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3-02-2005
Mots clés
Social
Europe
Amériques

Mister Taylor vous salue bien !

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Nous ne sommes plus au temps de Zola et il y a longtemps que le travail ne fait plus mal au corps, pensiez-vous ? Pourtant, les cas de maladies professionnelles ont explosé ces 10 dernières années. Enquête sur un nouvel enjeu de santé publique.
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A travailler dans des espaces ouverts, planqué derrière les plantes vertes, ou dans des bureaux design individuels de 15 m2, on pourrait croire que les maladies professionnelles et accidents du travail appartiennent à un autre âge. Les chiffres de la Sécurité sociale démontrent l’inverse : jamais les Français n’ont autant souffert de maladies professionnelles. Entre 1993 et 2003 leur nombre - établi en fonction des versements de l’assurance maladie [1]- a été multiplié par quatre. 7 500 en 1994, 31 000 en 2003, soit près de 2 salariés sur 1000 [2]. Plus surprenant, ces chiffres enflent au rythme de 20 % par an. Et encore, sont-ils probablement sous-évalués : "Nous recensons les victimes indemnisées, donc déclarées, mais nous n’avons pas les moyens de connaître l’exposition réelle des salariés. Or celle-ci est logiquement très supérieure aux chiffres des indemnisations", observe Gérard Marie, ingénieur conseil à la Direction des risques professionnels, une branche de la Sécurité sociale.

Toute l’Europe est touchée

Il suffit, pour s’en convaincre, de s’attarder sur le cas des "troubles musculo-squelettiques" ou "TMS". Grosso modo, et pour reprendre le langage fleuri de la Sécurité sociale, il s’agit des "affections péri-articulaires" (l’une des plus connues étant le syndrome du canal carpien). Au rang des maladies professionnelles, ces TMS occupent une place particulière puisque, en dix ans, leur nombre a été multiplié par 6. Ils représentent aujourd’hui les trois quarts des affections dues au travail (autour de 24 000 cas par an). Or une étude épidémiologique a été menée dans la région des Pays de la Loire par des médecins du travail, au sein de la population ouvrière, dont le verdict inquiète : "13 % des personnes auscultées présentaient des TMS au sens large, rapporte François Daniellou, professeur d’ergonomie à l’université de Bordeaux 2. Sur cette base, on peut estimer que 100 000 Français souffriraient de ces troubles dus au travail". C’est quatre fois plus que ce qu’indiquent les statistiques de la Sécu... En France, la situation est telle que le ministère du Travail prépare un Plan national de la santé au travail, dont on attend la sortie le 17 février. Mais la situation se dégrade partout en Europe, et notamment en Belgique, en Italie et en Espagne.

"Taylor n’est pas mort"

L’explication ? Si certains gros risques tendent à disparaître, et si le nombre d’accidents du travail a plutôt diminué depuis plusieurs années, on assiste "à un mouvement global d’intensification du travail", analyse Philippe Douillet, responsable d’un projet de prévention des TMS pour l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (Anact). "On travaille dans des ateliers plus propres et plus clairs mais de nombreux secteurs autrefois artisanaux se sont industrialisés. Dans la restauration rapide, les tâches sont parcellisées. Dans le secteur du nettoyage, le personnel dispose d’un laps de temps très précis pour faire les lits en fonction de leur taille. Dans la logistique, secteur en fort développement, des salariés manipulent des paquets à des cadences dingues". Bref, de plus en plus de métiers font appel "à des travaux répétitifs avec de fortes contraintes de temps". Même dans les centres d’appels téléphoniques, il y a le bruit, des objectifs précis pour accrocher les interlocuteurs, des résultats chiffrés en temps réel, et des chefs dont le rôle est assez proche de celui du contremaître des ateliers industriels.

Conséquence, "depuis dix ans, nous observons une explosion des maladies liées au stress, à la vitesse et à la rigidité de l’organisation du travail", souligne François Daniellou. Bref, si Zola est aux oubliettes, "Taylor n’est pas mort, lâche le docteur Christian Verger, professeur de médecine du travail à l’université de Rennes 1. Avec la révolution informatique, on a le sentiment que la charge physique a baissé, remplacée par la charge mentale. Pourtant, bien des métiers restent soumis à des tâches monotones et répétitives. Qui plus est, les femmes sont les plus exposées : elles comptent pour 30 % des salariés français et 60 % des personnes affectées par une TMS". "Bien sûr, ce n’est pas du taylorisme au sens strict, précise Gérard Marie. Il y a 50 ans, on appliquait les méthodes de Taylor comme une fin en soi. Aujourd’hui on fixe des objectifs aux salariés. Et ce sont ces objectifs qui conduisent à la mise en place du taylorisme. Par exemple, auparavant sur une chaîne de montage on avait une certaine marge de manœuvre. Les salariés pouvaient stopper la machine, faire une pause, puis reprendre le travail. Désormais, les chaînes sont automatisés, c’est donc la machine qui impose sa cadence au salarié. Celui-ci n’a plus de marge de manœuvre."

Les Etats-Unis en exemple ?

Plusieurs spécialistes pointent la légèreté avec laquelle les syndicats, les employeurs et l’Etat français traitent la question des maladies professionnelles. Légèreté culturelle, d’abord. "A HEC ou Polytechnique, on forme de futurs dirigeants, mais on ne donne pas le moindre cours sur les conditions de travail et la qualité de vie au travail", déplore Philippe Askenazy, économiste-chercheur au CNRS. Légèreté financière, ensuite. "Le système de cotisations des employeurs est déresponsabilisant. Il est très largement mutualisé, et beaucoup de maladies professionnelles ne sont pas déclarées comme telles par les salariés". Le chercheur cite volontiers le cas des Etats-Unis, qui ont réussi, au milieu des années 90, à inverser une situation très dégradée en développant la sensibilisation des salariés et la formation des cadres. Et aussi, en instaurant un système de bonus-malus immédiat : en frappant au porte-feuille, les Etats-Unis sont parvenus à mobiliser les entreprises sur la question. "Aujourd’hui, la Belgique y vient et l’Espagne y réfléchit", souligne Philippe Askenazy.

Outre le enjeux humains et de santé publique, les spécialistes des maladies professionnelles assurent qu’il faut démontrer aux entreprises qu’elles ont tout à gagner à changer leur comportement, par exemple en travaillant sur l’ergonomie des postes de travail, voire sur l’organisation de la chaîne de production. "Dans certains cas, il vaut mieux donner un peu de marge au salarié, voire ajouter un poste supplémentaire sur une chaîne et/ou diminuer légèrement la cadence. Au bout du compte, l’entreprise verra la qualité de sa production s’améliorer, et il y aura moins de rebut", insiste Philippe Douillet. "Mais pour que cette politique soit efficace, il faut que le traitement des TMS soit considéré comme un objectif stratégique par les dirigeants ; qu’il y ait une démarche participative des salariés et de leur encadrement ; et que les entreprises fassent de la prévention durable, souligne François Daniellou. Les entreprises peuvent gagner de l’argent en faisant de l’ergonomie, mais à moyen terme. En revanche, notre approche est incompatible avec celle d’actionnaires qui voudraient des retours sur investissement à court terme".

[1] 491 millions d’euros en 2003 au titre des arrêts de travail, traitements et actes de chirurgie

[2] La France compte environ 17,5 millions de salariés.

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