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Matières premières : la Suisse se sucre sur le Sud

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Matières premières : la Suisse se sucre sur le Sud
(Un mineur au Congo. Crédit photo : Julien Harneis - Flickr)
 
Grâce à une fiscalité avantageuse, la Suisse est devenue une plaque tournante du négoce des matières premières. Mais les sociétés qui s'y installent pillent les ressources du Sud... qui ne voit jamais la couleur de l'argent.
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Imaginez un pays brassant des milliards de tonnes de matières premières alors qu’il est situé à des milliers de kilomètres de ces ressources. Imaginez un pays qui vend un tiers du pétrole mis sur le marché libre dans le monde, mais aussi un grain de café sur deux, un morceau de sucre sur deux et un kilo de céréales sur trois. Un mastodonte dites-vous ? Pas vraiment. En fait ce pays a les crocs aussi longs qu’il est petit. Et ce pays, c’est… la Suisse. Moins de huit millions d’habitants, un peu plus de 41 000 km2 enclavés au cœur de l’Europe… Qu’importe : la confédération helvétique n’en est pas moins devenue une plaque tournante, un leader dans le négoce des matières premières dans le monde, détrônant Londres, New York ou Singapour sur certains marchés. C’est la conclusion d’une enquête réalisée par l’association suisse la Déclaration de Berne (DB), intitulée « Swiss Trading SA. La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières » et publiée aux Éditions d’en bas.

Le bon air fiscal de la Suisse

Ce n’est plus un secret : il fait bon vivre en Suisse pour les comptes en banque. Mais le bon air qui souffle sur les rives du Lac Léman semble aussi plaire aux sociétés étrangères de négoce qui s’y pressent. Rien qu’à Genève, on en compterait 500 ! « La place suisse du négoce a pris son essor il y a une quinzaine d’années. Dans le domaine du pétrole, du charbon, du gaz, des minerais ou des ressources agricoles, les volumes des affaires ont été multipliés par 15 depuis 1998 », explique Olivier Longchamp, responsable fiscalité et finance à la DB et co-auteur de l’enquête.

Le terreau fertile à cette expansion ? « L’effondrement de l’Union soviétique a joué, les minerais du bloc de l’Est arrivant sur le marché mondial. La Suisse par laquelle, historiquement, passaient déjà les réseaux de commerce entre l’est et l’ouest, ou les opérations de type "sucre de Cuba contre aluminium russe", a ainsi vu son rôle dans le négoce se renforcer. Sans oublier que ce pays offre des avantages incomparables aux négociants », poursuit le spécialiste. En plus d’être une place financière puissante, la Suisse sert en effet aux multinationales qui y installent leur siège, bénéficiant d’un cocktail plutôt revigorant : fiscalité plus que complaisante, laxisme quant aux embargos internationaux, une loi sur le blanchiment d’argent ne s’appliquant pas au négoce… « Regardez la taille des tankers dans lesquels transitent les matières premières manipulées par ces sociétés. Avec de tels volumes, il est facile de blanchir de l’argent », assure-t-il.

Pillage des ressources naturelles et destruction de l’environnement

Résultats de ce chouchoutage financier : ces entreprises aux longs tentacules emmagasinent des bénéfices colossaux. La société Glencore, spécialisée dans les minerais, les produits agricoles et l’énergie a ainsi dévoilé une partie de son pactole lors de son entrée en bourse en 2011 : ses six directeurs se sont quand même partagé 23 milliards de dollars. Une somme qui, s’ils étaient un Etat, les placerait à la 94ème place du classement mondial par Produit intérieur brut (PIB). Parmi ces groupes boulimiques, du nom de Cargill, Xstrata, Vitol, Litasco ou Mercuria, certains accumulent un tel chiffre d’affaires qu’il en est supérieur au PIB des pays producteurs des matières premières qui les font vivre !

« Les pays producteurs sont des pays du Sud, ou émergents. 70 à 80 % des matières premières mondiales y sont présentes à l’état naturel. L’enrichissement au Nord est complètement lié à ces pays. De fait, leur développement est aussi en grande partie déterminé par le négoce international », explique Olivier Longchamp. Et c’est peu dire qu’il est « déterminé » : pillage des ressources naturelles, destruction de l’environnement, dégâts sanitaires et sociaux qui touchent des populations locales exploitées et contraintes de vivre au milieu des déchets toxiques des mines, etc. Mexique, Zambie, Congo : sans surprise, les meilleures affaires se signent dans les pays aux mains de régimes fragiles et instables, où la gouvernance fait défaut. « La constante, c’est que les populations n’ont pas voix au chapitre de la rente des matières premières. Les élites y sont par contre intéressées, engagées dans un jeu complexe où elles facilitent le maintien en place de ces multinationales, qui elles-mêmes favorisent en retour leur maintien en place politique. Les affaires de corruption sont évidentes », détaille Olivier Longchamp.

Combat pour la transparence contre « cécité partielle »

Comment régulariser ces transactions plus que déséquilibrées ? Des outils existent déjà, précise le spécialiste, à l’instar du processus de Kimberley sur les diamants ou l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI), médiatisée par la campagne « Publiez ce que vous payez », et lancée pour exiger le détail des sommes manipulées par les industries pétrolières, gazières et minières. Un combat pour la transparence qui se retrouve en filigrane de projets de réforme européens ou américains, comme le Dodd-Frank Act. Celui-ci vise à instaurer une meilleure régularisation des marchés financiers. Passé sous l’administration Obama, il devrait entrer en vigueur dans deux à trois ans.

Des initiatives européennes ? Oui, mais la Suisse ne fait pas partie de l’UE. « Ici, il n’y a strictement rien… Le rapport de force aura encore besoin de temps pour s’inverser. Une partie de la population est encore complaisante vis-à-vis de ce système, car elle profite des miettes qui tombent de la table du négoce et préfère encore afficher une cécité partielle. D’autres, par contre, commencent à souffrir de la situation, du fait du déménagement continu des négociants en Suisse, faisant grimper taxes et loyers. Quand aux politiques, le commerce des matières premières s’est développé avec une telle rapidité et si discrètement qu’ils n’ont pas encore conscience des enjeux. Nous sommes au début d’un long processus, qui pourrait prendre encore dix ans », conclut Olivier Longchamp.

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Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

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  • A mettre en parallèle avec les 0,39 euro (26 roupies), le seuil de pauvreté selon le gouvernement indien, qui a envisagé de ne pas verser d’aides sociales aux personnes gagnant plus de 26 roupies par jour.

    Nous sommes dans un monde complètement fou !

    10.10 à 10h31 - Répondre - Alerter
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