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Lester Brown : « Nous avons besoin d’un leadership américain »

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SÉRIE. Ils construisent le monde de demain 3/4 - Depuis trente-cinq ans, Lester Brown observe à la loupe les problèmes environnementaux mondiaux. Aujourd’hui, pour sauver la planète, le fondateur du Earth Policy Institute appelle les Etats-Unis à une mobilisation générale semblable à celle de la Deuxième Guerre mondiale.
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On l’appelle le pionnier. Car en matière de développement durable, Lester Brown a inventé le combat bien avant que la société et son cortège d’experts n’entrevoient le danger. Cultivateur de tomates dans les années 1950, l’Américain se familiarise d’abord au problème de la surexploitation agricole. Fondateur du Worldwatch Institute puis, en 2001, du Earth Policy Institute, dont il est aujourd’hui président, ce septuagénaire dénonce sans relâche une surexploitation du capital terrestre qui risque de virer à la bulle économique et d’exploser à tout moment. Et peint le portrait d’un monde plus juste et respectueux de l’environnement. Interview avec l’un des grands-pères de l’écologie.

Terra eco. Si vous possédiez une baguette magique pour améliorer le monde en 2030, que feriez-vous ?

Lester Brown. Je commencerais par avancer la date à 2020. Tout simplement parce que les choses doivent évoluer rapidement. Et si je devais ne changer qu’une chose, je restructurerais les systèmes de taxation dans le monde entier. Je baisserais l’impôt sur le revenu pour contrebalancer l’introduction d’une taxe carbone. Cette réforme pourrait se faire graduellement au cours des onze années menant à 2020. Et elle aurait pour objectif d’intégrer le coût réel de la consommation d’énergie fossile. Aujourd’hui, quand vous achetez un litre d’essence, vous payez l’extraction, le transport, le service à la pompe, mais vous ne payez pas le système respiratoire de celui qui est malade à cause de la pollution. Et vous ne payez pas non plus le coût du changement climatique.

Terra eco. En décembre se jouera à Copenhague l’avenir climatique de la planète. A quoi pourrait ressembler un sommet réussi ?

L. B. Il y a deux choses bien distinctes. Ce qui devrait être fait et ce qui peut raisonnablement être fait. On doit pouvoir s’engager en faveur d’une réduction des émissions de 40 % en 2020. Mais à mesure que nous mettons en place les pièces du puzzle, nous nous rendons compte qu’il faudrait en fait les réduire de 80 % en 2020. Et ce, au niveau mondial ! Pour les pays en voie de développement, cela n’a aucun sens d’investir dans des centrales à charbon qui devront être fermées dans quelques années à cause du changement climatique.

Terra eco. A votre avis, dans quel secteur doit-on prioritairement agir ?

L. B. Comme je viens de le dire, la première chose à faire est d’en finir avec les centrales à charbon. Aux Etats-Unis, le processus est déjà en cours. Cent une centrales à charbon ont été fermées depuis 2001. Si vous demandez aux Américains quelle est leur source d’énergie favorite, le charbon ne remporte que 3 % des voix. C’est une énergie des années 1970, pas une énergie d’aujourd’hui. La deuxième étape pourrait concerner le parc automobile. Nous savons aujourd’hui qu’un moteur électrique est trois fois plus efficace qu’un moteur essence. Et un gallon d’essence [3,78 litres] coûte à peu près 3 dollars [2 euros]. Tandis que l’équivalent en électricité provenant d’une source éolienne coûte 87 cents [59 centimes d’euro]. Je ne crois pas que les gens réalisent à quel point cette énergie est peu chère. Quand ils s’en apercevront, la voiture électrique leur apparaîtra soudain beaucoup plus intéressante.

Terra eco. Pensez-vous qu’un changement rapide soit possible ?

L. B. Il l’a été pendant la Deuxième Guerre mondiale. A Pearl Harbor, en décembre 1941, les Etats-Unis ont subi l’attaque des Japonais et sont entrés dans le conflit mondial. Et en une seule année, ils sont parvenus à restructurer complètement leur industrie. Dès 1942, ils construisaient des tanks, des hélicoptères de combat, etc. Pour concentrer leur effort, ils ont même interdit la vente d’automobiles. De 1942 à 1944, pas une voiture n’a été vendue aux Etats-Unis ! Et c’est ainsi qu’ils ont atteint le but qu’ils s’étaient fixé et l’ont même dépassé. Au début de la guerre, ils avaient prévu de construire 60 000 avions. Ils en ont réalisé plus de 200 000. La mobilisation a été extraordinaire parce que les enjeux étaient très importants. Il s’agissait de sauver la démocratie. Aujourd’hui, la situation est similaire. Mais cette fois-ci, c’est la civilisation tout entière qui est menacée. Il ne s’agit pas de construire des armes, mais de mobiliser la société pour accélérer la transition énergétique et passer du pétrole, du charbon, du gaz naturel aux énergies éolienne, solaire et géothermique. Décroissance, capitalisme vert, peu importe comment se nomme ce modèle de société au bout du compte. Ce qui m’intéresse, c’est que nous parvenions à un modèle économique qui ne dérègle pas le climat et qui ne détruise pas les systèmes naturels qui le soutiennent.

Terra eco. Est-il vraiment possible de convaincre le monde entier de la nécessité d’une telle mobilisation ?

