” auraient pu tourner à la cata. En 1999, au Blayais (Gironde), la tempête provoqua l’inondation de la centrale et interrompit le refroidissement d’un réacteur. Bordeaux faillit être évacuée (l’allégrolâtre est sous la table) ! Après Fukushima, les responsables de l’Autorité de sûreté nucléaire ont d’ailleurs reconnu qu’un tel scénario n’était pas improbable en France. C’est pourquoi les Suisses réclament la fermeture de notre doyenne des centrales, à Fessenheim (Haut-Rhin) : elle est construite sur une faille sismique qui a provoqué en 1356 la destruction de Bâle (l’allégrolâtre a fusionné avec le tapis). » Là, faites tourner les sashimis. On n’a qu’une vie, et puis il est déjà mort, ce thon, non ? Et buvez un coup de cognac, ça donne soif de monologuer.

7/ « Les centrales françaises sauvent le climat »

Tiens, voilà Georges qui fredonne : « Tutututu tu tututututu. » Les mélomanes ont reconnu la scie disco de Lipps, Inc., Funkytown, devenue l’hymne d’Areva. Sur votre gauche, un karaoké démarre. Alors qu’on se passe la salade fuse la sentence qui tue : le nucléaire permet de lutter contre l’effet de serre et le changement climatique. « Sans CO2 ? C’est vrai, même si les avis divergent sur le bilan carbone de l’ensemble de la filière, du transport de l’uranium à celui des déchets », affirmez-vous. « Un réacteur n’émet que de la vapeur, celle créée par l’eau au contact de la chaleur dégagée par la fission des atomes d’uranium. Comme dans une centrale où l’on brûle du charbon ou du gaz, cette vapeur d’eau permet de faire tourner des turbines et de produire de l’électricité, avant d’être relâchée par les cheminées (oh ! les jolis panaches blancs). Nos centrales permettent à la France d’afficher un niveau d’émissions de CO2 par habitant inférieur à presque tous nos voisins : 6,1 tonnes en 2008, contre 10,1 outre-Rhin, notamment. » Une Marseillaise démarre autour de la table. Mais vous vous devez de renverser la vapeur. « Toutefois, avant la crise, nos émissions liées au secteur énergétique ont augmenté (de 4,9% entre 1990 et 2007) quand elles baissaient de 16% en Allemagne, engagée dans la sortie du nucléaire ! Ce pays nous vend d’ailleurs, en hiver, l’électricité qui nous manque, produite dans ses centrales à charbon… »

8/ « Nous sommes drogués aux électrons »

Alors qu’une des convives baille et sort discrètement son smartphone, un des pronucléaires contre-attaque en projetant de la fourme d’Ambert sur son voisin : « Pour chauffer ton appart à 22 °C et faire fonctionner tous tes bidules, ton Internet, et bientôt nos voitures électriques, tu préfères la houille, l’atome ou le rétropédalage ? Certains scientifiques écologistes sensés, comme l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, affirment que, face à la hausse de notre consommation d’électricité, les économies d’énergie sont insuffisantes, que le solaire et l’éolien ne peuvent y faire face, car elles sont intermittentes : il n’y a pas tout le temps du vent et du soleil. » Calmez-vous et éclairez l’auditoire. « D’abord, RTE (Réseau de transport de l’électricité) table sur une croissance modérée de notre conso (1,1% par an d’ici à 2015 puis 0,6% jusqu’en 2030) grâce à plus d’efficacité (éclairage, isolation), et malgré le boom des appareils électriques. Le hic, c’est que la consommation de pointe, lors des vagues de froid ou de chaleur, va augmenter fortement, à cause notamment du chauffage électrique. Son développement, voulu par EDF pour vendre sa surproduction nucléaire, nous oblige à importer de l’électricité quand la bise hivernale montre son nez. Il n’est même pas dit que la construction de 60 EPR, proposée par l’association nucléophile Sauvons le climat, pour remplacer nos réacteurs permette de faire face à ces pics. La solution ? Etre un peu moins branchés. »

9/ « Le nucléaire est la réponse aux besoins du Sud »

