publicité
haut
Accueil du site > Actu > Green People > Luis Sepúlveda, sur la route de la mémoire
30-08-2012
Mots clés
Société
France
Amérique Latine

Luis Sepúlveda, sur la route de la mémoire

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
Luis Sepúlveda, sur la route de la mémoire
(Crédit photo : Daniel Mordzinski)
 
Passionné de voyages, l’écrivain chilien raconte la Patagonie avec nostalgie et justesse dans son dernier ouvrage. Celui qui a combattu le régime de Pinochet dans sa jeunesse dénonce aujourd’hui la privatisation de cette terre, anciennement vierge mais toujours riche d’histoires.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
SUR LE MÊME SUJET

Ce jour-là, Paris est gris. Comme Luis. Mélancolique et doux à la fois. Trois mots échangés et l’on quitte en deux sonorités le patio où coule une fontaine pour atterrir dans l’univers de l’écrivain. « Ici, là où commence le boulevard Saint-Germain, il y avait un bar. La Petite Périgourdine. J’aimais ce lieu pour deux raisons. Je m’y réunissais avec Cortázar et Soriano (1). Et puis, c’était la dernière escale des jeunes militants formés au combat en Allemagne de l’Est ou en Algérie, avant de quitter l’Europe et regagner le Chili combattre le régime de Pinochet. Dans ce bar, celui que l’on appelait Comandante José Miguel, assassiné plus tard par la dictature, destinait ces mots à ceux qui s’apprêtaient à partir : “ Observe les quatre platanes devant toi en sortant du bar. Et compte doucement en marchant. Un. Deux. Trois. Si tu arrives à quatre sans douter, alors pars sans te retourner combattre pour ce en quoi tu crois. ” » L’auteur des Roses d’Atacama suspend son élan, tousse de trop fumer et conclut : « La Petite Périgourdine, aujourd’hui, n’est qu’une horrible pizzeria et le quatrième arbre a été coupé. »

Luis Sepúlveda est né au Chili, sur le chemin menant de Santiago à Ovalle, dans un hôtel ayant pour nom Chile, le 4 octobre 1949. Il milite très jeune au sein des Jeunesses communistes et se lance dans des études de lettres. En 1973, année du coup d’Etat contre Salvador Allende, il est jeté en prison. « J’ai beaucoup appris à Temuco (où étaient enfermés les opposants politiques, ndlr), notamment le prix inestimable de la solidarité. »

Peine commuée en huit ans d’exil

Il est libéré deux ans et demi plus tard grâce à Amnesty International et sa peine a été commuée en huit ans d’exil en Suède… où il ne se rendra jamais. Luis descend de l’avion à l’escale de Buenos Aires et entame un long périple en Amérique latine, qui le mène de la Bolivie au Nicaragua en passant par le Pérou, l’Equateur et la Colombie. « Ma vie jusqu’à aujourd’hui est une vie de nomade. C’est de ces découvertes que je me nourris », raconte l’incorrigible voyageur. Mais la nature aussi alimente Luis Sepúlveda, en profondeur.

En 1978, il l’approche au plus près lors d’un voyage d’études au cœur de la tribu des Shuars, en Amazonie équatorienne. Il y observe l’impact de la colonisation. « J’y ai appris le lien entre l’homme et la biodiversité. En Europe, nous ne faisons que nous “ servir d’elle ” quand, en Patagonie ou en Amazonie, elle ne fait qu’une avec les populations. » Au début des années 1980, il s’engage aux côtés de Greenpeace et embarque sur l’un de ses bateaux protester contre la chasse à la baleine. Trente ans plus tard, il milite au sein de l’ONG chilienne Patagonia sin represas (Patagonie sans barrages) afin de protéger ces terres australes dont il se sent si proche. « Il y a urgence. Les modes de vie, là-bas, ont changé avec l’irruption de la propriété privée, quand les Ted Turner ou les Benetton ont débarqué, puis, avec eux, les multinationales. On a cessé de pouvoir traverser ces territoires sans ne rien contourner d’autre que les obstacles du paysage. Du jour au lendemain, les barbelés ont blessé cette terre vierge. »

