Faire un pas devant l’autre ? En Occident, rien de plus élémentaire. Dans 80 pays du monde, ce pas peut priver d’une jambe, d’un bras, voire de la vie. Un coupable, ou plutôt 110 millions de coupables dans le monde : les mines antipersonnel, les seules armes déclenchées par leurs propres victimes. Ce fléau tue ou mutile chaque année entre 15000 et 20000 personnes. 80% d’entre elles sont des civils, un tiers des enfants.
- Outre les Etats-Unis et Cuba, 13 pays - la plupart situés en Asie du Sud-Est - et au Moyen-Orient, concentrent la production de mines antipersonnel. Crédit : Landmine Monitor / TE
Justement, l’administration Bush vient de faire un pas. En arrière. En février dernier, elle a dévoilé sa nouvelle politique concernant les mines antipersonnel : jamais les Etats-Unis ne signeront le traité d’interdiction d’Ottawa. Elaboré en 1997, entré en vigueur en 1999, il a été signé par 152 pays, dont la France. Ce texte prévoit l’arrêt de la production et de l’utilisation de ces armes, ainsi que la destruction des stocks existants.
Sous Clinton, les Américains avaient promis qu’ils rejoindraient les signataires d’ici à 2006... si des solutions alternatives pouvaient être trouvées. Virage à 180 degrés pour les faucons de George W. Bush, qui ont déclaré qu’il n’est ni possible, ni souhaitable de respecter cette date butoir. En revanche, c’est promis, en 2010 les Etats-Unis n’utiliseront ni ne produiront plus de mines antipersonnel persistantes (dumb mines ou "mines stupides")... quand l’industrie aura mis au point un produit de substitution : les smart mines, ou "mines intelligentes" (sic). Près d’1,1 milliard de dollars sont affectés à ce programme sur la période 2003-2009.
Une mine intelligente est une mine qui tue
Ces mines ne sont actives que 90 jours environ. Puis elles s’autoneutralisent ou s’autodétruisent. Ce bijou de technologie a un coût de production bien supérieur aux modèles classiques. "Un coût prohibitif pour beaucoup de pays utilisateurs, explique Bruno Barillot, de l’Observatoire des Transferts d’Armements. Cela devrait freiner la prolifération de ce type d’armes." "C’est peut-être aussi la possibilité pour les Américains de trouver de nouveaux marchés pour exporter leurs modèles high-tech", rétorque Jean-Paul Hébert, spécialiste des questions d’armement à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.Surtout, des études militaires montrent que 2 à 10% de ces engins n’activent pas leur système d’autodestruction ou ne s’arment pas correctement. "L’effet est donc le même, affirme Anne Villeneuve, d’Handicap International, une des ONG à l’origine du Traité d’Ottawa. Comment le paysan peut-il savoir si les mines dans son champ sont neutralisées ? Le démineur, lui, ne va pas prendre de risques et va agir comme si la mine était encore active. Au-delà du coût humain, le coût économique est énorme." Selon les estimations, si une mine classique vaut 1 dollar, sa neutralisation en coûte 1000.
Le paradoxe de Washington
Paradoxe, mauvais élève des nations dites développées - avec la Russie et la Chine notamment -, les Etats-Unis sont aussi le principal financeur d’actions contre les mines, de déminage ou d’aide aux victimes. 63,7 millions des 309 millions de dollars qui y ont été consacrés en 2002 proviennent de l’Oncle Sam (la France est 14e avec 3,6 millions de dollars), qui promet de donner encore plus dans le futur. "Une manière de s’acheter une bonne conduite", lâche Anne Villeneuve. Cet effort louable ne doit pas faire oublier l’impossibilité presque culturelle des Etats-Unis à "vouloir se soumettre à la loi internationale", analyse Jean-Paul Hébert. Un récent sondage montrait pourtant que 80% des Américains étaient favorables à l’adhésion de leur pays au Traité d’Ottawa. Manifestement, tous n’ont pas voté pour Kerry.Liens de l’article :
Département américain de la Défense
International Campaign to Ban Landmines
Un état des lieux de l’"industrie" des mines, dressé par Human Rights Watch (fin des années 90)
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