« D’abord, sachez que 1,3 milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité ! », objecte un voisin en se servant du pastrami avec la louche de mère-grand. « Le nucléaire peut répondre aux besoins croissants des pays du Sud, et sans aggraver le changement climatique. » – « Marginalement, affirmez-vous en lui passant le beurre sur le revers de la chemise. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le nucléaire pourrait représenter 7,3% de la consommation mondiale d’énergie en 2030, contre 5,8% en 2008. Il contribuerait à moins de 6% des réductions nécessaires de gaz à effet de serre en 2050. Et encore, l’AIE a révisé ces projections optimistes datant de 2010 : elle estime qu’après Fukushima, seulement la moitié des projets de réacteur sortiront de terre en 2035… Cela aura d’ailleurs des conséquences sur le climat si ceux qui renoncent au nucléaire optent pour des énergies fossiles plutôt que pour des renouvelables. Toujours selon l’AIE, l’équivalent de cinq années de croissance des émissions mondiales ! »

« Alors il faudrait choisir entre la peste et le choléra ? », s’interroge la jeune écolo. « Pas si simple. L’ancienne patronne d’Areva Anne Lauvergeon reconnaissait elle-même qu’on ne peut pas construire des réacteurs partout, pour des questions de sécurité, de risques de prolifération des armes atomiques, et de gestion des déchets. Mais ça n’empêche pas Areva de vendre à l’Inde une centrale dont la construction est prévue à Jaitapur, dans une région sismique. Et les Russes vont en bâtir une au Bangladesh, qui, c’est bien connu, glissez-vous sans malice, est à l’abri des intempéries. Selon Bernard Laponche, ex-physicien du Commissariat à l’énergie atomique et fondateur de Global Chance, un réacteur nucléaire n’est que le moyen le plus dangereux de faire bouillir de l’eau ». Un sifflement retentit : l’eau est prête pour le thé.

10/ « 96 % de nos déchets sont recyclés »

« Quel mauvais esprit quand même, râle soudain la fan de Claude Allègre. Insulter notre belle industrie alors qu’elle recycle 96% de ses déchets » – « Greenwashing ! », hurle à son tour le décroissant en reprenant le « Tututututu tutututu, Funkytoooooown ». Sur quoi se fonde ce slogan ? La France est – avec la Grande-Bretagne – le seul pays nucléarisé à retraiter des combustibles irradiés, à l’usine de La Hague (Manche). Ses trois composantes y sont séparées : 95% d’uranium, 1% de plutonium et 4% de déchets « ultimes », vitrifiés et destinés au stockage géologique. « Malgré cinquante ans de recherche sur le sujet, on n’a encore aucune solution pour ces 50 000 tonnes de déchets, radioactifs pour plusieurs millions d’années, et qui seront bientôt stockés en profondeur, à Bure (Lire Terra eco n° 28, septembre 2011) », soulignez-vous. « Poubelle à vie ! », lance Georges, rouge vif et manifestement de plus en plus ivre.

« D’autre part, poursuivez-vous, faisant fi des gloussements et du brunch qui part en queue de merlu, ce n’est pas parce que 96% des déchets sont recyclables qu’ils le sont effectivement. Ainsi, 80 tonnes de plutonium, extrêmement radioactif pendant ses vingt-quatre mille ans de demi-vie, sont stockées à La Hague. 22 000 tonnes d’uranium de retraitement sont entreposées au Tricastin (Drôme) et 15 % des déchets français sont expédiés en Russie. » – « Et le MOx ?, interrompt la voisine du dessous passée récupérer des trognons de pomme pour son lombricomposteur. Il ne permet pas de réutiliser ces déchets ? » – « En partie, répondez-vous calmement. Produit à partir de plutonium et d’uranium appauvri, ce combustible est réutilisable dans certains réacteurs, mais il n’est ensuite plus recyclable. Bref, l’intérêt du retraitement, dispendieux (le centre de La Hague coûte un milliard d’euros par an) et lui-même producteur de déchets, n’est pas évident. D’où l’accord polémique trouvé par les écolos et le Parti socialiste pour arrêter la production de MOx », rappelez-vous. « Mouais ! Un accord valable jusqu’à ce qu’Areva passe un petit coup de fil à François Hollande, s’il rentre à l’Elysée », ronchonne le militant pronucléaire. Là, vous rapportez les plats en cuisine et raccompagnez la voisine.