Cette terre vierge, il lui rend hommage dans son dernier ouvrage, Dernières nouvelles du Sud. Ce recueil joliment nostalgique est une chronique au pluriel. On y croise sans crier gare le lutin d’El Bolsón ou Doña Delia Rivera de Cossio, la maraîchère-thérapeuthe. Tandis qu’au loin siffle une dernière fois la sirène du Patagonia Express. « C’est simple, nous sommes devenus dépositaires des cent dernières années de la Patagonie. Elle témoigne elle-même dans ce livre à travers sa culture et sa population », explique le journaliste-écrivain. Comme dans un inventaire de ce qui s’efface doucement de la mémoire collective. « Une écriture à trois voix : le texte, la photographie et notre ressenti commun », ajoute son acolyte Daniel Mordzinski, photographe argentin réfugié à Paris sous la dictature. La profonde amitié des deux hommes a enfanté trois voyages, de 1996 à 2002, en Patagonie. Anne-Marie Métailié, l’éditrice-amie-confidente, soupire : « Le contrat était signé depuis 1997. J’ai seulement attendu quinze ans le manuscrit. »

Mais Sepúlveda est comme ça. Patient pour attraper au vol la phrase, l’histoire ou l’expression juste. Il déteste d’ailleurs, lui qui vit à Gijón, en Espagne, à 200 mètres de l’Atlantique, cette urgence des grandes métropoles. « Ce n’est pas tant le fait d’aller vite qui me désespère, c’est de ne pas savoir pourquoi. » Il dénonce l’aveuglement de nos sociétés dont « les individus ne savent plus s’ils préfèrent le statut de citoyen ou celui de consommateur ». Alors Luis prend son temps. La réussite phénoménale de son premier roman, Le vieux qui lisait des romans d’amour, publié en 1992 et traduit en 35 langues, lui a offert ce privilège. Daniel Mordzinski acquiesce : « Quand nous sommes allés en Patagonie, nous partions pour parcourir des milliers de kilomètres. En réalité, nous n’arrivions pas à dépasser la centaine, car les histoires et les hommes nous retenaient toujours. »

« La révolution de l’imaginaire »

Alors peu importe si le style de Sepúlveda est parfois jugé « trop populaire » par ses détracteurs. « Ses romans sont “ lisibles ”, défend son éditrice Anne-Marie Métailié. Et il faut être compliqué pour être considéré comme un intellectuel. » « Mais, poursuit-elle, je retiens de lui, à travers ses textes, hormis ses capacités extraordinaires de styliste qui mettent au défi les traducteurs, sa capacité à éveiller ce qu’il y a de plus humain et de fraternel. »

Dans le patio du boulevard Saint-Michel, Luis Sepúlveda semble suspendre le temps. Celui qui « marche les oreilles grandes ouvertes », dit espérer « la révolution de l’imaginaire », qui conduira l’humanité à « autre chose que ce monde dont personne ne veut ». Allemand d’adoption – l’Etat chilien l’a déchu de sa nationalité et ne la lui a jamais rendue –, Luis Sepúlveda patiente. Sans rancune. —

(1) Oswaldo Soriano (1943-1997) et Julio Cortázar (1914-1984) comptent parmi les plus grands écrivains argentins.


En dates

4 octobre 1949 Naît à Ovalle, au Chili

1975 Est condamné à 28 ans de prison par le régime d’Augusto Pinochet

1977 S’engage avec les Sandinistes de la brigade Bolívar au Nicaragua

1978 Etudie la colonisation chez les Amérindiens Shuars en Equateur

1982 Rejoint Greenpeace

1992 Publie Le vieux qui lisait des romans d’amour (Seuil, 1997), vendu à 18 millions d’exemplaires

2012 Publie Dernières nouvelles du Sud (Métailié), avec Daniel Mordzinski

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter

Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas