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25-11-2015
Mots clés
Océans
Climat
Asie Et Océanie
Portrait

Marita Davies, la maison mer

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Marita Davies, la maison mer
(Crédit photo~: Sarah Anderson pour « Terra eco »)
 
L’écrivaine raconte, dans un livre pour enfants, le quotidien de sa mère kiribatienne, qui construit, inlassablement, un mur devant sa maison pour échapper à la montée des eaux.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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C’est un édifice artisanal de pierres et de béton, haut de 1,70 mètre, qui nargue les vagues furieuses. Un barrage entre le Pacifique et les deux maisons de la famille Davies, construites à Teoarereke, sur l’atoll de Tarawa-Sud, la capitale des Kiribati. Cette sentinelle brise-vagues est « devenue un membre de notre famille, précise Marita Davies, avec une note d’amusement dans sa voix chaude. Quand Teaote, ma mère, est aux Kiribati, je l’appelle pour lui demander comment va la digue. »

De père australien et de mère kiribatienne, la jeune écrivaine-blogueuse vit à Melbourne, en Australie, mais a passé toutes ses vacances scolaires à Teoarereke. En lieu et place des châteaux de sable, Marita Davies, aujourd’hui âgée de 30 ans, se remémore ces expéditions en 4x4 pour aller chercher des sacs de ciment et bétonner la digue. Sa mère, elle, consacre plusieurs mois par an aux soins quotidiens du mur. Et, quand la famille rentre à Melbourne, celui-ci n’est jamais loin. Il s’invite, autour du dîner, dans les conversations familiales. Les jours de grandes marées, Teaote Davies garde les yeux rivés sur les sites de prévision de météo marine, en priant pour que l’édifice résiste aux assauts de l’océan. « On a déjà atteint des marées de 2,98 mètres. Certes, cela n’arrive pas tous les mois, mais ça m’inquiète beaucoup, car l’atoll de Tarawa-Sud culmine à 3 mètres d’altitude seulement », explique Marita Davies. La jeune femme se souvient de cette nuit de très grande marée, en 2011. Les vagues rugissantes donnaient des coups de boutoir contre le mur, à deux mètres de la maison. « Ma chambre était située à quatre mètres de l’océan et j’avais l’impression de partir à la dérive, dans mon lit, seule, perdue au milieu du Pacifique. J’ai eu la peur de ma vie. Je suis allée me réfugier aux côtés de ma grand-mère, dans la cuisine, la pièce la plus éloignée de l’océan. Là, je ne subissais plus ce bruit terrifiant des vagues. »

Un éternel recommencement qui paye

Teaote Davies, aujourd’hui âgée de 54 ans, s’est improvisée ingénieuse en travaux publics en 1992, quand les vagues ont commencé à éclabousser trop souvent sa véranda. Les débuts furent modestes. A l’époque, le mur n’était qu’une petite rambarde basse. Mais, depuis, la mère de famille roule ses pierres de plus en plus haut, pour mieux les voir dévaler la digue, quasiment à chaque nouvelle lune et pleine lune, deux fois par mois. Un éternel recommencement qui paye, car les deux maisons n’ont encore jamais été inondées. Les vagues crachent leur écume par-dessus le mur, mais Teaote Davies écope la véranda et repart vaillamment combler les fissures de sa digue.

De ce quotidien de Sisyphe, Marita Davies a tiré un livre illustré, destiné aux enfants de 5 à 10 ans, Teaote and the Wall (Teaote et le mur). « Les Kiribati risquent d’être submergées par l’océan d’ici à cinquante ans. Et le reste du monde ne sait même pas que ce pays existe, tellement il est microscopique. Donc l’idée est de m’adresser aux enfants parce qu’ils posent des questions. Les parents doivent ensuite faire des recherches pour leur répondre. C’est le meilleur moyen de toucher le plus de gens possible pour créer une prise de conscience. »

La houle virtuelle de Twitter a emporté cet opus jusqu’en France, où l’institutrice Marie Lenoir a eu vent de la campagne de financement participatif lancée par Marita Davies pour imprimer le livre. C’est ainsi que les élèves de CE1 d’une école de Saumur (Maine-et-Loire) l’ont étudié. « Ils savent pourquoi le niveau de l’océan augmente et ont donc bien suivi l’histoire de Teaote. Certains m’ont dit : “ Mais ils vont mourir noyés ! ”, d’autres : “ Mais alors Teaote va émigrer ? ” », raconte la maîtresse. Beaucoup de parents ont, eux, découvert l’existence des Kiribati et de la montée des eaux à travers le spectacle dansé par leurs enfants, inspiré du livre de Marita Davies. Un groupe d’élèves figurait les vagues menaçantes, tandis qu’un autre empilait des briques en plastique pour fabriquer une digue. De retour à la maison, certains enfants ont commencé à admonester leurs parents quand ils allumaient la climatisation. « L’un d’eux a décrété que dorénavant, il irait à l’école en trottinette », sourit l’institutrice.

« Pas de catéchisme climatique »

A 7 ans, ces enfants maîtrisent des concepts qui laissent perplexes beaucoup de parents. Mais ce n’était pas l’effet voulu par Marita Davies. Dans son livre, le coupable n’est jamais désigné. L’expression « changement climatique » n’apparaît pas, sauf en petits caractères, dans le paragraphe de présentation de l’auteure. « Je ne voulais pas faire du catéchisme climatique, juste raconter aux enfants l’histoire de ma mère, pour qu’ils puissent s’identifier à sa lutte quotidienne. Ce terme de changement climatique est trop abstrait. La plupart des enfants ne savent pas ce que c’est, et moi non plus je ne comprends pas toujours bien comment ça marche ! »

D’ailleurs, aucun scientifique ne se risquerait à ce raccourci : accuser le changement climatique de causer le recul de la plage sur le pas de la porte de Teaote Davies. Depuis un siècle, le niveau de l’océan a augmenté, certes. « Mais sur un atoll, les côtes fluctuent naturellement. Dans certains endroits, elles reculent, dans d’autres, elles avancent », précise Scott Smithers, chercheur australien en géomorphologie littorale. Et quand le courant marin El Niño entre dans la danse, les Kiribati essuient de très grandes marées. A Tarawa-Sud, bien d’autres facteurs accroissent les risques d’inondation, à commencer par la densité démographique, qui atteint celle de Hongkong. Faute d’espace, beaucoup de Kiribatiens, comme la famille Davies, construisent tout près de l’océan, dans des endroits où leurs ancêtres ne se seraient jamais risqués. Comble de l’ironie, l’érection anarchique des digues par les familles a accéléré l’érosion du littoral. Teaote Davies ignore que son héros, le mur qui protège sa maison, est aussi son pire ennemi. Normalement, les vagues apportent du sable sur la plage, ce qui permet à l’atoll de s’élever, et peut-être, selon certains scientifiques, de compenser ainsi l’élévation du niveau de l’océan. « Mais, contrariées par cet obstacle, les vagues dissipent leur énergie au pied du mur et elles emportent le sable qui s’y trouvait », explique Scott Smithers. « C’est vrai que, depuis que nous avons construit la digue, la plage a disparu devant le mur. Mais pour ma mère, construire un rempart contre les vagues, c’était un réflexe instinctif », note Marita Davies.

Désormais, c’est certain, le mur restera un membre de la famille, à vie. A moins, dans un geste de bluff, de l’abattre et de laisser les vagues inonder les maisons, pour permettre à la plage de croître à nouveau. Une situation absurde, qui impliquerait l’abandon de la concession familiale. « Nous ne savons pas comment seront nos terres dans cinq ans, mais ma mère va continuer à se battre. » En attendant, Teaote Davies est vouée à demeurer l’esclave de son mur, et à le construire de plus en plus haut. Elle peut gagner cette course verticale contre l’océan, quitte à vivre dans une île-prison. Quoi qu’elle fasse, elle est coincée entre deux absurdités. Mais, comme dit Marita Davies, « maman est de taille à soulever des rochers ». Il faut imaginer Sisyphe heureux. —


- Le site de Teaote and the Wall

Marita Davies en dates
- 1985 Naissance à Sale (Australie)
- 2007 Obtient sa licence d’arts créatifs
- 2010 Créé son blog sur les Kiribati
- 2015 Publication de Teaote and the Wall

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