L. B. Il faut d’abord que les gens mesurent l’impact du changement climatique. Qu’ils comprennent que dans les régions côtières ou les pays d’Asie, cela peut devenir le chaos total au cours du siècle actuel. Prenez les logements, par exemple. Sur les côtes, avec les problèmes d’inondation, les prix risquent de chuter rapidement tandis qu’à l’intérieur des terres, ils monteront en flèche. Comment répondrons-nous à cela ? De la même manière, il faut que les gens réalisent bien que lorsqu’on parle de fonte des glaces, il ne s’agit pas d’un phénomène lointain mais d’un processus qui a un impact direct sur l’agriculture. Prenez les glaciers de l’Himalaya. Ils alimentent les grosses rivières d’Asie qui irriguent les cultures de blé ou de riz. Or, celles-ci s’exportent aux quatre coins du monde.

Terra eco. Mais n’est-il pas déjà trop tard ?

L. B. En 1942, il était déjà très tard quand la mobilisation a commencé. L’attaque sur Pearl Harbor a eu lieu. Le camp ennemi gagnait en confiance. Le Japon pensait qu’il pouvait contrôler l’Asie, puis continuer son offensive vers les Etats-Unis. L’Allemagne se disait qu’elle pouvait s’offrir l’Europe. Mais l’effort et la mobilisation ont été extraordinaires. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une réponse similaire de la part des Etats-Unis. Nous avons besoin d’un leadership américain comme nous avions à l’époque besoin d’un effort armé américain.

Terra eco. Pourquoi reviendrait-il aux Etats-Unis de jouer ce rôle de leader dans la lutte contre le réchauffement ?

L. B. Parce que nous avons l’envergure et les moyens pour le faire. Nous sommes la plus grosse économie du monde, et nous sommes aussi l’un des plus gros pollueurs – même si la Chine admet aujourd’hui qu’elle émet davantage que nous. Nous avons également les ressources scientifiques. Si nous ne prenons pas la tête d’un tel mouvement, je ne suis pas sûr que le monde parvienne à atteindre les objectifs nécessaires. Et même si nous atteignons cette configuration idéale, je ne suis pas sûr que nous y parvenions… Mais pour être leader, il faudrait d’abord que les Etats-Unis s’érigent en modèle.

Terra eco. Et le pays est loin du compte, non ?

L. B. Les gens n’arrêtent pas de répéter que les émissions américaines sont en progression depuis un siècle. Mais ils ne voient pas que le train change aujourd’hui de direction. Le pays est déjà parvenu à réduire ses émissions de 9 % en deux ans ! Et tout n’a pas encore été pris en compte dans ce pourcentage. Une vingtaine de centrales à charbon sont aujourd’hui sur le point d’être fermées. Sur les routes, 14 millions de voitures ont été envoyées à la casse l’an passé, tandis que seulement 10 millions de nouveaux véhicules ont été achetés. Cela fait 4 millions de voitures en moins. C’est déjà pas mal, et ça va continuer. Les voitures ont jusqu’à 2016 pour améliorer leur efficacité énergétique de 42 % et les camions légers de 25 %. Il y a d’autres progrès ailleurs. L’administration Obama a enfin obligé le département de l’Energie à appliquer les lois sur les consommations énergétiques dans l’électroménager. Elle a aussi banni les chantiers d’extraction du charbon en Virginie de l’Ouest. Là, les industriels emploient des kilos d’explosif pour faire sauter le sommet des montages et accéder au charbon. Je pourrais continuer la liste longtemps. Mais les gens ne se rendent pas compte de tous ces progrès. C’est difficile de suivre tout ça au jour le jour.

Terra eco. Ne pourrait-on pas imaginer la création d’une institution mondiale de type Nations unies chargée de surveiller que les pays respectent bien leurs objectifs ?

L. B. Peut-être. Mais il faudrait qu’une telle initiative vienne des pays eux-mêmes. Et pour le moment, il me semble que ce serait trop difficile politiquement. Ce qui se passe actuellement sur le plan international n’est pas vraiment à mettre au compte des gouvernements mais plutôt des grandes entreprises. C’est le cas par exemple du grand plan solaire en Afrique du Nord, qui doit servir à alimenter l’Europe en énergie. C’est un excellent projet. Mais derrière lui, il y a des industriels, comme l’espagnol Abengoa, des assureurs, tels Munich Re, ou encore de grandes banques. Pour lutter efficacement contre le changement climatique à l’échelle mondiale, il faut d’abord que des pays clés comme les Etats-Unis prennent le leadership. Les autres suivront. 

Illustrations : Julien Pacaud


UN « PLAN B » POUR UNE NOUVELLE GUERRE

Il y eut d’abord le World Watch Institute, un organisme chargé de suivre de près les impacts du réchauffement climatique sur l’environnement, livrant, chaque année, L’Etat du monde, un rapport de référence. Lester Brown en fut le président pendant vingt-six ans. Mais de l’observation à l’action, il y avait un pas, que l’Américain a franchi en 2001 en fondant le Earth Policy Institute. Celui-là s’attèle à produire des plans d’action « pour aller d’ici à là ». Ici, le plan A : un monde grignotant pas à pas ses ressources jusqu’à l’autodestruction. Là, le plan B : une société plus respectueuse de l’environnement et vouée à durer. Et pour aller de l’un à l’autre, Lester Brown appelle à une mobilisation sur tous les fronts — industriel, énergétique, des transports... — ressemblant à s’y méprendre à un nouvel « effort de guerre ».

LESTER BROWN EN 5 DATES

1934 naissance à Bridgeton (New Jersey).

1955 séjourne six mois en Inde rurale où il découvre les problèmes de surpopulation et d’alimentation.

1964 devient conseiller auprès du secrétaire d’Etat américain à l’Agriculture, spécialisé sur l’agriculture étrangère.

1974 fonde le Worldwatch Institute, première organisation vouée à l’analyse des problèmes environnementaux à l’échelle mondiale.

2001 crée le Earth Policy Institute.

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