C’est un dilemme de vaudeville. D’un côté, il y a le personnage de la vieille fille rabourgie qui n’a jamais trouvé d’homme pour lui passer la bague au doigt. De l’autre, sa sœur qui est affublée d’un mari buveur, coureur et complètement idiot. Question : vaut-il mieux souffrir de la solitude comme la vieille fille, ou être mal accompagnée comme sa sœur ?
C’est ce dilemme qui hante le commerce équitable en France. D’un côté, Artisans du Monde et leurs affidés ouvrent des boutiques dans leur coin, loin de la grande distribution, se condamnant à demeurer marginaux. De l’autre, Max Havelaar choisit de labelliser des produits qui iront occuper les gondoles des supermarchés pour toucher un plus large public. Ou Alter Eco qui est devenue la première marque française de commerce équitable vendue en supermarché Qui a raison ? A première vue, le second camp, qui, économiquement parlant, a déjà remporté la partie.
Philosophie contraire
Mais le débat n’est pas clos pour autant. Et le mérite du livre du journaliste Frédéric Karpyta est de le rouvrir en faisant œuvre de pédagogie et sans tomber dans les habituels écueils idéologiques – la lutte du bien contre le mal. Avec cette question fondamentale : lorsqu’il écoule de larges volumes de marchandises, le commerce équitable peut-il le rester ? Là où les boutiques indépendantes tablent sur des circuits courts avec le Sud et sont capables de garantir l’origine de leurs produits et des conditions de travail décentes, c’est, semble-t-il, beaucoup plus difficile de s’y retrouver chez Max Havelaar. Et que dire des grandes enseignes comme Leclerc, qui s’y mettent ! Ces dernières sont plutôt habituées aux importateurs en gros, sans relations directes avec les producteurs – ce qui est contraire à la philosophie même de l’équitable.Mais justement, cette philosophie ne devrait-elle pas évoluer un brin pour que l’équitable continue à se démocratiser ? A chacun sa conviction. Frédéric Karpyta penche, lui, plutôt pour la réponse négative, mais sans diabolisation et en s’appuyant sur un solide travail d’enquête. Gare quand même au petit coup de blues pour ceux qui espèrent qu’un jour, 100 % du commerce mondial sera équitable. Il semblerait que ce mode d’échange humain et délicat s’accommode mal du gigantisme des volumes de la consommation planétaire. Ceci étant, certains disent la même chose de la démocratie et elle ne cesse heureusement d’avancer.
La Face cachée du commerce équitable, de Frederic Karpyta, Bourin (2009), 280 p., 17 euros.
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