Terra eco : Pourquoi les pays du Sud sont-ils aussi conciliants dans ces négociations ?
Monica Araya : Je crois qu’il y a quatre grands points de rupture qui expliquent comment nous en sommes arrivés là. D’abord, la grande marche pour le climat, le 21 septembre 2014. Elle s’est déroulée dans le monde entier – 2 500 manifestations dans 136 pays –, mais notamment aux Etats-Unis, où plusieurs centaines de milliers de personnes avaient défilé. Ces personnes, c’était d’abord des citoyens. Le deuxième point, ce fut l’accord historique sur le climat conclu entre la Chine et les Etats Unis, le 12 novembre 2014, dans lequel les deux pays annonçaient conjointement leurs ambitions de baisse de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Et puis j’ajouterai deux points. L’un, positif, que je vois partout où je me rends et qui montre à quel point des millions de personnes, désormais, veulent s’approprier leur production d’énergie sans passer par des intermédiaires. Il y a une marche vers l’autonomisation de la production d’électricité, et c’est une révolution. L’autre point est difficile mais important dans ce tournant que nous avons vécu ces derniers mois : il s’agit de la recrudescence à la fois en fréquence et en intensité des catastrophes climatiques, qui nous pousse à agir pour enrayer les changements climatiques.
Ces quatre arguments, selon vous, expliquent le silence du Sud face au Nord ?
Ce n’est pas aussi simple. D’abord, il y a Sud et Sud. Où mettez-vous le Brésil ou l’Inde, par exemple ? Et je ne dirais pas que les petits sont silencieux. Ce n’est pas vrai. Regardez ce qui se passe ici à Paris. Il y a trois mois, je n’aurais pas imaginé une seconde que les 1,5°C seraient dans le texte final. Et ils vont y être, croyez-moi, sinon vous verrez tous les petits pays quitter les négociations un à un en file indienne. Je dirais donc que, pour la première fois dans l’histoire des négociations climatiques, les petits pays du Sud, comme les autres, se sont sentis à la fois écoutés et investis. C’est une avancée majeure. Nous sommes vulnérables, mais nous ne sommes pas incapables !
On sent chez vous beaucoup de confiance. Pour vous, tous les pays ont voix au chapitre et l’accord va donc se faire. C’est une victoire avant l’heure ?
Encore une fois, je crois que nous sommes désormais engagés sur un nouveau chemin. Mais l’erreur serait de réduire l’accord de Paris à un simple texte. Je crois que la portée de cette conférence est bien plus vaste. D’accord, les engagements des Etats sont insuffisants, c’est indéniable et la société civile, les ONG, ont raison de déplorer cette insuffisance, mais la pertinence des plans climatiques dans les pays va bien au-delà de la seule responsabilité des Etats. A partir du 1er janvier, chaque pays doit lancer des politiques de changement à tous les niveaux. C’est cela, à des degrés divers, bien entendu, qui va se mettre en place : des coalitions du changement, réunissant les secteurs économiques, les citoyens, les Etats… Si ce n’est pas le cas, alors nous échouerons, car nous serons à la merci du premier changement politique venu. La force du changement doit être plus importante que celle des aléas politiques internes à chaque pays. Car sans cela, le cadre de négociations de l’ONU à l’intérieur duquel se déroulent les Conférences des parties sera inopérant. Nous avons donc, tous, et vous aussi les médias, un rôle à assumer.
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