11/ « Demain, le nucléaire sera propre et inépuisable »

Vous arrivez à temps pour empêcher une invitée de jeter du riz dans la poubelle « recyclable ». Elle insiste : « La quatrième génération de réacteurs devrait permettre d’utiliser tous ces déchets, non ? C’est un peu le bac vert du nucléaire… » – « L’objectif est en effet d’utiliser dans ces centrales du combustible usagé, ce qui, affirment ses partisans, garantirait deux mille cinq cents ans d’approvisionnement grâce à nos déchets, contre quelques décennies seulement dans les gisements connus d’uranium. Superphénix pourrait ainsi renaître de ses cendres : ce réacteur conçu en 1985 devait, tout en produisant de l’électricité, transformer tout l’uranium en plutonium. Mais on a fini par en avoir trop sur les bras, et la mission du “ surgénérateur ” a changé : incinérer le plutonium ! Las, Superphénix, qui a coûté 7 milliards d’euros, était la plupart du temps en panne. En 1997, le Premier ministre Lionel Jospin et la ministre Verts Dominique Voynet ont arrêté les frais et lancé le démantèlement. Aujourd’hui, 650 millions d’euros du grand emprunt financent les recherches du CEA sur un tout nouveau prototype de surgénérateur : Astrid… »

Votre interlocutrice réplique car elle en connaît un rayon : « La fusion, avec le projet Iter à Cadarache, en revanche, ce serait super, pour recréer l’énergie du soleil… » – « Cela risque surtout de faire un four », rétorquez-vous. « 16 milliards d’euros sont investis dans Iter. Objectif : chauffer des noyaux d’hydrogène à 100 millions de degrés pour qu’ils fusionnent et dégagent une énergie proche de celle des étoiles. Mais, comme disent les sceptiques, dont plusieurs savants pronucléaires – Claude Allègre, Sébastien Balibar… –, on veut mettre le soleil en boîte sans savoir fabriquer celle-ci : on ne sait quels matériaux sont capables de résister. Si on résout ce problème, il faudra patienter un petit siècle pour des applications industrielles. Trop tard pour enrayer le changement climatique… Si on rapportait du fromage ? » De la tomme, bien sûr !

12/ « Il faudrait couvrir la France d’éoliennes »

On sert le café-gourmand-calva… et les tout derniers arguments : « Pour remplacer nos réacteurs, il faudrait mettre une éolienne tous les 100 mètres. » – « Vous voulez qu’on retourne à la bougie… » Restez zen, vous n’allez pas craquer maintenant. « Des scénarios de transition énergétique, comme celui de l’association NégaWatt, jugent possible de réduire nos émissions de gaz à effet de serre tout en sortant du nucléaire – en 2033. Cela passe évidemment par un développement important des énergies renouvelables, à commencer par la biomasse : bois, déchets agricoles… Autre piste : la méthanisation, c’est-à-dire la fermentation de matières animales ou végétales pour donner du biogaz. Mais il s’agira surtout de réduire massivement – de 60 % ! – notre conso énergétique, grâce notamment à la rénovation des bâtiments. Ce qui impose de réfléchir d’abord aux usages de l’énergie, avant de la produire… Et si c’était cela, la vraie révolution énergétique en 2012 ? » Alors que tout le monde se quitte pour laisser cuver Georges, une voix vous glisse : « Tu me donnes ton 06 ? » Grâce au nucléaire, vous avez noué d’inattendus atomes crochus. —

(1) Brochure à télécharger ici


Bibliographie

Atlas mondial du nucléaire de Bruno Tertrais (Autrement, 2011)

L’Energie nucléaire de Paul Reuss (PUF, 2006)

En finir avec le nucléaire de Benjamin Dessus et Bernard Laponche (Seuil, 2011)

Peut-on sortir du nucléaire ? de Jacques Foos et Yves de Saint Jacob (Hermann, 2011)

- Le site de l’Agence internationale de l’énergie

- Le site d’Areva

- Le site de la Criirad

- Le site de Global Chance

- Le site de NégaWatt

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  • Merci pour cette synthèse intérresssante..

     
     
    Voir ma webcam.
    23.01 à 11h31 - Répondre - Alerter
  • Merci pour cet excellent article qui ne manque pas d’humour.
    Il m’a notamment permis d’apprendre l’existence du projet de réacteur de nucléaire de 4ème génération, le projet "Astrid".
    Ca peut paraître un peu superficiel par rapport à l’urgence de débattre de la pertinence de la solution nucléaire en France, toutefois, cela m’a un peu révolté de voir que le CEA n’avait aucun remord à nommer leur nouveau sujet d’expérimentation avec un prénom porté par des milliers de françaises ... dont ma fille, pour qui j’ai vraiment rêvé à mieux en lui donnant ce prénom il y a quelques années.
    J’ai lancé une pétition sur le site mes opinions point com, dont le titre est "Pour le renommage du réacteur de 4ème génération". J’aimerai vraiment que cette pétition trouve un minimum d’écho et permette de relancer le débat sur ce projet qui s’annonce coûteux et probablement stérile, tant sur le fond, que sur la forme !
    Si cet humble combat vous inspire, venez signer nombreux et passez le mot !

    18.01 à 11h14 - Répondre - Alerter
  • Article intéressant, lu en juste après le livre de Corinne Lepage : La vérité sur le Nucléaire / Le choix interdit.
    Mais une question reste vague, c’est le vrai coût du Nucléaire, c’est çà dire ce qui manque actuellement :
    Le démantèlement : 100 à 200 milliards d’Euros, en se basant sur les estimation de la Suède où de la Grande Bretagne. En affinant que ces chiffres s’affinent, il serait normal qu’EDF mette de coté 10 milliards par an, par exemple en achetant des obligation de l’Etat Francais...
    L’assurance après Fukushima : Le gouvernement Japonais estime le coût de la catastrophe à 300 milliards (soit sensiblement plus que dans l’article, mais l’ordre de grandeur y est). EDF n’est pas assuré pour cette somme, alors que ce type d’accident est maintenant possible. Seul l’état peut être assureur en dernier recours. Il serait donc normal qu’EDF paye une prime d’assurance annuelle à l’Etat. Remarquons que 10 milliards ne représente que 3 % environ du sinistre, cela me parait un minimum.
    Enfin, pour la recherche civile, plus de 150 milliards de fonds publique ont été dépensés sans contre-parties, et cela continue. Il serait donc logique qu’il y ai une taxe spécifique sur l’energie nucléaire, comme elle existe sur les énergies carbonées. Vu les dépenses, une taxe rapportant à l’état 5 milliards d’Euros minimum serait bienvenue.
    Reste le stockages des déchets où regne un certains flou...
    Donc en attendant les conclusions de la Cour des compte, sur la base d’une production annuelle de 500 TéraWh, 5 milliards de frais correspond à 1 centime d’Euro par Kwh.
    Donc, 10 + 10 + 5 soient 25 milliards d’Euros à financer par an, c’est 5 centimes par kwh de surcout (ou 5 Euros de plus par MWh).
    CQFD.

    8.01 à 20h14 - Répondre - Alerter
  • merci pour cet article très documenté et très agréable à lire. De l’excellent boulot !

    6.01 à 19h25 - Répondre - Alerter
  • Merci pour cet exercice de synthèse et ... d’animation de soirée.
    Dans le scénario de l’UFE, la réduction de la consommation électrique (autre que l’efficacité énergétique) n’est pas prise en compte. Si chacun d’entre nous réduisait sa consommation, ne serait-ce que de 10%, on mesure facilement l’impact sur les scenarii évoqués : suppression possible de 5 centrales sans compensations nécessaires.
    Remplacement de quelques ampoules, multiprise avec interrupteur, éteindre les lumières inutiles, etc.

    5.01 à 18h06 - Répondre - Alerter
  • Bravo pour cet excellent article plein d’humour. Une excellente anti-sèche pour répondre "calmement" aux assertions et sentences convenues qui fusent si régulièrement.

    29.12 à 19h36 - Répondre - Alerter
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